Voix d'Afrique N°70.....

Bien de l'eau a coulé à ladepuis cent quarante ans ! ( Voir Voix d'Afrique n° 68, Septembre 2005)

En Octobre 1868 deux jeunes séminaristes d'Alger se présentaient à leur archevêque, Charles Lavigerie. Ils se portaient volontaires pour une entreprise missionnaire à laquelle ils se sentaient appelés.

D'autres jeunes hommes les rejoignaient rapidement, venus de diocèses de France.
Ainsi commençait modestement l'histoire des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs).
Nous continuons à évoquer ces débuts.


Le Pélican - Caritas

Quel désir les animait ?

Mais qu'est-ce qu'ils avaient dans le cœur et dans la tête, Poux et Finnateux, Charmetant et Deguerry, ces jeunes séminaristes qui débarquaient en Algérie trente ans après l'arrivée des Français sur le rivage sud de la Méditerranée ? Il est important d'essayer de discerner quelle était leur mentalité, quelles convictions, quels désirs les animaient.

Découverte de l'Afrique

Nous sommes en plein milieu du 19ème siècle. Napoléon III règne à Paris. Stanley, Livingstone et d'autres se lancent dans l'exploration de l'Afrique, immense continent dont on ne connaissait guère que les contours et quelques ports. Lavigerie débarque à Alger. Les cartes d'Afrique comportent beaucoup d'imprécisions, beaucoup de vides. Les puissances européennes commencent à peine à s'y intéresser, timidement. Déserts et forêts fascinent ou effraient.

 

 

Deux cent cinquante millions !

Ce qui interpelle les chrétiens, c'est l'immense population païenne : on parle de 250 millions d'habitants. Des peuplades immenses vivent au-delà des frontières, victimes de fièvres et d'épidémies mortelles, d'oppressions, de combats et d'esclavage. Lavigerie, à la suite de Comboni, Libermann et de Marion Brézillac, est obsédé par ce monde nouveau. Les protestants eux aussi se lancent dans l'aventure. Deux cent cinquante millions d'hommes ignorent encore l'Evangile.

Le songe de Lavigerie

Lorsque Napoléon III et Mac Mahon proposent l'archevêché d'Alger à Lavigerie, ils avaient en vue la population de souche européenne nouvellement débarquée dans la nouvelle colonie. C'était mal le connaître !

Au LibanC'est toute cette Afrique qu'il a en vue. Au-delà des frontières de l'Algérie, son regard et son ambition apostolique se portent sur le "Soudan" - c'est sous ce nom qu'on appelait les terres mal connues au sud du Sahara - les vastes étendues qui chevauchent les tropiques entre l'Océan Atlantique et l'Océan Indien. En 1857 il avait parcouru la Liban et la Syrie, connu Abd El Kader l'ancien chef rebelle d'Algérie exilé à Damas, entendu les appels à la prière lancés du haut des minarets.

Cette expérience n'était pas touristique, loin de là. Evêque de Nancy il a été invité à Tours pour la mise en chantier d'un sanctuaire en l'honneur de St. Martin, un des premiers évangélisateurs de la Gaule au 4ème siècle. Il avait eu un rêve : "Il lui sembla qu'il était transporté dans un pays inconnu, lointain, peuplé de formes humaines bistres ou noires de langue barbare" raconte Mgr Baunard dans sa 'Vie du Cardinal Lavigerie'.


Malheur à moi si je n'évangélise pas !

Quinze siècles après St. Martin de Tour, l'Eglise reçoit comme une parole toujours nouvelle, un ordre très actuel, les dernière consignes de Jésus : " Allez par le monde entier, de toutes les nations faites des disciples, baptisez les… " Dix huit cent ans après la Pentecôte, une immense partie de l'humanité n'avait pas encore entendu le message du salut en Jésus Christ.

Dans la mentalité théologique du dix neuvième siècle, les conséquences d'une telle carence sont dramatiques : c'est le risque de la damnation éternelle pour tous ces peuples qui n'ont pas entendu la Bonne Nouvelle, rien de moins que cela ! La théologie classique, traditionnelle depuis St.Augustin, prenait à la lettre les paroles de Jésus : " Allez par le monde entier, proclamez l'Evangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné. " C'est le ciel ou l'enfer !

Un vieil adage

L'adage se perpétue : "Hors de l'Eglise, point de Salut !". Aujourd'hui une telle affirmation est choquante . Mais en 1868, les jeunes hommes qui passaient la Méditerranée, n'avaient pas d'autre motivation : sauver les âmes des Africains de la damnation éternelle.

Chaque soir, ils priaient Notre Dame d'Afrique : "… ne souffrez pas, ô Mère de Miséricorde, que ces infortunées créatures, qui sont vos enfants comme nous, continuent à tomber en enfer au mépris des mérites de Jésus Christ et de la très cruelle mort qu'il a soufferte pour leur salut."

Une telle théologie nous choque aujourd'hui. Vatican II est passé par là et le dialogue interreligieux est normal. Mais cent ans plus tôt, on vivait encore dans des schémas médiévaux.


“Caravane missionnaire” en route pour l’Afrique Equatoriale (1897)

" Passe la mer ! "

Charmetant, Duguerry et leurs amis étaient interpellés profondément par cette conviction. Tout un continent ignore l'Evangile. Ce sont des millions de frères et de sœurs qui ignorent encore le salut. Ils sont animés par une profonde pitié et un immense amour pour eux, non comme un sentiment passager mais un appel qui engage toute leur vie. Comme autrefois St.Paul qui entendait dans un rêve l'appel du Macédonien : "Passe la mer et viens à notre secours …" (Actes de Apôtres ch.16, v. 6 à 10), ils décident de traverser la Méditerranée, de passer en Afrique. "Malheur à moi si je n'évangélise pas !"

Une urgence

La France est en Algérie depuis à peine trente ans. Après le Portugal et l'Espagne établis sur quelques points de la côte depuis le 16ème siècle, l'Angleterre, l'Allemagne commencent l'aventure coloniale. Les récits des explorateurs font rêver : les forêts, les déserts, les lacs et les montagnes, les sources du Nil et du Zambèze deviennent de plus en plus précis. Des tribus innombrables commencent à être mieux connues. La vie des Africains est imaginée comme primitive, totalement étrangère à la vie des occidentaux , seul modèle possible de vie civilisée et chrétienne.

En dehors de l'Europe et de l'Amérique, on n'imagine pas d'autre civilisation possible. Déjà au 16ème siècle, Montaigne se posait la question : "Comment peut-on être Persan". Trois siècles plus tard, les Européens faisaient face à la même énigme : comment peut-on ne pas être Français, ou Anglais, ou Allemand ? Pour les chrétiens, c'est un impératif : évangéliser.

Un engagement pour la vie

Evangéliser, cela demande un engagement de toute la vie, engagement pas seulement moral, mais physique. Les premiers missionnaires faisaient leurs adieux pour de bon à leurs familles et à leurs pays. Désormais, l'Afrique serait leur patrie. Le voyage de plusieurs mois pour les rives du Niger ou les Grands Lacs d'Afrique Centrale était un voyage sans retour. Les langues, les coutumes, les cultures des Africains deviendraient leurs. Leurs motivations ? Les sauver de l'esclavage, de la misère, de l'ignorance et des maladies, mais surtout de l'enfer.

Comment ne pas être émus devant une telle destinée ? Cette perspective les engageait à un immense amour qui donne un sens à toute leur vie. Les premiers explorateurs, les premiers aventuriers avaient pour but de connaître l'Afrique et la faire connaître. Les missionnaires s'engagent pour la vie, et par amour : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime." (Jean 13,13).

Lavigerie avait pris comme symbole le Pélican qui nourrit ses petits de son propre sans, et la devise toute simple "Caritas". La mission, c'est une aventure d'amour.n

G.Guirauden


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