A Marseille on compte souvent les morts par balles, on monte aux nues l’équipe de foot de l’Olympique de Marseille, on regarde la fameuse série télévisée “Plus Belle la vie”, une réplique de “Eastenders” sur la BBC. Mais on ne parle pas assez de la communauté de Pères Blancs, Missionnaires d’Afrique, présente depuis près de 20 ans dans les quartiers Nord de Marseille.

La communauté de Marseille.
De g. à dr. :Michel Ouedraogo, Raphaël Deillon et Jacques Lacour.

Il nous a semblé, en effet, important de dire pourquoi nous sommes là et non pas en Afrique. Le dernier Chapitre l’a largement souligné, et nous ne pouvons que nous en réjouir, il est devenu nécessaire de rencontrer les Africains partout où ils sont. Or, il se trouve qu’ils sont de plus en plus nombreux en Europe et dans les Amériques. Venue par différents canaux, pour différentes raisons, l’Afrique entière, avec ses cultures, ses religions, ses traditions, est désormais présente dans le monde entier. Elle est en France, terre chrétienne pour certains et donc d’accueil, terre des Droits de l’homme pour d’autres et donc terre d’asile.

Ce monde africain, ces pauvres des pays pauvres sont venus tenter leur chance et se retrouvent entre eux dans des quartiers accessibles à leurs conditions, quartiers que les gens du pays ont petit à petit désertés. C’est dans les appartements HLM de ces quartiers Nord de Marseille que se sont regroupés Africains subsahariens, Maghrébins, Comoriens, Turcs, Kurdes, Syriens, Afghans… Les modes vestimentaires, les enseignes des magasins, les façons de se parler et de s’interpeler au pied des tours, la diversité des langues, les kebabs halals, les niqabs, les costumes colorés des Comoriens, les cortèges de mariage qui bloquent la rue, les salles de prière qui débordent, nous transportent immanquablement en Afrique… Et résonne dans notre tête le refrain du Cardinal : “J’ai tout aimé de l’Afrique !”. Et c’est dans ce capharnaüm de cultures et de religions qu’il faut aussi oser la rencontre?!

Ces dernières années, nous étions encore quatre en communauté. Mais malheureusement, notre cher et regretté Étienne Renaud nous a quittés bien trop vite. Nous sommes donc restés à trois, Jacques Lacour, Jean-François Galtier et Raphaël Deillon.

Malheureusement encore, Jean-François, voyant la maladie de Parkinson progresser, a dû renoncer, la mort dans l’âme, à assurer son apostolat de pasteur des deux paroisses que le diocèse de Marseille nous avait confiées, St-Antoine et Notre-Dame Limite (qui tient son nom de la limite Nord de Marseille). Il est maintenant dans la communauté des valides à Pau-Billère.

La paroisse St-Antoine est un ancien village provençal maintenant avalé par l’agglomération de Marseille. Les habitants sont plutôt de souche méditerranéenne et ont besoin, dans ce monde qui change trop rapidement, de retrouver et d’entretenir leurs racines chrétiennes. On baptise les enfants, on catéchise, on relit la bible ensemble, on marie les plus jeunes, on vient nombreux aux enterrements.

La paroisse Notre-Dame Limite est beaucoup plus jeune et bigarrée. Elle recueille tous les Africains, Asiatiques, Orientaux chrétiens de ces cités à 10 étages et plus qui coiffent les collines environnantes et regardent vers la mer. L’ambiance dans l’église moderne est chaleureuse, l’accent exotique et la ferveur contagieuse.

Au niveau du projet de Marseille, vu le visage de la population, nous avons été, dès les débuts, très fortement impliqués dans le social et l’interreligieux, l’engagement auprès des migrants, des musulmans et des pauvres de la cité. Nous sommes tous persuadés qu’un enfouissement dans les cités, en enseignant à lire et à écrire à des adultes qui n’ont pas eu cette chance, en prêtant notre plume à ceux qui ne savent pas rédiger une lettre d’administration ou remplir un dossier, est un apostolat qui touche les cœurs. Nous persistons à penser que réunir les migrants chrétiens, qu’ils soient Africains ou Asiatiques, pour un vivre ensemble de croyants, est un apostolat qui fait d’eux des témoins de l’Amour du Christ… Nous pensons qu’à l’accueil des étudiants africains, nombreux en universités, à la rencontre avec les musulmans et particulièrement avec les imams, les tâches pastorales de nos deux paroisses s’allient très bien. Nous sommes donc curés “in solidum”, en attendant qu’un vrai curé vienne nous alléger le travail des préparations de baptêmes, mariages, funérailles et l’animation liturgique, biblique et catéchétique.

Heureusement, nous avons fréquemment des visites à la communauté, Marseille étant une voie de passage de et vers l’Afrique. Certains nous ont même offert leur aide pour quelques mois. Ainsi en a-t-il été de Geert Groenewegen venu des Pays-Bas après avoir servi l’Afrique, le projet de La Haye, et rendu des services à Tizi-Ouzou puis à Sainte Anne. Nous le remercions vivement pour ses services.

Heureusement aussi, Michel Ouédraogo, attendu comme le Messie, nous est arrivé en diacre, en septembre. Il a déjà pris le relais de l’ancien responsable de l’aumônerie des jeunes et s’est trouvé un travail intéressant de soutien scolaire dans les quartiers défavorisés des cités. Il a aussi commencé à faire les “maraudes”1 de nuit auprès des SDF de la ville avec le Secours Catholique. C’est aussi un fier supporter de l’équipe de l’OM, et, quand les matches ne sont pas retransmis sur nos chaînes, il a appris à repérer les bars où ils sont projetés sur écrans plats grand format. Il vient ainsi d’assister, enthousiaste, aux compétitions de la CAN. L’Afrique vue de Marseille avec des spectateurs africains, c’est ça aussi l’apostolat en cafés populaires!

Il est clair que la paroisse qui nous est confiée doit aller au-delà du souci de nos paroissiens. Les 35?000 personnes sur notre secteur restent omniprésentes à notre esprit et à notre cœur. Ces personnes nous sont aussi présentes dans notre prière et particulièrement à l’Eucharistie que nous célébrons le lundi en communauté et tous les jours de la semaine avec une petite assemblée de fidèles conscients de leur responsabilité dans les quartiers Nord.

Ce projet missionnaire qui consiste à rencontrer le monde africain, musulman, migrant, celui des petits et des pauvres, doit rester notre priorité. Nous essayons de tout faire pour ça, dans la mesure de nos possibilités, pour que plus belle soit la vie. Dieu, que nous avons mis au centre de nos vies, en est témoin.

La communauté de trois de Marseille

1. Maraude: tournée de bénévoles pour apporter un peu de réconfort aux sans-abris.

Tiré du Petit Echo N° 1060 2015/04

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