Voix d'Afrique N°82.

SOCIETE
“LES PHARMACIES PAR TERRE”

La bonne conservation des médicaments n’est pas le souci majeur des “pharmacies par terre” ! On les appelle « pharmacies par terre », « pharmacies à la sauvette », « pharmacies trottoirs », « pharmacies ambulantes ». D’ailleurs, peu importe le nom, car la réalité est la même : la vente illicite des médicaments, qui s’est énormément développée dans nombre de pays d’Afrique.
Elles explosent dans les marchés, au bord des rues. Elles présentent des molécules de toute espèce qui séduisent, qui trouvent acheteurs parce qu’elles sont vendues à bon prix, c’est-à-dire à un prix accessible au pauvre citoyen.
Les médicaments sont d’ori-gines douteuses, pour la plupart dangereux car contre-faits ou périmés. Ils représentent près de 30% des médicaments vendus en Afrique.
L‘industrie et le commerce des faux médicaments dégageraient en Afrique un chiffre d’affaires compris entre 10 et 15 milliards de dollars.
Les pays anglophones comme le Nigeria, la Gambie, le Ghana semblent les plus touchés par la contagion, suivis de près par leurs voisins immédiats que sont le Bénin, le Burkina Faso, la Côte-d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal…

Pourquoi les « pharmacies par terre » se sont-elles tant développées ? Plus d’un pense que la crise économique et les programmes d’ajustement structurel des années 1980, conjugués à la dévaluation du franc CFA en 1994, ont rendu inaccessibles les médicaments pour de grandes parties de la population. Il faut ajouter la démographie galopante des pays, qui a engendré une forte demande en produits pharmaceutiques.

Les vendeurs présentent des molécules  de toute gamme qui séduisent et qui trouvent acheteurs... Aujourd’hui, le succès de ce commerce illégal des médicaments vient de ce qu’il est très prisé par les populations pour des raisons évidentes d’économie. En effet, se soigner est deve-nu une charge difficilement supportable par beaucoup de ménages dont le revenu mensuel est souvent en deçà du coût moyen d’une ordonnance. En fait, l’inégalité devant les soins, c’est aussi l’inégalité devant la santé, qui en appelle une autre : l’inégalité devant la mort.

« Les pharmacie par terre » paraissent donc être un mal nécessaire pour la plupart des populations que les politiques officielles de santé ont laissées en marge dans leurs programmes successifs.
Mais, si les bons médicaments soignent, contrefaits, ils peuvent aussi tuer. En payant ces médicaments, on achète parfois la mort.

Qui est acteur dans
ce commerce ?

Les vendeurs

On s’installe dans un lieu très “passant” pour rencontrer le client sont les « docteurs de rue », comme on les appelle. La plupart sont des jeunes citadins chômeurs, ou des jeunes ruraux venus faire fortune en ville. Souvent, ils se connaissent parce qu’ils sont issus d’une même région. Aussi, ils développent une forte solidarité. Ils habitent sous un même toit et se soutiennent dans les difficultés. Ils sont généralement analphabètes et sans formation médicale particulière. Leurs connaissances consistent avant tout en divers savoir-faire indispensables, autant pour acheter les produits que pour les prescrire. Certains disent tenir leur savoir d’un membre de la famille lié à des parents « chasseurs magiciens ». D’autres se sont formés dans l‘un des réseaux des nouvelles convivialités urbaines. D’autres, enfin, parlent d’une élection, manifestée par un rêve, comme la sensation d’être désignés pour ce travail.
Le travail de vendeur demande beaucoup de disponibilité, ce qui le réserve aux garçons. Il n’est pas à la portée de la jeune fille, encore moins à celle de la femme mariée.
D’autant plus que certains deviennent marchands ambulants, passant régulièrement (deux ou trois fois par semaine) dans les cours où ils ont des clients. En effet, certains consommateurs deviennent des « quasi-abonnés ».

Les clients
Les « pharmacies par terre » recrutent leur clientèle au sein de toutes les couches de la population. Cadres moyens, petits commerçants, conducteurs en tout genre, et les personnes démunies sont les plus assidus.

Beaucoup ne peuvent se payer les médicaments de la pharmacie moderne Certains fonctionnaires aussi viennent, car leur niveau de vie a bien baissé avec la crise économique. Mais ils veulent de plus s’éviter des pertes de temps et d’argent dans les démarches de consultation au centre de santé et les longues listes de produits à acheter. D’autres, conducteurs routiers et chauffeurs de taxi, se présentent parce qu’ils sont pressés. Mais, souvent, ils sont aussi à la recherche de produits « fortifiants » ou « tonifiants » qui les aideront à accroître leurs performances au volant de leur véhicule.

Ensuite, viennent les ménagères qui sont les plus nombreuses parmi les clients des « pharmaciens ambulants ». Les vendeurs viennent les voir à la maison ou les rencontrent à la sortie des marchés. Même sortant des centres médicaux, la plupart de ces femmes s’adressent sans hésitation à eux. Certaines cherchent aussi des crèmes et des gels éclaircissants qu’elles ne trouvent nulle part ailleurs. Enfin, il existe d’autres clients qui, bien qu’ayant des ressources suffisantes, achètent des médicaments chez les vendeurs ambulants pour des maux qu’ils jugent « simples » ou « passagers » comme les maux de tête, les rhumes…

Que disent
les clients
pour se justifier ?

La première raison qu’ils donnent est la modicité de leur revenu. Cela influe sur la qualité et la quantité des médicaments achetés. Moins un revenu est consistant, plus la tentation est grande de se tourner vers la thérapie la moins coûteuse. Même disponibles en quantité et en qualité, les médicaments de la médecine conventionnelle ne sont pas à la portée de toutes les bourses. De plus, un grand nombre de gens craignent les longues ordonnances que beaucoup d’infirmiers ou de médecins n’ont pas perdu l’habitude de faire.

On se fournit chez le grossiste avant de partir au marché...De plus, les clients, souvent analphabètes, se sentent plus à l’aise avec ces vendeurs qui parlent leur langage et les comprennent.
La vente des médicaments à l’unité est encore une autre raison pour venir se fournir à la « pharmacie par terre ». « Je viens acheter les médicaments au marché parce que les produits y sont moins chers que ceux de la pharmacie. Par exemple, si j’ai cent francs, je peux acheter deux comprimés de nivaquine, au marché, et je garde le reste de mon argent”, dit un jeune acheteur.

Pour d’autres encore, et cela peut sembler paradoxal, l’espace social du marché semble protéger, mieux que les services de santé, leur pudeur et la confidentialité. Le brouhaha du marché préserve le secret, et certains, qui ont honte d’aller à l’hôpital expliquer leur maladie, préfèrent l’anonymat et la rapidité de la vente locale.

En fait, il semble que l’atout du marché parallèle est le déconditionnement, car une unité de médicament achetée est toujours moins chère que la boîte. Et même si, finalement, le patient débourse plus en achetant plusieurs comprimés à l’unité que s’il achetait une boîte en une fois, il préfère fractionner ses achats.
Il faut cependant ajouter que les pharmaciens africains vendent beaucoup de génériques non conditionnés.

D’où viennent
ces médicaments ?

Il y a d’abord les médicaments contrefaits qui viennent surtout du Sud-Est asiatique et aussi du géant de la contrefaçon de l’Afrique de l’Ouest, le Nigéria.
Mais d’autres médicaments aboutissent dans les « pharmacies par terre » parce qu’ils ont été soit détournés dans les pharmacies ou les centres médicaux, soit librement fournis par des pharmaciens peu scrupuleux qui n’hésitent pas à alimenter ce marché. Il est d’ailleurs étrange que très peu de sanctions soient prises contre les auteurs de ces détournements.

Attention danger !
S’approvisionner dans les « pharmacies par terre », c’est parfois parier sur la mort. En effet, outre l’origine douteuse d’un certain nombre de médicaments, il faut tenir compte des conditions de leur conservation. Malgré 70% d’humidité et des températures moyennes de 34°, les comprimés, les gélules et les collyres sont, la plupart du temps, conservés en vrac dans des sachets en plastique ou des bouteilles. Dans le meilleur des cas, un parasol ou un hangar de fortune les protège du rayonnement solaire direct.


A quand des médicaments produits en Afrique et bon marché ?

Quant à la date de péremption ou date limite d’utilisation, elle ne constitue pas un souci majeur pour le vendeur. Même quand ils sont périmés, on change l’emballage des médicaments avec de nouvelles dates qui n’ont rien à voir avec leur durée de vie réelle. « Malgré tout, curieusement, ces produits ont le don de soulager des patients, on ne sait pas par quelle magie, mais c’est le cas », s’étonne un médecin. Les spécialistes y voient un simple effet placebo.

Qu’en disent
les pouvoirs publics ?

A plusieurs reprises, la presse a révélé et dénoncé des cas d’intoxications dues à la consommation de ces médicaments. Dans certains pays, la télévision elle-même a réalisé des sketchs pour sensibiliser la popu-lation sur les dangers des « médicaments par terre ». Malgré tous ces efforts, les médecins et les associations n’arrivent pas à freiner le phénomène.

Parfois, les forces de l’ordre appréhendent l’un ou l’autre trafiquant avec des produits illicites et d’autres poudres inconnues, mais les contrôles ne sont pas réguliers.

On serait tenté de croire à une sorte de « tolérance » des pouvoirs publics vis-à-vis des vendeurs. Sur les marchés, dans les rues, autour des places, ils circulent librement, s’installent sans obstacle. Souvent même, ils acquittent, au même titre que n’importe quel commerçant, une patente quotidienne auprès des responsables des marchés.

Et pourtant, tout le monde le dit : si le gouvernement le veut, il peut, en seulement quelques jours, mettre fin à la « pharmacie par terre ».
En l’absence d’une politique rigoureuse de contrôle des médicaments vendus à la sauvette ou sur les étalages, dans les rues et marchés, tous les abus sont à craindre. « La politique sanitaire ne doit pas viser uniquement la multiplication des centres de santé bien structurés, bien équipés et disposant de personnels médicaux et paramédicaux hautement qualifiés. Il faut qu’elle songe aussi à l’approvisionnement régulier en médicaments appropriés, efficaces, de bonne qualité et à des prix abordables. »

On peut toujours rêver au jour où les pays du tiers-monde pourront mettre sur pied une industrie pharmaceutique autonome. Mais des contraintes majeures freinent ou limitent ce genre d’efforts. Ces contraintes sont d’ordre économique (le coût relativement très élevé d’une entreprise) ou scientifique (l’insuffisance dans la recherche bio-médicale).

Voix d’Afrique
d’après des sources variées


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