Voix d'Afrique N°92.

Partir comme
missionnaire de l’Évangile
a-t-il encore un sens ?



De nos jours, dans nos pays du Nord, très peu de jeunes désirent entrer dans une congrégation missionnaire pour partir proclamer l’Évangile dans un pays lointain. Et beaucoup se demandent : le temps des missionnaires est-il fini ? Pourtant le Concile nous l’a rappelé avec force : « De par sa nature, l’Église est missionnaire. » (A.G.2). Ce qui est premier, ce n’est pas l’Église, mais la Mission. Mais beaucoup contestent la nécessité d’aller prêcher au loin, alors que la Mission est à notre porte. Pourquoi partir alors qu’il y a tant de travail dans nos vieilles Églises ? Et vous, que dites-vous ?

Aucune Église ne peut vivre repliée sur elle-même. Elle doit s’intéresser aux autres Églises et travailler à la croissance du Corps du Christ. Renouveler les communautés chrétiennes passe par l’ouverture à la Mission universelle, et notre Église de France ne peut se décharger de la Mission à l’extérieur.

Sept raisons de se refermer sur soi

Aller par le monde entier  proclamer les merveilles de Dieu !* La Mission à l’intérieur de notre pays est urgente et les moyens dont dispose notre Église sont petits. En 1943, l’abbé Godin écrivait « France, pays de Mission ». Ce livre est toujours actuel : le nombre des catholiques pratiquants a fondu, tandis que l’incroyance (ou l’indifférence) a nettement progressé. Beaucoup de Français suivent une religion autre que la religion chrétienne. Il faut donc que l’Église de France s’occupe de cette Mission dans le pays.

* Notre Église de France manque de personnel : prêtres, religieux, religieuses sont de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés. Quant aux laïcs, ils sont peu nombreux à être suffisamment motivés et disponibles pour se consacrer à la Mission. Comment donc envisager d’envoyer du personnel au-delà des frontières ?

* Beaucoup de “jeunes Églises” sont moins démunies qu’autrefois. Certaines sont même assez riches pour pouvoir envoyer des missionnaires à l’extérieur. Tel est le cas de plusieurs Églises d’Asie et d’Afrique. Aussi, l’Église de France ne gaspille-t-elle pas son peu de force en envoyant encore des missionnaires à l’extérieur ?

* La Mission en France est difficile. En partant vers d’autres pays, le missionnaire ne vit-il pas une sorte de démission ? En effet, partir là où le travail missionnaire est relativement facile et fructueux, pourrait être une solution de facilité, d’autant que ce départ ne comporte plus les mêmes difficultés et les mêmes risques qu’autrefois.

* Là où il va, le missionnaire est parfois contesté. Il y a des remarques agressives : « Au lieu de venir nous dire votre morale chrétienne, vous feriez mieux d’enseigner le respect de la femme et le caractère sacré de la famille à vos compatriotes français.... » Ou encore : « Au lieu de venir faire la charité chez nous... de venir conscientiser les pauvres du Tiers-Monde... faites plutôt campagne chez vous pour que les pays riches, considérés comme chrétiens, cessent d’exploiter les pays pauvres.»

* Les jeunes Églises doivent se libérer, le plus vite possible, de leur dépendance par rapport aux Églises de vieille chrétienté. Il y a aussi la nécessité de 1’inculturation, une inculturation que seuls les gens du pays peuvent mener à bien et que des missionnaires étrangers risquent de retarder. On peut encore parler de la relative incompétence du missionnaire qui n’arrive pas à maîtriser la langue et à comprendre la mentalité des gens qu’il veut évangéliser.

* Quant à l’Institut qui “envoie”, on peut estimer que son rôle est terminé dès lors qu’il existe une Église locale et qu’elle est confiée aux prêtres du pays. Une congrégation religieuse qui voulait “offrir son charisme” à une jeune Église peut penser que son objectif est atteint dès qu’elle a mis en place des communautés localesqui partagent ce même charisme.

Alors pourquoi partir ?

* Il est vrai qu’une jeune Église doit devenir adulte le plus vite possible et arriver à une certaine auto-suffisance en personnel et en ressources. Mais elle ne peut se dire riche au point de pouvoir se passer de toute aide extérieure et de n’avoir plus rien à recevoir des autres Églises.

La vocation missionnaire, c’est rencontrer d’autres peuples, d’autres cultures, d’autres religions...* Il est vrai que le missionnaire étranger est mal placé pour promouvoir 1’inculturation. Mais il ne la gêne pas nécessairement. En fait, beaucoup de missionnaires ont eu ce souci de 1’inculturation et l’ont facilitée.

* Il est vrai que le rôle des Instituts missionnaires a considérablement évolué, surtout dans ces dernières décennies. Mais cette évolution n’est pas terminée, et les Instituts ne peuvent s’estimer libérés de leurs responsabilités vis-à-vis de la Mission à l’extérieur et renoncer à leur charisme missionnaire.

* Et puis, la source de la vocation missionnaire demeure, car Dieu demeure : partir vers d’autres peuples et d’autres cultures, c’est entrer dans la démarche de Dieu vis-à-vis des hommes. Le Mystère du Salut, dans la Bible, se présente comme la démarche d’un Dieu à la recherche de l’homme. Dieu veut aller vers l’ailleurs des hommes. De même Jésus : il est l’Emmanuel, Dieu avec nous ; mais il est aussi celui qui vient d’ailleurs. Il est étranger parmi les siens, jamais pleinement compris. Son enseignement, ses pratiques sont contraires aux attentes d’Israël. Il est vu comme dangereux et condamné parce qu’il ne se conforme pas à ce qui est considéré comme des valeurs sûres et des positions acquises.

* La démarche du missionnaire qui part vers un pays étranger s’inscrit en quelque sorte dans ce mouvement de Dieu qui, surtout en Jésus, part à la rencontre de l’homme, ailleurs. Jésus demande à ses disciples de quitter leur maison, leur travail, de vivre autrement et d’aller ailleurs (Mc 1, 38). En les envoyant à toutes les nations, il les aide ainsi à briser peu à peu les limites locales et raciales.

* Dieu veut rassembler les enfants de Dieu dispersés (Jn 11, 52). Pour cela, il y a la nécessité permanente de dépasser les frontières, d’aller ailleurs, jusqu’au bout du monde, pour proclamer la Seigneurie universelle du Christ à toute la création. Ceci ne peut se faire que si des chrétiens passent les frontières, en Messagers de la Bonne Nouvelle, pour aller vivre leur foi ailleurs, dans d’autres milieux, dans d’autres cultures. Ces évangélisateurs seront d’ailleurs eux-mêmes enrichis, voire évangélisés, au contact d’autres personnes, chrétiennes ou non chrétiennes, enracinées dans d’autres cultures.

Exigences de la vocation missionnaire

* La vocation missionnaire, c’est un départ... une “sortie” de chez soi pour aller en “pays étranger”. Il y a déracinement : on quitte sa famille, son milieu, sa culture, c’est-à-dire certaines façons de vivre, de sentir, de réagir...

* La vocation missionnaire, c’est la rencontre d’autres peuples, d’autres cultures, d’autres religions. Elle est rencontre de l’autre dans sa différence, une différence qui ne vient pas seulement du caractère de la personne ou de son histoire individuelle, mais de la façon de sentir, de réagir et de s’exprimer du groupe auquel cette personne appartient.

* Au début surtout, ces différences culturelles sont comme des barrières qui gênent beaucoup la communication. Le missionnaire aura beaucoup de mal à “comprendre”, et pas seulement à cause des problèmes de langue. Peu à peu il se familiarisera avec la culture de l’autre et apprendra à l’apprécier. Mais cela demandera du temps, beaucoup de temps...

* Enfin, c’est l’Église qui envoie le missionnaire. Il n’est pas un explorateur qui s’embarque, à son compte, dans une aventure personnelle. Il est le serviteur de la Mission qui a été confiée à l’Église. D’ailleurs, le missionnaire appartient à deux Églises : celle dont il vient et celle qui l’accueille et qu’il veut servir.

A la question : “Les missionnaires sont-ils encore nécessaires dans l’Église ?”, on peut répondre par une autre question : “ Les moines et moniales sont-ils nécessaires dans l’Église... alors que tout chrétien doit s’adonner à la contemplation ? ”
Pour que l’Église vive, certains reçoivent le don de la contemplation ; d’autres reçoivent le don de la Mission à l’extérieur. Encore faut-il être attentif et accueillant aux divers dons que l’Esprit met à notre disposition.

D’après un texte de
Raymond ROSSIGNOL
ancien supérieur général des Missions Etrangères de PARIS



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