Voix d'Afrique N°73...
BURKINA FASO

Le porte-parole de Dieu pour les pauvres
Père Raphaël Lubala

Nous avons rencontré Raphaël Lubala,
Congolais, qui a travaillé au Burkina Faso
depuis une quinzaine d’ années.
Il nous décrit son parcours.

Raphaël, fils de l'épicier de Bukavu

en familleC'est une petite capitale, une ville déjà importante, pas loin du lac Kivu, au bord de la grande faille qui sillonne l'Afrique depuis l'Ethiopie jusqu'au Zambèze : Bukavu s'étend au bord de la forêt, au pied des collines qui descendent vers le lac. C'est là qu'a grandi Raphaël. Son père était un chrétien particulièrement entreprenant, travailleur et économe. Il était parti de son village de brousse pour commencer un petit commerce d'épicerie, le genre d'échoppe comme on en trouve partout en Afrique où l'on peut tout trouver, depuis le sel et le savon jusqu'au pétrole lampant et les pneus de bicyclette. Mais il fallait travailler dur, car la famille est nombreuse et le papa n'a qu'un idéal : donner à toute sa famille une éducation décente pour leur permettre de bien vivre. Lui-même avait arrêté l'école à regret au bout de trois ans, et il avait dû beaucoup peiner pour en arriver à sa situation, et il voulait éviter ces épreuves à ses onze enfants.

Un enfant sans histoire, mais qui sait ce qu'il veut

C'était un bon chrétien et sa femme était active dans la paroisse voisine ; membre de la Légion de Marie, elle réunissait la famille tous les soirs pour la prière. Naturellement, Raphaël s'engagea dans le groupe des enfants de chœur, puis dans le groupe des vocations. Lorsqu'il termine ses études au lycée, il sait déjà ce qu'il veut : devenir prêtre. L'idée de devenir missionnaire lui vient lorsqu'il rencontre deux étudiants stagiaires dans sa paroisse. "C'est donc bien vrai, un Africain peut devenir missionnaire ! Pourquoi pas moi ?" Mais les Missionnaires d'Afrique du Congo ne sont pas pressés. "Il faut d'abord que tu y réfléchisse, Raphaël ! Va chercher du travail pour un an ; nous verrons après cela !" Il se fait embaucher comme professeur dans une école primaire et continue à rencontrer les prêtres pour faire un premier discernement.

La Ruzizi, première étape de formation

Finalement, il est accepté pour le séminaire de 1er cycle en 1982 ; il a 22 ans. Le séminaire de La Ruzizi, près de Bukavu, au bord du lac Kivu, ouvre à peine ses portes. Les étudiants doivent s'installer dans une usine abandonnée ; c'était une fabrique de valises. Elle était livrée à la brousse en friche depuis plusieurs années, et il fallait, entre deux cours de philosophie, débroussailler, piocher, creuser, se durcir les mains à manier la pelle et la brouette pour en faire une belle maison. En même temps que la maison, la petite communauté des étudiants et de leurs professeurs prenait forme : premier projet, première ambition partagée, première joie d'avoir construit ensemble leur foyer. Ils étaient une dizaine, venus des quatre coins du Congo et du Rwanda. Les occasions de frictions, d'incompréhensions ne manquaient pas, rapidement surmontées par le projet commun : devenir missionnaires d'Afrique.

Formation spirituelle : la Rencontre

De fait, Raphaël est accepté pour ce qu'on appelait alors le " noviciat ". Premier voyage au loin, baptême de l'air du Congo vers la Suisse. L'excitation du grand voyage, la joie de voir l'Europe, l'espoir d'une expérience nouvelle, lui font vite oublier les séparations. De toute façon, les frères aînés de Raphaël s'étaient, eux aussi, dispersés loin de chez eux. Mais à Fribourg, il s'agissait d'autre chose : la rencontre avec le Christ, non pas à travers des lectures, des études, de laborieuses réflexions, mais dans le silence, la prière en face à face, le partage avec un accompagnateur. Raphaël apprend à se connaître comme le Christ le connaît. C'est là le seul programme : jour après jour, pas à pas, écouter et laisser l'Esprit surgir du plus profond de son cœur. Raphaël expérimente la joie de la rencontre avec Lui, et il n'a qu'un désir, partager cette joie avec les autres.

Première expérience missionnaire

Sa première expérience, il la fait au Burkina Faso où il est envoyé pour son stage missionnaire. C'est une Afrique différente de celle qu'il connaissait. C'est la savane, les arbres rares, la terre sèche qu'il faut cultiver rapidement à la première averse. La nourriture est à base de mil et sauce de baobab, le maïs est inconnu. Il va falloir s'habituer à la nourriture locale. Raphaël va de découverte en découverte. L'enfant de la forêt et des pluies tropicales découvre sa nouvelle mission. Le Burkina devient son pays. Il se met à l'école pour apprendre la langue, le moré, parlé par les Mossi ; un vieux missionnaire donne trois heures de cours chaque matin, et chaque après midi, ce sont les villageois qui deviennent enseignants. Raphaël aime bien recevoir les enfants dans son bureau : ça les amuse de parler dans le magnétophone, ils n'ont pas peur de rire pour corriger, de faire répéter et sont tout fiers d'avoir apporté leurs connaissances à cet étranger qui est venu chez eux. A travers l'étude de la langue, il découvre petit à petit la culture et la façon de vivre des Mossi. Après trois mois d'initiation, Raphaël est prêt : son nom figure sur le programme de visite des missionnaires. Il a une mobylette à sa disposition et parcourt les petites succursales pour enseigner les enfants et les catéchumènes, rencontrer les chrétiens, les musulmans, les religieux de tradition, et partager leur vie. Il est toujours le bienvenu. Sa visite est une fête, car il ne vient pas seul : il apporte à toute la communauté chrétienne l'eucharistie qui sera partagée après la proclamation de la parole de Dieu. Il connaît les gens, et les gens le connaissent. Il les salue par leurs noms, et ils le saluent de son nom "Raphaël", l'ange guérisseur. N'est-ce pas là la joie du missionnaire ? Un foyer reçoit à la mission des jeunes filles qui ont été données en mariage forcé et que les pères ou les sœurs ont réussi à racheter : Raphaël leur apprend à lire, à écrire, à compter, premiers pas vers une plus grande liberté.

Approfondissement théologique

Après deux ans au Burkina, il faut reprendre les études. La théologie lui ouvre un champ immense de réflexion à Toulouse. A l'ombre des clochers de St. Etienne et St. Sernin, il approfondit le message du Christ et s'initie à la pédagogie de l'Esprit, à la lumière de son expérience au Burkina Faso. Il fait son serment missionnaire en 1989 à Toulouse et reçoit l'ordination sacerdotale à Bukavu en 1990. La nomination ne se fait pas attendre : il repartira au Burkina, mais cette fois dans le diocèse de Ouahigouya.

Une passion : la rencontre

RameauxLa langue, il la sait déjà ; il lui reste à rencontrer les gens et à approfondir encore sa connaissance du Christ pour la partager avec eux. D'une chapelle à l'autre, de village en village, il sillonne le pays. Avec les autres missionnaires, il partage le programme des tournées ; le soir, lorsque la ville s'endort doucement, les missionnaires se rencontrent, et après avoir célébré l'office du soir et partagé la boule de mil, ils s'assoient sous les étoiles pour parler de leurs rencontres, de leurs joies, de leurs frustrations également, avant d'aller prendre un repos bien mérité, avant une nouvelle journée de visites et de rencontres. Petit à petit, les communautés chrétiennes s'organisent, grandissent en maturité ; les chrétiens apprennent à prier ensemble, dans un échange véritablement cordial. Il réalisent que l'Esprit est au-dedans de chacun et réalise la communion.

Animateur au service de ses frères

Raphaël est élu par les missionnaires d'Afrique du Burkina pour les représenter au chapitre général à Rome en 1998. De retour au Burkina Faso, il est nommé assistant du supérieur régional. La tâche est différente : les missionnaires sont répartis dans plusieurs pays, du Niger à la Côte d'Ivoire. Il va les rencontrer, pour les écouter, partager simplement avec chacun les soucis et les joies, les espérances et les frustrations. Raphaël est de plus en plus admiratif pour les disciples de Lavigerie. Ce qu'il savait, il le touche encore du doigt : les missionnaires sont très proches des gens, très simples, toujours à leur niveau, fraternels. Ils se font respecter non pas à cause d'un quelconque prestige, mais parce que leur présence permet à chacun de découvrir en lui-même des valeurs éternelles.

Vers d'autres rencontres

Aujourd'hui, Raphaël a posé son sac à la maison de la rue Friant. Chaque jour, il prend le métro pour aller de nouveau à l'école, à l'Institut Catholique de Paris. Officiellement, il travaille pour un diplôme en théologie biblique. Mais ce n'est pas un titre qu'il cherche. Il veut avant tout se préparer à repartir, pour aller encore à la rencontre des Africains pour leur faire découvrir le Mystère du Royaume de Dieu et les aider à y pénétrer plus profondément.

Gérard Guirauden



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