Voix d'Afrique N°71.....

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Nos lecteurs se souviennent de ce missionnaire Burkinabé, de son cheminement et de son apostolat au Rwanda (cf. n° 69 de Voix d'Afrique et n°70 ).
Du Caire, où il étudie la culture arabe, il nous envoie une circulaire.
Nous reproduisons sans modification ce récit de son voyage qui l'a amené du Rwanda au Caire en passant par Paris.

Une île sur le Nil

Je vis sur une île appelée Zama lek. Elle est entourée par le Nil. C'est un quartier de riches. Il existe beaucoup d'ambassades sur l'île. Notre maison est à 3 minutes de marche de l'institut où nous étudions. Nous avons un bel appartement déjà meublé. Il appartient à une famille orthodoxe copte. La propriétaire m'a dit qu'elle est heureuse que sa maison soit occupée par des prêtres. Et elle nous réservera toujours cet appartement tant que nous le désirerons. Mais la location est très chère : 500 dollars par mois. Nous préférons le garder tout de même. Nous vivons vraiment sur une île. Le pays vit à l'heure des élections présidentielles et municipales, mais sur notre île on n'entend rien du tout. Nous sommes loin de la vie mouvementée égyptienne. C'est dommage.

Les voisins

Je vis avec un Missionnaire d'Afrique allemand, ordonné en avril et avec un prêtre diocésain ghanéen. Notre appartement est au 3ème étage. Nous avons deux voisins que nous ne voyons jamais. On entend du bruit mais on ne les connaît pas. Nous aurions voulu leur rendre visite mais on nous demande d'être prudents. La vie sociale n'est pas comme en Afrique Noire, nous dit-on ! Néanmoins nous savons que nos voisins directs sont des chrétiens coptes orthodoxes. Ils sont de la famille du propriétaire de notre appartement. Le contact devrait être donc facile.

Nous vivons avec beaucoup de prudence. On nous dit que si nous avons un problème, nous aurons toujours tort devant un Egyptien, car nous sommes étrangers, chrétiens, prêtres, missionnaires ! Alors, il faut éviter les problèmes. Il nous faut faire attention aux gens dans le quartier. Ils nous regardent. Ils nous surveillent. Un de nos professeurs me disait qu'il n'a pas peur de la sûreté qui est très développée en Egypte. Il a peur de ses voisins, de leur curiosité, de ce qu'ils disent.

Je n'ai pas encore fait l'expérience de problèmes. Au contraire, pour le moment j'ai été très bien accueilli par ceux que j'ai rencontrés. Dès que je dis que je suis burkinabé, ils se souviennent que l'Egypte a remporté la coupe d'Afrique au Burkina en 1998. Alors la conversation devient chaude dans un langage que Dieu seul peut comprendre ! Ils parlent arabe. Je parle un mélange bizarre de français, d’arabe et d’anglais. Peu importe ! La rencontre a eu lieu. On se tape dans les mains. On rigole. Et on se sépare dans la paix. On ne s'est peut-être pas compris mais nos cœurs sont remplis de bons sentiments les uns envers les autres. Et pour le moment, je me sens bien. Toutes mes rencontres avec les Egyptiens furent belles.

Au pied des Pyramides

El Giza : le Sphinx
La plus belle rencontre fut aux pieds des Pyramides. J'y étais avec des amis jésuites. En marchant nous rencontrons une famille égyptienne. L'homme nous salue très spontanément et très chaleureusement. Je réponds avec la même chaleur. Et c'est toujours la même question : "Where are you from ? " Quand l'homme découvre que je suis burkinabé il appelle un garçon et dit que sa mère est burkinabé. L'ambiance devient festive. J'embrasse le gosse et les autres enfants. L'homme prend des photos. On ne veut plus se quitter. Il a fallu que mes amis jésuites me rappellent qu'il est temps de partir. C'était très beau et sans sou donné !

 

 

Œcuménisme

On nous demande d'être prudents quand nous donnons aux pauvres. Un prêtre italien a été accusé de prosélytisme parce qu'il voulait aider des enfants de la rue à travers un projet. Une de nos compagnes, étudiante coréenne à l'Institut, vient d'être expulsée du pays pour avoir donné une bible à quelqu'un qui l'a utilisée pour une discussion avec des Egyptiens. Et pourtant il existe une librairie de la Société biblique d'Egypte en plein centre ville, qui vend des bibles. Allez-y comprendre quelque chose !

Iconostase de l’église copte El-MoâllaquahIl y a des millions d'Egyptiens chrétiens. Il paraît que les chrétiens sont 15% de la population égyptienne. Donc le pays est islamique à 85%. Je découvre avec émerveillement la diversité du christianisme. Je connaissais ces choses par les livres. Maintenant je vis cela. Les chrétiens sont de différents rites. Il y a des catholiques de rite latin (ils sont peu nombreux : environ cinq mille Egyptiens laïcs et membres de congrégations religieuses, plus quarante trois mille catholiques soudanais). Il y a aussi les catholiques de rite copte (environ deux cent mille), maronites, grecs melkites… Il y a des orthodoxes de rite grec et des orthodoxes de rite copte. Les orthodoxes coptes sont les plus nombreux parmi les chrétiens… J'ai eu la chance d'assister à une messe en rite copte. J'étais perdu. Mais ce fut une belle expérience.

Les relations entre chrétiens et musulmans en Egypte sont complexes. Les chrétiens orthodoxes coptes disent qu'ils sont les vrais Egyptiens, descendants des Egyptiens . Les musulmans égyptiens sont des envahisseurs arabes. C'est contre cela qu'officiellement le pays s'appelle République Arabe d'Egypte. L'Egypte était en majorité chrétienne, elle est devenue musulmane. Les chrétiens sont acceptés, 'tolérés' serait peut-être le mot juste. Il y a des églises un peu partout. Certaines font partie du patrimoine culturel égyptien parce qu'elles datent des premiers siècles. On dit que c'est Saint Marc qui a apporté le christianisme en Egypte.

Le pape de l'Eglise orthodoxe copte semble être apparemment en bons termes avec le mufti de l'Egypte selon ce que je lis dans les journaux en français et en anglais. Je ne sais pas ce que les journaux en arabe disent. Malheureusement j'ai appris par ouï-dire (je ne sais pas si c'est vrai) que le pape est contre la présence des catholiques de rite latin en Egypte.

Si officiellement les responsables musulmans et chrétiens semblent vivre en harmonie, à la base c'est tout autre chose. Les chrétiens ne sont pas libres et ils sont frustrés. Selon certains que j'ai rencontrés, ils se sentent marginalisés. Les employés à l'Institut sont des chrétiens. Je pensais que les comboniens allaient embaucher des musulmans pour travailler à l'Institut. Mais j'ai compris qu'il fallait donner du travail à nos pro-pres frères et sœurs chrétiens pour les aider à vivre. Néanmoins nos professeurs sont musulmans. Nous n'avons qu'un seul professeur chrétien. L'Institut n'est toujours pas reconnu par l'Etat égyptien.

Le Caire : vue générale. Sur les hauteurs, la mosquée Mohammed Ali

Je disais à une sœur combonienne qu'elles font certainement un bon travail au niveau des rencontres entre femmes musulmanes et chrétiennes. J'ai été surpris de sa réaction. Elle m'a raconté comment plusieurs fois ici, au Caire, des musulmanes ont craché devant elle. Je n'en revenais pas. Et elles l'ont dévisagée avec mépris. Une jeune italienne laïque m'a raconté comment elle avait eu la même expérience d'être dévisagée avec mépris. Elle préfère maintenant entrer dans le wagon des hommes. Dans le métro les deux premiers wagons sont réservés aux femmes. Les autres wagons sont pour les hommes et les femmes.

Serge Traoré
Missionnaire d'Afrique.

Sous-titres de la rédaction.
(à suivre dans le prochain numéro.)


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