Être ''présence d’amitié''
« Dialoguer non pour convaincre ou convertir, mais pour mieux se comprendre afin de bâtir des ponts entre humains et témoigner de la possibilité réelle d’une vie ensemble dans la paix, la collaboration, l’estime et le respect mutuels. »
« En Algérie, pour faire quoi ? Prêcher Jésus-Christ ? Évangéliser ? Convertir ? Christianiser … ? »
Né à Sola, à 1250 km au Nord de Lubumbashi en République Démocratique du Congo, je suis devenu prêtre Missionnaire d’Afrique, en 2009. Je fus volontaire pour vivre au Maghreb, et je fus envoyé en Algérie, à Oran pour le stage, de 2003-2005. Après un temps d’apprentissage intensif de l’arabe dialectal (le parler algérien), je me suis lancé, avec l’aide de mes frères Missionnaires d’Afrique et d’autres personnes de bonne volonté, dans des activités bénévoles au sein de la société de la ville d’Oran.
Animateur dans un jardin d’enfants où les enfants ont transformé mon prénom « Norbert » (difficile à prononcer pour eux) en « Nourredine » (la lumière de la religion), j’ai appris à être enfant avec les enfants pour générer de la joie et de l’espérance dans l’avenir des enfants et de la société.
Autre activité toute différente : tous les vendredis matins, je me rendais dans une maison de personnes âgées (Ma maison), maison tenue par les Petites Sœurs des Pauvres, pour raser ces personnes âgées et les « rendre plus beaux ». Ma joie était grande avec elles car je faisais ainsi l’expérience de la vulnérabilité de notre vie et l’abandon dans les mains d’autrui avec tout ce qui peut arriver comme risque, un abandon plein de confiance.
Autre animation : celle bénévole dans le Centre psychiatrique Emir Abdelkader à Oran. Personne ne voulait y aller. Le choc fut grand à la vue des conditions de vie de ces personnes. On les appelait « enfants » alors que la majorité était plus âgée que moi. Avec quelques monitrices, j’ai cherché à créer un meilleur environnement pour diminuer leur agressivité et mieux se sentir aimés. Il y eut des programmes de chansons, jeux, … et même du football sur le terrain du centre. Cette ouverture d’espace, d’environnement, … a fait rayonner d’épanouissement et de joie ces êtres humains avec qui une amitié très forte s’est tissée.
Avec toutes ces activités, le bloc psychiatrique était devenu le lieu de vie, de joie, d’amitié, d’amour, de visite.
Après l’expérience au Centre Emir Abdelkader, j’ai participé à la mise en route de l’Association IMOC « Infirmes Moteurs Cérébraux » : établissement du programme d’animation, formation de deux monitrices pour la prise en charge des personnes handicapées.Mon retour en Algérie a lieu, après 4 ans d’absence, en 2009, à Ghardaïa. Ghardaïa, la grande porte du désert, est le deuxième plus grand diocèse au monde en étendue, mais le plus pauvre en effectif chrétien. Après un temps de prise de contact avec le milieu, j’ai commencé la rencontre avec les gens de Ghardaïa, avec sa réalité bien différente de celle d’Oran. Autre lieu, autre activité : le soutien scolaire et académique (cours de langues : anglais et français), les contacts personnels avec l’une ou l’autre personne du lieu et la pastorale des migrants m’ont permis de vivre cette rencontre et de m’insérer dans le milieu avec ses joies et ses peines. Toujours animé par le désir de vivre l’amitié et multipliant les rencontres, j’ai élargi, petit à petit, le réseau de dialogue s’est élargi avec des personnes d’âge différent jusque dans les familles, dans les jardins, les lieux de travail, les cafés.
Les sujets de discussion sont variés, et aussi les questions posées par les groupes mais tous permettent d’aboutir à une plus grande compréhension mutuelle. Chaque rencontre en appelle une autre, et on organise les programmes pour se retrouver. Au bout d’un certain temps de cette vie de dialogue et de respect mutuel, j’ai été invité aux cérémonies de mariage, à l’enseignement sur le Coran donné par un « Cheikh » aux garçons de 10 à 15 ans, aux séminaires des langues organisés pendant les congés...
En 2005 à Oran dans notre jardin avec des amis
J’ai pu vivre un partage avec les étudiants du cours de langue sur le sens de ma présence et mon expérience Missionnaire d’Afrique, ensuite donner un témoignage personnel devant des étudiants Subsahariens avec leurs amis Algériens à Tiaret dans le cadre d’une journée sur « Chrétiens, comment être artisans de paix et de réconciliation ? » en 2010.
À cette occasion, nous avions présenté le documentaire « Six milliards d’autres ». Est venue alors « la question de Dieu ». Les réponses ont été diverses : pour les uns, « Dieu est cette présence qui m’empêche de faire du mal, une présence qui rassure… », pour d’autres, Dieu ne peut rien faire pour le monde, « Dieu ne peut aider le monde. Aucune re-ligion ne promet la paix sauf en théorie. La religion est source de guerre. Aucune religion n’apporte la paix vraiment ».
Partant de ces deux avis, la question fondamentale du sens de ma présence en Algérie m’a été posée. Chrétien au milieu des musulmans, suis-je là pour leur parler de Dieu ? Affirmer son existence ou l’infirmer ? Suis-je là pour évangéliser, prêcher Jésus-Christ, essayer de les convertir… ?
Humain, chrétien et prêtre, je “le” suis. Vivant dans ce pays de-puis plusieurs années, ma réponse n’est que mon expérience de vie quotidienne avec les gens. Le témoignage de mon vécu de cha-que jour doit permettre de vivre ce que j’ai écrit : « Seule une vie vécue pour les autres vaut la peine d’être vécue » autrement dit : « Sans amour je ne suis rien ».
Chrétien, prêtre catholique, je veux partager avec les gens un cri d’appel, d’invitation, … à devenir aujourd’hui, des hommes et des femmes pleinement humains, responsables et compatissants, pleinement accomplis. Je voudrais qu’ensemble nous puissions joindre nos efforts en tant qu’humains pour contribuer à l’appel de l’humanisation de l’homme. C’est seulement ainsi que nous pouvons répondre à l’appel que Dieu nous lance : l’appel à la communion avec Lui.
Le cardinal Lavigerie, Fondateur des Missionnaires d’Afrique et des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, avait repris le cri d’un auteur latin qui résonne encore aujourd’hui à travers le monde : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ! ». De son côté en 1963, Martin Luther King proclamait à Washington : « I have a dream (J’ai fait un rêve)». Ma présence ici est motivée par ce profond désir de partager avec les autres cette humanité qui nous est très chère.
Je me souviens encore d’une cérémonie d’action de grâce et de félicitations pour un jeune couple de mes étudiants (la femme en français et l’homme en anglais) dans la grande salle de notre CCDS, cérémonie organisée par l’ensemble du groupe des étudiants. Je venais de sortir de l’hôpital après une intervention chirurgicale. Une jeune fille, maîtresse de cérémonie, donnait à chacun la parole pour des souhaits au nouveau couple. Quelques-uns ont même demandé de prier pour ma santé. Tous ont apprécié cette rencontre et souhaité qu’on la renouvelle pour affermir nos liens d’amitié, de confiance et aussi de partage de prière.
Tout cela nous a permis de dissiper progressivement les préjugés, les peurs … que nous avions les uns envers les autres, et a favorisé un dialogue sans aucune prétention de convaincre ou de prouver sa propre supériorité.
Ma conviction se fortifie : une fois la confiance et l’amitié établies, le dialogue est possible. Au-delà de notre foi, mais aussi grâce à elle, nous, chrétiens et musulmans, nous sommes d’abord appelés à joindre nos efforts pour devenir plus humains pour faire de ce monde un monde d’amour, de paix, de réconciliation.
Les noms dont on me qualifie varient suivant les lieux où je passe. Ils sont nombreux et variés : de Baboin-camarade, à Malien, mon Père, Nourredine ou Norbert. Il n’en reste pas moins que je suis en Algérie pour vivre avec les gens, faire avec eux l’expérience de l’amitié, de la confiance, de l’humanité et s’aider mutuellement pour répondre pleinement à notre vocation commune d’hommes et de femmes accomplis et responsables. Nous pourrons alors professer dans le respect mutuel de nos différentes religions, ce même « Dieu » / « Allah » Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu’ils renferment.
Mwishabongo Mukwanga Norbert dit Nourredine
M. Afr.
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