Voix d'Afrique N°99.


Kivu
L’apocalypse et la crèche
de Bethléem


Pourquoi Le tout a commencé quand je me suis trouvé un dimanche avant la fin de l’année liturgique à célébrer l’Eucharistie avec presque 3 000 fidèles de la paroisse de Ndosho à Goma le 25 novembre, fête du Christ Roi, chez les pères xavériens. La ville était déjà occupée par les rebelles du M23 depuis le mardi 20 novembre. Je me demandais d’où pouvait venir un scenario si terrible au Nord-Kivu, comparable à ce que nous lisons dans certains textes apocalyptiques du prophète Jérémie et de l’apôtre Jean!

« Un véritable holocauste du peuple congolais ! »Partout des dévastations, des tueries, des viols, des pillages, des pleurs, des deuils, des fuites en masse, la panique, la peur et la terreur comme pain quotidien… Je ne reviens pas sur les statistiques, les chiffres, les dates et les événements qui ont ensanglanté la ville de Goma le mois de novembre 2012, tout le monde a été mis au courant par la presse. Je passe aussi sur les causes économiques, politiques, militaires du désastre social au Congo et au Kivu, tous les gens avec un minimum de rigueur intellectuel connaissent cela. Je ne veux pas rappeler une nouvelle fois les fautes des uns ou des autres puisque des deux côtés, tous les faiseurs du mensonge et de la violence, sont dans la même perversité du Mal au détriment des démunis, des vulnérables et des sans-pouvoir. Tous les observateurs politiques savent cela et en connaissent les auteurs !

Ma question : en ces dix-huit dernières années, d’où vient tout ce ‘mysterium iniquitatis’ autour de nous, de nos villages, de nos villes et au plus profond du cœur humain ? Ce que je vois, c’est plus qu’une guerre entre les hommes et des armées ordinaires, c’est plus aussi qu’un conflit entre des États, c’est plus que la liste infinie d’escroqueries et de cruautés exécrables et inouïes ! Au Nord-Kivu, nous sommes en face de la Puissance du Mal à l’œuvre en des milliers d’hommes d’un côté et de l’autre qui s’affrontent au plan diplomatique et militaire mais aussi et surtout par le jeu verbal de celui qui raconte le plus de mensonges camouflés en promesses fumeuses pour tromper l’opinion publique locale, nationale et internationale!

Alors je me dis que nous sommes en présence de Satan, le diviseur et le menteur, qui a choisi cette terre trop riche en minerais pour semer l’avidité chez les uns et la cupidité chez les autres et faire éclater un anéantissement de populations qui dépasse l’imaginable (je sais que parmi les personnes consacrées, il y en a qui nient l’existence de Satan !). C’est un véritable holocauste du peuple congolais ! En 2008, on parlait de 5 millions de morts au Congo depuis 1994 ; on parle aujourd’hui de 7 millions de tués, un dixième de toute la population congolaise : qui pourra compter les morts à cause des effets collatéraux (famine, maladies, épidémies, stress, fatigue, anémie) ?

Il s’agit du conflit le plus sanglant de l’histoire moderne après la deuxième guerre mondiale et, ce qui est pire, avec le consentement de toutes les grandes puissances du monde et des sociétés économiques internationales ! Tout le monde diplomatique savait et sait cela et personne en haut lieu n’a rien dit pour arrêter le génocide de la population congolaise résidante au Kivu ! Sauf dernièrement quelques voix solitaires de gouvernements haussent timidement la voix pour dire : Assez! Des voix qui n’osent pas malheureusement aller jusqu’au bout de leurs déclarations et ainsi mettre un terme à cet “abattoir humain“ qu’est devenu le Kivu !

Je continue à fréquenter les camps des déplacés depuis le début de décembre 2012. Au Kivu, il y a 1,7 million d’hommes, de femmes, de vieillards et d’enfants déplacés, loin de chez eux, de leurs maisons, de leurs champs, de leurs bananeraies, de leurs ri-vières. Je vois les huttes en paille, les tentes avec les toiles blanches souvent déchirées, les camps ou les “ goulag “ où ils vivent maintenant. Ce n’est pas humain !

Quelques religieuses ont recensé les mamans dans le camp Mugunga 1 pour venir à leur aide : une foule de femmes est arrivée qui ne finissait plus ! J’avais la forte impression dans mon cœur de voir tous ces gens comme débarquant d’un long voyage épuisant et les conduisant au désespoir et à la dernière nuit de la vie ! Au Camp Mugunga 3 où les déplacés continuent à subir les attaques des gens armés et où les femmes sont violées (en date 17 janvier 2013, le Camp accueille 147 femmes violées et 230 femmes sidéennes inscrites dans une liste), j’avais l’impression de voir sur le chemin principal les foules aller et venir comme au temps du recensement de César Auguste et ne sachant pas où passer la nuit (nous étions quelques jours avant Noël). Au Camp Bosco de Ngangi, au comble d’une épidémie de choléra, je me sentais comme dans un lazaret au seuil de la mort ! Mais il ne fallait pas que je ferme les yeux et me laisse décourager !

Je me demandais toujours quel pouvait être le sens de ces événements si crus, violents, insoutenables à voir et entendre ! Oui, je reste persuadé que Satan est à l’œuvre d’une manière puissante dans ce coin du monde, les puissants accablant les faibles, les bourreaux supprimant les justes, les impies humiliant les innocents et les vulnérables.

Je veux bien croire que le Malin est gagnant pour un jour et le Messie gagnant pour l’éternité ! Je veux bien croire aussi que la justice des hommes est pourrie en ce territoire oublié par les mass-media du monde et que la justice du Messie va un jour se révéler ! Je veux bien croire que les Ténèbres et le Chaos n’ont pas le dernier mot sur l’histoire du Kivu et du Congo, mais quand ce moment de la victoire de la Vérité et des promesses messianiques viendra-t-il et s’accomplira-t-il ? Oui, je veux bien croire que le Messie à Bethléem a pris sur lui les souffrances inouïes de tout être humain mais quand nos yeux verront-ils une terre nouvelle où coulent le lait et le miel et un ciel nouveau d’où descendent la Justice et la Paix que nous tous - congolais et non congolais - nous attendons depuis presque un quart de siècle ? Ou devons-nous nous résigner à l’angoisse et à la terreur du Mal qui nous enveloppe ? Comment pouvons-nous chanter les louanges au Seigneur de l’Histoire quand la population congolaise vit en sa patrie comme en une terre étrangère et en exil ?

Je regarde le Roi Messie, pauvre et démuni comme tous ces déplacés, sans rien et sans la force de la parole, ce Fils de Dieu qui a renoncé à tout pouvoir dans un logis d’animaux, Lui le seul parmi tous qui peut vraiment comprendre, saisir et assumer la détresse de tous ces gens au bord du désespoir et de la psychose collective. Je ne crois plus dans les interventions des soldats d’Hérode ou des légionnaires de Pilate ou des zélotes patriotiques pour libérer ces gens : tous ceux-ci sont là pour tuer, piller et violer. Le Messie de Dieu seul peut briser le joug et les chaînes dans ces fosses à lions sous le ciel azur du Congo. “ Viens, Seigneur Jésus, ne tarde plus, libère-nous des griffes et des morsures du Dragon ! “.

Pino Locati
M. Afr.



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