UNE GALERIE DE PORTRAITS
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NOS ANCÊTRES DANS LA MISSION
MONSEIGNEUR
JOSEPH DUPONT
1850 - 1930
Premier Evêque au Nyassa
ZAMBIE
Par le Père Joseph Vanrenterghem
Missionnaire d'Afrique
Bry-sur-Marne
Février 2005
Voir aussi sur Voix d'Afrique les 2 articles sur Mgr
Dupont (dont le retour des cendres
de Mgr Dupont à Chilubula) Texte et autres photos
In Englih
Centenary foundation of Santa Maria Chilubi
Island (1903-2003)
Bishop Dupont Motomoto. Written by B.A. Poisson, M. A fr.
SOMMAIRE
I - Les événements et gestes fondateurs
II - Joseph Dupont (1860-1930)
III - Vers le Nyassa
IV - Fondation au Nyassa
V - Mgr Joseph Dupont Evêque
VI - Retour en Europe
VII - La retraite à Thibar (Tunisie
VIII - Questions et problèmes aujourd'hui
--- Sources
I - Les événements et gestes
fondateurs
Dans ce premier chapitre, nous nous inspirons largement, (et nous le
citons abondamment) d'un document du P. Louis Oger, texte polycopié
rédigé à Paris en 1995 et intitulé : "
Une ombre dans les missions : La sorcellerie, lieu méconnu de
la rencontre du Christ dans la foi "
Le P. Oger, d'abord missionnaire dans diverses paroisses, a été
longtemps responsable du Centre d'étude de langue et de culture
Bemba, à Ilondola. Il avait été, auparavant, supérieur
régional des pères blancs de Zambie. Sa réflexion
pastorale sur la sorcellerie a été menée à
l'occasion du Centenaire de l'Église catholique en Zambie.
Les Pères Blancs sont arrivés dans le Nord de la Zambie
actuelle en 1891. Ils fondent un premier poste à Mambwe, puis
pénètrent à l'intérieur et ouvrent, plus
au sud, Kayambi (1895) et Chilubula (1898). C'est le temps où
les pays européens cherchent à étendre leurs zones
d'influence en Afrique. Anglais, Allemands et Belges parcourent la région.
Dans le territoire circulent des représentants de ces divers
pays, accompagnés de soldats, explorateurs, aventuriers et commerçants.
Les missionnaires protestants sont déjà présents.
François Caillard, de la Mission évangélique de
Paris, s'est installé dans le sud dès 1878 et la London
Missionary Society a fondé une mission, dans le Nord, à
Mpulugu en 1885
" Les esclavagistes étaient encore dans les parages et,
avec la complicité des chefs coutumiers, ils monopolisaient le
commerce à l'intérieur du pays. L'esclavage domestique
était de coutume, souvent lié à ce que nous appelons
la sorcellerie. Moyen de se débarrasser des "mauvais caractères"
et ces derniers devenaient souvent une monnaie d'échange avec
les esclavagistes ".
Dès leur arrivée, les missionnaires Pères Blancs
invitèrent les gens à la prière. Ils se présentaient
comme des 'hommes de Dieu et, très vite, ils commencèrent
des instructions religieuses avec les premiers groupes de priants.
Qui étaient ces priants ?
- des esclaves rachetés (" nos enfants ") disaient
les Pères.
- des " suivants " qui quittaient l'autorité d'un chef
local pour se mettre sous celle des Pères
- des personnes accusées de sorcellerie qui se réfugiaient
à la mission pour échapper à l'épreuve du
poison
- enfin un petit groupe de femmes et d'enfants donnés aux Pères
par les chefs en signe de bonne volonté.
Des " villages chrétiens " se formèrent ainsi,
qui échappaient au pouvoir des chefs traditionnels. Le "
Père Supérieur " en était le chef. On insistait
sur la prière, l'instruction, et une vie contrôlée
par les Pères, où les pratiques " païennes "
n'avaient plus de place.
Quatre années de catéchuménat étaient nécessaires
pour se préparer au baptême, comme dans les autres missions
des Pères Blancs. Il s'agissait d'une vraie démarche de
conversion " individuelle ". Des gens " libres "
des environs s'adjoignirent au groupe, surtout parmi la main-d'uvre
employée aux constructions. Les villages s'installaient sur le
terrain, sur la " propriété " des pères.
Les enfants d'une petite école apostolique étaient envoyés
dans les villages pour apprendre aux autres les nouvelles prières.
La Mission
" Nous avons affaire ici à un peuple dominateur, accoutumé
à faire la loi à tous ceux qui l'approchent ", écrit
un des premiers missionnaires. Les Pères jugèrent bon
de commencer leur travail par le soin des malades, ce qui occupait la
plus grande partie de leurs journées. Le Père Dupont était
infirmier, et, aux yeux des gens, médecin. Aux soins médicaux
ordinaires, il ajouta l'usage, que certains disent intensif et intempestif,
du rituel des bénédictions et exorcismes.
En 1897, Dupont réalisa l'ambiguïté de la méthode
de l'orphelinat et du rachat d'esclaves. Ce dernier était d'ailleurs
quasiment terminé, et la contrée ouverte à l'action
directe des missionnaires. Dupont commença à recruter
des jeunes gens de bonne volonté pour l'école. En 1901,
celle-ci devint un centre de formation de catéchistes adultes,
150 élèves, tous libres, certains fils de chefs.
Louis Oger note trois traits distinctifs du missionnaire tel qu'il
apparaissait alors aux gens : étranger (donc respecté)
- ministre d'un culte nouveau - médecin-guérisseur. Prestige
qui faisait voir le Père supérieur comme un chef puissant.
L'événement d'août 1895, geste fondateur
C'était deux semaines seulement après l'arrivée
du P. Joseph Dupont à Mayambi. Le P. Louis Oger raconte :
" Le 11 août 1895, avec un autre missionnaire, le Père
Dupont alla visiter le chef Makasa. Celui-ci était entouré
d'un grand nombre d'hommes. Quelqu'un était accusé de
pratiques de sorcellerie et demandait à subir l'épreuve
du poison. Le chef Makasa, qui seul décidait d'une telle épreuve,
répliqua qu'il n'avait aucune intention d'empoisonner ses sujets.
Le Père Dupont saisit l'occasion pour dénoncer la sorcellerie
sous toutes ses formes, comme une croyance vaine. Il mit tout sorcier
présent au défi de lui crever un il, comme ils s'en
étaient vantés, leur promettant une belle récompense.
Rien n'arriva, et tout le monde de rire aux dépens des sorciers,
écrivit-il dans le journal. Le chef lui-même en resta bouche
bée, louant le Dieu des Blancs
Ce rire pouvait en dire
long. Les gens étaient convaincus de l'existence d'ensorceleurs,
et tirèrent de l'incident la seule conclusion qu'ils pouvaient
alors tirer : le prêtre est plus fort qu'eux.
La preuve en est que le soir du même jour, à cinq heures,
dit le diaire, le chef et deux chefs subalternes vinrent demander au
Père un remède pour les mettre à l'abri des maléfices
des sorciers. Le Père les fit agenouiller, lut le Prologue de
saint Jean sur eux, en latin bien sûr, et les aspergea d'eau bénite.
Le diaire décrit ainsi la scène : 'Ils se tiennent avec
le plus grand respect et s'inclinent profondément pour recevoir
l'eau bénite. Puis ils se relèvent joyeux et fortifiés
: ils n'ont plus peur des sorciers '. Chacun reçut une médaille
de la sainte Vierge.
Un an plus tard, le 10 juillet 1896, alors que le Père Dupont
était en tournée, un homme lui cria que lui et ses prêtres
étaient des " sorciers redoutables ". Lenshina Mulenga,
la fondatrice de l'église Lumpa dans les années 1953,
n'inventa rien lorsqu'elle et ses adhérents dirent et chantèrent
que les prêtres catholiques étaient des " ensorceleurs
". Elle ajoutait que toutes les missions catholiques étaient
des refuges d'ensorceleurs que les missionnaires protégeaient
".
Le P. Oger commente : " Nos pionniers voyaient la sorcellerie
partout, ne faisant aucune distinction entre les pratiques cultuelles,
les séances de guérisons, les danses et rites funéraires
ou d'anniversaires, le Mercredi des Cendres, la bénédiction
des semences, etc.
En 1897, arrive une invasion de sauterelles. Le Père Dupont
fait l'exorcisme prévu en de tels cas, et note : " en moins
d'un quart d'heure, nos champs sont évacués
La protection
du ciel est d'ailleurs manifeste depuis plusieurs mois, car les sauterelles
ont fait le tour de la station sans y entrer. Les semences que les gens
et leur chef sont venus faire bénir ont été aussi
épargnées. Les gens sont ébahis ".
Des ambiguïtés persistantes
Le " mythe Dupont "
" Le Père Dupont, dit Louis Oger, par des actes symboliques
et la lecture solennelle de l'évangile, voulait mettre en évidence
le pouvoir de la foi dans le Christ. Mais les gens ne connaissaient
pas encore le Christ, et ne purent saisir ainsi la nature de ce pouvoir.
Ils le virent dans la personne de Dupont, et dans ses actions, gestes
et paroles
Telle fut la vision des gens : les pères avaient
un pouvoir supérieur. C'est pourquoi ils pouvaient recevoir les
ensorceleurs ou jeteurs de sorts chez eux, vivre en paix avec eux, et
même en faire des hommes de Dieu, catéchistes ou autres.
Le moyen de communier à ce pouvoir était d'embrasser leur
religion, apprendre le catéchisme par cur, se soumettre
aux nouveaux interdits et aux nouveaux rites et gestes ".
En 1990, un livre de A.D. CHIMWANSE avait pour titre : " Est-ce
que le Christianisme est un havre d'ensorceleurs ? ".
Une autre ambiguïté devait faire entrer Dupont lui-même
dans la légende. En 1898, il est appelé au chevet du plus
puissant des chefs Bemba. Celui-ci, avant de mourir, confie à
l'évêque sa contrée et ses gens :
" Mgr Dupont était pour le Bemba le type de l'homme qui
possède le pouvoir. Il était fort, de belle allure, entrepreneur..
bon tireur
Il disait ne pas s'asseoir deux fois à la même
place. Les gens le surnommèrent Bwana Motomoto (Seigneur le Feu).
Et Il était généreux, comme se doit d'être
un bon chef
"
C'est ainsi qu'il entra dans la légende : évêque-roi.
Et l'archevêque de Kasama est toujours considéré
comme le successeur de cet évêque-roi, dit L. Oger.
Deux problèmes nous sont posés :
- qu'en est-il de cette " sorcellerie " omniprésente
?
- le chef (roi) fit de Dupont son " successeur " : qu'en
est-il exactement ? Dupont lui-même ne s'est-il pas fait illusion
sur cette donation qui faisait de lui un roi des Bemba ?
II - Joseph DUPONT (1860 - 1930)
Les années de
formation
Gesté : gros bourg de la Vendée angevine. C'est là
qu'est né Joseph Dupont, le 23 juillet 1860, d'une famille paysanne.
Enfant espiègle, sinon difficile. ll confie son désir
d'être prêtre, mais les autres sont sceptiques : "Toi,
quand tu seras prêtre, moi, je serai bien évêque
! ".
Cependant, avec son curé, il se met au latin. À 14 ans,
il entre en 7e au collège de Beaupréau. Ce ne fut pas
un brillant élève. À 2O ans il est mobilisé.
Revenu dans son collège, il passe son bac.
En octobre de la même année, il entre au Grand Séminaire
d'Angers. Ce n'est pas un intellectuel. Ce qui l'intéresse, c'est
la préparation au travail apostolique ; il dira aux jeunes pères
qu'il accueille en Afrique : " J'espère que vos études
sont terminées ; car, s'il vous reste encore quelque chose à
apprendre, il vaudrait mieux reprendre tout de suite la direction de
l'Europe ".
Par deux fois, il demande à son Évêque, Mgr Fréppel,
de pouvoir rejoindre les Pères Blancs du Cardinal Lavigerie.
Aucune réponse. Il va directement trouver l'évêque.
Ce dernier s'oppose au désir du séminariste (Il faut dire
qu'entre Mgr Fréppel et Mgr Lavigerie, le moins qu'on puisse
dire est qu'il n'y avait pas convergence d'idées, tant au point
de vue théologique que politique).
Une troisième lettre à l'évêque lui obtient
finalement l'autorisation de partir. En novembre 1878 il demande à
être admis chez les Pères Blancs. Il est ordonné
prêtre dans son diocèse, à Noël de cette même
année.
En janvier 1879, après avoir vaincu la résistance, sinon
l'opposition de sa famille, Il s'embarque pour Alger, avec un autre
jeune ordonné, l'abbé Pouplard, Sitôt arrivé
: messe à N. D. d'Afrique ; accueil chaleureux de Mgr Lavigerie
qui les reçoit à sa table. Le 11 février, à
la fin d'une retraite, ils reçoivent l'habit à Maison
Carrée. Leur noviciat commence.
Mgr Dupont (Jeune Père Blanc)
Le P. Dupont fut d'abord envoyé à Paris pour quelques
compléments d'études auprès de la Société
de Géographie. Mais au lieu de prendre aussitôt la route
de l'Afrique centrale, il est nommé en octobre 1880, professeur
au collège St Louis de Carthage. Il doit enseigner les sciences
; mais le bateau qui transportait ses bagages coule, avec toutes ses
notes. En 1885 il passe à N. D. d'Afrique où il enseigne,
jusqu'à sa nomination pour une mission toute nouvelle à
créer, celle du Bas Congo. Les pères comptent s'y rendre
par l'ouest du continent, par voie maritime.
- L'Afrique centrale par l'ouest.
Avec deux confrères, le Père Dupont embarque au Havre
le 22 juin 1885. Ils touchent Lisbonne, où les met en "
quarantaine " dans un lazaret. 21 jours de traversée les
mèneront à Banana, à l'embouchure du Congo.
Commence alors une longue série de déboires. Après
une remontée difficile du fleuve jusqu'à Boma ils arrivent
à Vivi alors que le bateau remontant vers Stanley pool vient
de partir. Pas d'autre bateau prévu, et on leur dit qu'il sera
très difficile de recruter des porteurs pour former une caravane.
Et de plus les bagages n'arrivent pas.
Des trois pères, l'un redescend le fleuve à la recherche
des bagages et un autre fait un violent accès de malaria dont
heureusement il réchappe. Dupont pour sa part cherche, sans succès,
à former une caravane. Il rassemble 37 porteurs, mais beaucoup
feront défection. après de nombreux allers et retours,
et de longs jours d'attente, Dupont finit par arriver seul à
Brazzaville, le 27 juillet, après 4 mois d'étapes morcelées.
On organise alors un nouveau départ mais Dupont lui - même
souffre d'une crise de malaria. Malgré tout il écrit :
" Après quelques jours passés avec eux, j'étais
enchanté de mes compagnons de voyage, et ils paraissaient eux-mêmes
m'être très attachés. Les journées étaient
agréables, les kilomètres s 'avalaient en chantant, et
le gibier nous fournissait un plantureux menu. Le dimanche, n'ayant
pas le bonheur de célébrer la messe, je me consolais en
donnant à pleine voix, au milieu de mes porteurs ébahis,
le Credo et le Magnificat, puis nous poursuivions l'étape "
(Pineau p. 33).
La caravane poursuit sa route, mais les porteurs s'égarent,
la famine règne dans la région traversée. Le 17
février 1886, les trois pères se retrouvent à Brazzaville.
On accepte enfin de prendre deux pères, sans bagages, sur un
petit vapeur jusqu'à Kwamouth, au confluent du Congo et du Kasai.
On y arrive le 13 octobre 1886, neuf mois après le départ
du Havre. L'équipe se retrouve bientôt au complet, plante
la tente, puis, courant avril, entreprend la construction du poste.
La joie sera, hélas, de courte durée.
Retour à la case départ
Le Cardinal Lavigerie avait vu très grand, se faisant confier
un immense territoire. En 1881, un accord avec les Pères du Saint
Esprit avait réglé certains problèmes de délimitation.
Bientôt, cependant, il y eut un conflit de " territoires
", qu'on demanda à Rome de trancher. Une nouvelle délimitation
fit que l'endroit où fondaient justement le père Dupont
et ses compagnons cessa d'être confié aux Pères
Blancs.
La nouvelle lui parvint le 6 mars 1887. La lettre disait : " Nos
limites viennent d'être fixées, vous êtes en dehors
; vous allez donc partir et, remontant le fleuve, rejoindre vos confrères
du Tanganyika ".
Une lettre suivante ajoutait :
" Vous n'aurez peut-être pas les moyens de faire ce grand
voyage. Le plus simple sera d'attendre sur place de nouveaux ordres
et continuer à travailler, quitte à remettre plus tard
la direction à ceux qui vous succéderont ".
Enfin une dernière lettre apportait la décision du Conseil
de la Société, décision prise à l'instigation
du Cardinal Lavigerie, le 20 décembre 1886 :
" Réflexion faite, il a été décidé
définitivement que vous irez au Tanganyika, mais en revenant
à Marseille par Boma " (Pineau, p. 36)
Le père Dupont fut atterré par cette décision.
Il était seul à la mission. Le 17 mars il remettait le
poste au Père Augouard, Supérieur des Spiritains, et commençait
à redescendre le Congo. Il écrit au Cardinal Lavigerie
:
" Cette mission nous a coûté bien des sacrifices,
mais le plus dur a été celui de la quitter. Nous aimions
tant nos noirs sauvages ! Qui nous aimaient bien aussi, car j'en ai
vu pleurer à mon départ. La Providence n'a épargné
que nos santés, sans doute pour que nous puissions supporter
ailleurs d'autres fatigues ". (Pineau p. 37)
À son arrivée en France, le P. Dupont se voit nommé
professeur, puis, peu après, supérieur, à l'École
apostolique de Saint Laurent d'Olt, dans l'Aveyron. Il ne se sent pas
fait pour l'enseignement, mais il y restera quatre ans.
Dans une lettre à ses supérieurs, à Alger, il
écrit, en 1891 : " Je ne peux me plaindre d'être malheureux
ce serait plutôt le contraire ; je craindrais que la tranquillité,
si antipathique à mes aspirations, ne me soit funeste. Si donc
un jour, il vous manquait un ânier pour quelque caravane, je vous
serais reconnaissant de penser à moi " (Pineau p. 39)
Son souhait est exaucé et en début d'année 1891
il est désigné comme chef de la dixième caravane
vers l'Afrique équatoriale.
III - Vers le NYASSA
Le 12 juin, Le Père Dupont s'embarque à Marseille, en
même temps qu'un groupe de Pères Blancs belges partant
pour le Haut-Congo. Ils débarquent à Zanzibar le 30 juin.
Parvenus à Bagamoyo, sur la côte, au sud de l'actuelle
Dar es Salam, il leur faudra un mois pour rassembler une centaine de
porteurs, non sans l'aide du gouverneur allemand de Zanzibar.
Xè caravane vers l'Afrique équatoriale.
Debout : Mr Andreas Mwangwe, Fr François, P.Engels, P. De Beerst,
Fr Stanislas.
Assis: P. Marques, P. Dupont, P. Roelens.
Le 27 juillet, la caravane s'engage sur la piste vers l'intérieur.
C'est alors un long cortège d'épreuves qui commence :
la malaria, la désertion de certains porteurs et la mort d'épuisement
pour d'autres. En chemin, des caravanes d'esclaves se joignent à
eux, pour profiter de leur protection et de leurs franchises, compagnie
bien encombrante de gens qui, bientôt, seront leurs adversaires.
On manque d'eau sur certains territoires désertiques : on se
précipite et on se bouscule pour boire dans les rares trous d'eau
Dans certaines régions le choléra s'est abattu sur les
troupeaux et on traverse de véritables ossuaires
La caravane
précédente de 7 000 porteurs (celle du gouverneur) a laissé
beaucoup de cadavres au bord du chemin. À tout cela s'ajoute
le souci des bagages, qui n'ont pas suivi comme il était prévu
: on manque un peu de tout.
Le 5 novembre, après avoir parcouru 800 km, la caravane atteint
enfin Kipalapala, un poste de pères Blancs proche de Tabora,
lieu de disjonction des caravanes et Procure pour les Missions du Nyanza
et du Tanganyika. Pour l'équipe du P. Dupont, c'est le temps
de faire étape, avant de repartir vers le Sud. Étape qui
dure 5 semaines, le temps de se refaire une santé, d'attendre
les bagages, et de recruter d'autres porteurs.
On se remet en route le 21 janvier 1892. 24 jours de marche rapide,
et la caravane atteint Karema, sur le lac Tanganyika. Ce voyage est
plus facile, à travers un territoire plus peuplé et plus
giboyeux. Le 14 février, accueil très chaleureux de Mgr
Lechaptois, vicaire apostolique à Karema. Malgré les souffrances
endurées Dupont souligne les bons côtés de ces longs
mois de voyage :
" Grâces soient rendues au Bon Maître ! Malgré
la fatigue et les ennuis de la route, la gaieté la plus entraînante,
la charité fraternelle la plus franche n'ont cessé d'animer
notre caravane, et de faire vraiment de nous un seul cur et une
seule âme. Cette vie de communauté a toujours été
notre force et notre vraie consolation, et n'a pas manqué de
provoquer chez nos hommes un véritable étonnement "
(Pineau, 45).
Durant 3 ans et demi, le P. Dupont travaillera à Karema, au
Tanganyika, avant de s'engager plus avant vers le Sud, vers son pays
Bemba.
Au Tanganyika
Les pères étaient à Karema depuis sept ans déjà.
Le poste comptait plus d'un millier de catéchumènes. Les
moyens de subsistance consistaient en un nombreux troupeau, de vastes
champs, et même une scierie et une briqueterie. On va entreprendre
la construction d'une église et de la maison des pères..
Le P. Dupont, en l'absence de Mgr Lechaptois, est partout actif, efficace.
Le P. Guilllemé, de passage à Karema, écrit :
" Je viens de passer cinq jours bien agréables dans cette
mission dirigée par le Père Dupont, dont l'activité
sans égale lui a fait donner le beau nom de MOTO-MOTO (le feu,
au superlatif !). Physicien émérite, s'il n'a pas découvert
le mouvement perpétuel, il le pratique
Les jours passent
vite en compagnie de ce charmant conteur, seules les jambes auraient
droit de se plaindre en arpentant les grandes plantations et cultures
dont il a doté la mission " (Pineau p. 48-9)
La méthode de Dupont : gagner d'abord les bonnes grâces
des chefs, s'attirer la confiance des vieux des villages et ensuite
gagner la masse des gens. Sa prestance en impose, sa bonté gagne
les curs. Autre chose lui attire la sympathie des chefs et de
la population : alors que les razzias d'esclaves continuaient dans la
région, la mission protégeait les populations voisines.
Le poste devenait aussi un point de contact des chefs locaux avec l'administration
coloniale, et un lieu de rencontre pour débattre de questions
importantes, comme la désignation d'un nouveau chef. Suivait
d'ailleurs une véritable cérémonie de " couronnement
" prières, médailles, manteau
tout y était.
Venaient alors le repas de fête et les danses.
Mais le Père Dupont a épuisé ses forces. Un fort
accès de malaria déclencha une crise d'hématurie.
On lui donna le sacrement des malades. Déjà on avait pris
toutes les dispositions pour les funérailles mais finalement
le malade se rétablit. Peu après, il écrit, non
sans humour :
" Je viens de lire tout au long le détail de mes funérailles,
comment il fallait m'habiller, où je serais exposé, qui
devait me garder ; on allait même jusqu'à mobiliser tous
les chefs. C'est charmant. Enfin, tout le protocole est réglé
pour la prochaine fois, qui ne sera peut-être pas éloignée
Inutile d'ajouter que je suis content de vivre ou de mourir, et j'espère
bien laisser, quelque jour, mes pauvres os dormir sur le bord des grands
lacs, jusqu'au jugement dernier " (Pineau, p. 55).
À peine remis, Dupont se voit confier l'administration du vicariat
en l'absence de l'évêque. Ce dernier lui a donné
mission de fonder une nouvelle station dans l'Ufipa. L'annonce de la
Bonne nouvelle se poursuit. Dans la mentalité de cette époque,
cela voulait dire aussi pour Dupont, comme l'exprime le P. Pineau :
"Dans ces têtes habituées à n'entendre que
le mensonge, les Vérités chrétiennes entrent bien
péniblement, mais le catéchisme se fait régulièrement
; les fils du roi et de plusieurs ministres l'apprennent avec une réelle
bonne volonté." (P. 55).
À leur arrivée dans l'Ufipa, les Pères apprennent
qu'on a monté contre eux et effrayé toute la population,
les présentant comme chasseurs d'esclaves ou conquérants
européens. Leur arrivée met fin à ces calomnies
et remplit de joie les gens qui les reconnaissent. Le vicaire apostolique
décrit comme suit la lutte contre les " superstitions païennes
" :
" L'instruction religieuse porte déjà ses fruits
; en plus d'un endroit les catéchumènes rejettent ouvertement
les fétiches et les pratiques superstitieuses. Les païens
eux-mêmes, devenus hardis contre leurs propres divinités,
ne craignent pas de mettre la hache à la racine de leurs arbres-fétiches.
" (Pineau p. 57-8)
Mgr Lechaptois voulait fonder une mission en pays Bemba. Après
une réunion de consultation, il annonça qu'il nommait
le Père Dupont chef de la Mission du NYASSA. Ils partirent 4
jours plus tard vers le Pays Bemba. Commentaire du Diaire du 16 mai
1885 :
" Ce soir, à 9 heures, le cher Père Dupont a quitté
Karema où il a exercé son zèle pendant trois ans
et demi. Il y a construit une magnifique maison pour les Missionnaires,
il laisse de superbes plantations, il s'est dévoué sans
ménagement à faire pénétrer l'évangile
parmi les Wabende, les Wafipa, et même dans les tribus les plus
éloignées. Il a développé chez nos gens
le sentiment religieux et l'habitude du travail. Le Bon Dieu qui connaît
ses mérites peut seul récompenser ses grandes fatigues
et ses courses incessantes. S'il a su se donner, il a su aussi se faire
aimer, et gagner confiance et sympathie de tous les chefs qu'il a approchés.
Quant à nous, tout en regrettant pour Karema son énergique
activité, son inlassable bonté, et son grand savoir-faire,
nous sommes heureux de le voir à la tête de la difficile
mission du Nyassa ; il est bien l'homme de la Providence pour triompher
de tous les obstacles que suscitera cette pénétration
des Bamemba et des riverains du Bangweolo ". (cité Pineau
p. 58-9)
IV - Fondation au Nyassa
Un bref rappel d'histoire
Vers la fin de 1888, des rébellions avaient soulevé une
bonne partie du centre africain sous l'influence des esclavagistes.
Les Missions étaient en danger, la piste de Tabora était
coupée. À ce moment-là, Lavigerie reçut
du gouvernement portugais des propositions avantageuses pour l'établissement
des Pères Blancs plus au sud, dans le territoire que les portugais
considéraient comme leur appartenant. Le Portugal visait à
établir une jonction directe entre l'Angola et le Mozambique.
Lavigerie accepta et 5 missionnaires débarquèrent à
Mozambique, puis Quilimane (point de départ de caravanes vers
l'intérieur), le 21 août 1889.
....
agrandir: 1889-1911 Vicariat apostolique du Nyassa
Mais les Anglais furent surpris et choqués de cette installation
d'une Mission catholique portugaise dans leur zone d'influence (et de
commerce). Le heurt fut inévitable, les Portugais cédèrent
en 1890. Le Nyassaland devenait colonie britannique.
Les pères blancs arrivèrent à Mponda quinze jours
avant l'ultimatum anglais. Ils furent accueillis très froidement,
on s'en doute, et par le consul britannique et par les chefs locaux.
Ils restèrent cependant 18 mois à Mponda. Le Père
Mercui, présent dans cette équipe, regagna Maison Carrée
pour expliquer la situation et demander des directives. Un courrier
apporta la réponse en juin 1994 : monter plus au nord, vers le
Tanganyika. Obéissants, les pères parcoururent 8OO km
dans l'inconnu, jusqu'à Mambwe, petit pays mais lieu de passage
et de communication. Mais la petite communauté fut démembrée.
Mgr Lechaptois était nommé vicaire apostolique du Tanganyika.
Le père van Oost venait compléter l'équipe. En
l'espace de 4 ans, ses deux prédécesseurs étaient
morts, ainsi que 15 autres pères et frères.
Fondation
Les premiers contacts avec divers chefs Bemba furent difficiles. Les
pères, après avoir souvent reçu un accueil hostile,
réussirent finalement à gagner la confiance d'un chef,
Kitika, qui leur montra de la bienveillance. Les pères s'installèrent
à Mambwe, sur la frontière du Tanganyika. Mais une rude
épreuve frappe la mission : le 16 avril 1895, le P. van Oost
mourait d'une violente hématurie. Quelques semaines plus tard,
Mgr Lechaptois, informé, arrivait à Mambwe, amenant avec
lui le Père Joseph Dupont, qu'il venait de nommer responsable
de la mission du Nyassa.
J. Dupont : un portrait - Le P.Pineau trace un portrait du père
Dupont à cette date. Retenons-en l'essentiel :
" Âgé de 45 ans, il était dans toute la force
de son active maturité. Taille moyenne, épaules larges,
robuste
Grand conteur plein de verve, à la parole facile
et à la mimique expressive
Tempérament nerveux
Infatigable, bon nageur, très bon chasseur. Très doué
manuellement, constructeur habile
Grande mémoire des noms
et des visages
Facilité d'adaptation
Entrain et bonne
humeur. Crânerie devant le danger, un bon entraîneur. Beaucoup
de " dignité " et de prestance. Bref, un bel ensemble
de qualités. Et, là-dessus, une inlassable charité.
Chez les Bemba
Mambwe - Mipini - Kayambi
Mambwe n'était pas un lieu de tout repos, loin de là
! Les attaques nocturnes et les escarmouches étaient fréquentes.
À quel chef se vouer, où s'installer en sécurité
? La rivalité était constante entre Bamwembe et Babemba.
Chef Makasa Mwelwa
Les échanges de cadeaux étaient souvent ambigus, signes
de bon accueil ou fin de non-recevoir ? Les pères se risquent
jusqu'à Mipini où règne le souverain Makasa. Échange
de cadeaux et de bonnes paroles. Mais Makasa ne veut pas accueillir
les pères chez lui sans l'autorisation de son chef. Et l'opposition
de ce dernier est d'abord totale. Le P. Dupont soigne les malades, selon
son habitude. L'attitude de Makasa change. Toutefois, pour ne pas prolonger
l'insécurité des habitants de Mipini, les missionnaires
jugèrent préférable de s'installer ailleurs, mais
assez près de Mipini, pour maintenir le contact avec Makasa.
Ce dernier, enchanté de cette solution, concéda à
Bwana Moto Moto (Dupont) un terrain sur une hauteur proche, au lieu-dit
KAYAMBI ; Les Pères y arrivèrent le 23 juillet 1895, et
fondèrent ainsi la mission de " Notre Dame des Anges ".
Dès le lendemain le Frère Antoine et le P. Dupont commencèrent
les constructions et les cultures. La saison des pluies était
proche. Les quatre missionnaires vécurent deux mois sous la tente,
dans des conditions difficiles. Fin septembre, ils pouvaient s'installer
dans leur maison provisoire. L'hostilité du Kitimoukoulou restait
totale. Mais le vieux chef mourut le 20 mai 1896, et son successeur
se montra beaucoup plus conciliant.
Comment les missionnaires voyaient-ils les Bemba ?
Bemba Power
Derrière un apparent désordre, il y a dans cette population
une solide structure sociale et politique. Les chefs jouissent d'un
pouvoir absolu. Les Pères parlent d'une politesse rare. Au point
de vue religieux, les Bemba sont monothéistes, mais, selon le
vocabulaire et la mentalité de l'époque, les Pères
voient partout superstition et sorcellerie :
" On honore beaucoup moins le bon Lesa (Dieu) qu'on ne craint
les esprits. Et là nous retrouvons les superstitions du paganisme,
les incantations et la magie, et les sorciers, cette plaie des sociétés
païennes " écrit J. Thérol (p. 64).
On traitait volontiers les Bemba de " brigands " ; Certes,
leurs traditions retenaient beaucoup d'exploits sanguinaires et ce peuple
de guerriers se livrait fréquemment au pillage de l'une ou l'autre
peuplade voisine. Dupont écrit, dès son premier contact
avec les Bemba :
" Nous avons trouvé une race d'hommes d'une force et d'une
régularité de traits peu commune chez les nègres.
Leur air intelligent et noble, leurs manières polies et même
distinguées, leur calme énergie, les mettent beaucoup
au-dessus de tous ceux que j'ai vus depuis Zanzibar jusqu'ici. Ils se
sont montrés fort affables avec nous et mon vif désir
est de l'établir au plus vite chez ces chers Babemba ".
(Pineau p. 94)
Et il voyait déjà en eux de bons et solides chrétiens.
Le P. Louis Oger ajoute " ils trouvèrent une population
fière qui n'avait plié le genou devant personne ".
Premiers travaux apostoliques
Le soin des malades : les pères guérisseurs - Et la tente
devint dispensaire, entouré de cases pour les malades "
hospitalisés ". Les pères passaient le plus clair
de leurs journées dans leur dispensaire - hôpital. Ils
se firent une solide réputation de guérisseurs. Ce travail
devait gagner la confiance des Babemba et les pères y gagnèrent
une réputation de " sorciers-guérisseurs ",
bénéfiques et très puissants.
Puissants protecteurs contre les sauterelles - Le diaire du
poste raconte :
" Pour la troisième fois, nous recevons la visite des sauterelles
; deux fois elles sont venues à la limite de nos cultures, mais
ont rebroussé chemin. Aujourd'hui elles planent au-dessus pendant
deux heures. Le P. Dupont fait alors des exorcismes et en moins d'un
quart d'heure nos champs sont évacués. Nos nègres
en sont ébahis et ne manquent pas de constater que notre Dieu
est puissant. D'ailleurs, depuis plusieurs mois, la protection du ciel
est visible ; les sauterelles ont fait tout le tour de la station sans
y entrer, et les semences que les sauvages et leurs chefs avaient fait
bénir sont épargnées ". (cité par Pineau
P. 19)
L'année 1995 fut une année de famine dans la région.
Les pères purent secourir beaucoup de gens.
Accueil et visites - Allées et venues continuelles pour
visiter les gens car les missionnaires n'attendent pas qu'on vienne
les voir. Ils rendent eux-mêmes beaucoup de visites dans les villages.
Le souci de Mgr Dupont était d'être proche des gens et
de leurs soucis quotidiens. Mgr Dupont dira un jour aux Surs Blanches
:
" Pour être missionnaire, il faut savoir perdre son temps.
Vous recevrez de nombreuses et interminables visites, il faudra faire
bonne figure à tout le monde ; sans quoi, vous seriez bientôt
seules et sans influence. Dans ces conversations, ne craignez pas d'aborder
les questions religieuses, elles sont toujours bien reçues par
les Babemba. Ces conversations et réceptions furent pour nous
le point de départ de la Mission ". (Pineau p. 109)
L'évangélisation par les Jeunes - Dupont prit
contact avec les villages et recruta des jeunes gens pour l'école,
qui devint une sorte de pensionnat comptant jusqu'à 150 internes.
L'école était dirigée par le P. Guillé.
Les études restaient assez rudimentaires, Mgr Dupont ne voulait
pas de jeunes "déracinés ou pédants "
; il fut longtemps réticent avant d'ouvrir une véritable
école de catéchistes où la formation devait être
plus poussée.
Des hommes de Dieu - La prière occupait une grande place
dans la vie des missionnaires. La population locale s'y joignait régulièrement.
Ces assemblées de prière devinrent une caractéristique
des missions des Pères Blancs dans la région.
Les premiers baptêmes - Les pères respectaient
la consigne formelle des quatre ans de catéchuménat. Au
début, ils ne baptisèrent que les adultes en danger de
mort qui le demandaient.
Les acteurs - Quatre pères et un frère, qui mourra
d'une hématurie quelques semaines après son arrivée
à Kayambi. En septembre 1896 arriva un renfort de 4 missionnaires.
Hélas, peu de temps plus tard mourait le P. Guillé. Le
P. Goestouwwers qui le remplaça à l'école mourut
5 mois plus tard, à l'âge de 30 ans.
V - Mgr Dupont Évêque
Mgr Lechaptois restait l'évêque (on disait alors "
vicaire apostolique " dans les " territoires de mission ").
Rome décida de donner son autonomie à la " mission
du Nyassa " en nommant le Père Dupont administrateur du
" provicariat " du Nyassa. C'était en janvier 1896.
L'année suivante la Mission du Nyassa était érigée
en Vicariat Apostolique. Le 16 février, le P. Dupont était
nommé évêque titulaire de Thibar : Thibar est le
nom d'un ancien évêché de l'Afrique du Nord chrétienne,
en Tunisie actuelle. C'était la coutume de désigner un
évêque non titulaire du nom d'un de ces anciens évêchés.
Les Pères Blancs avaient leur scolasticat (maison de formation)
à Thibar. C'est là que Mgr Dupont passera, en retraite,
les vingt dernières années de sa vie.
Quelles sont les réactions de Mgr Dupont devant cette nouvelle
responsabilité ? Il écrit à un ami : " L'âne
ne se préoccupe guère de la richesse des harnais, il ne
voit que son fardeau ". Ses lettres, en ces jours-là, disent
ses sentiments d'humilité et d'obéissance, et surtout
son espérance pour l 'avenir de la mission.
Mgr Dupont choisit pour devise " accendatur ", verbe latin
signifiant " qu'il soit embrasé ! ". Il veut parler
dans ce souhait du pays Bemba. C'était comme la traduction du
surnom qu'on lui donnait : " Bwana Moto Moto : Seigneur le Feu
". Mgr Lechaptois vint à Kayambi ordonner le nouvel évêque,
le 15 août 1896, dans l'église en briques recouverte encore
d'un toit de paille.
Mgr Dupont n'avait pas une santé bien brillante. Trois hématuries,
le foie délabré, des crises de rhumatismes assez fréquentes
et douloureuses. À 47 ans, il se voyait déjà comme
"un vieux bonhomme". Il faut s'en souvenir lorsqu'il raconte,
par exemple, les péripéties de ses déplacements
et tractations avec les chefs pour fixer l'implantation de la station.
La mort du roi et la " donation " de son
royaume à Mgr Dupont
Le mercredi 12 octobre, l'évêque va rendre visite au roi
Mwamba. Il le trouve très malade. Mwamba fait approcher son hôte
et lui dit, selon ce que rapporte Mgr Dupont :
" Si vous me guérissez, je vous donne la moitié
de mon royaume. Si je dois mourir, vous serez le maître du pays
et vous protégerez mon peuple contre ceux qui voudraient le massacrer
". (Pineau p 154)
Les conseillers du roi ont alors proposé de faire venir l'évêque
pour les protéger. " Oui, répond le roi, Bwana Moto
Moto est le seul homme qui m'ait regardé en face et qui n'ait
pas eu peur de moi ; faites-le venir ! " (Pineau p. 155)
Il faut ici tenir compte du contexte culturel de l'affaire. L'opinion
commune est que la mort n'est pas, si l'on peut dire, naturelle. Quelqu'un
en est jugé responsable. Qui ? Globalement le peuple, et plus
précisément les membres de la famille royale. Vengeances
et règlements de compte risquent de se multiplier. On parle volontiers
de pillages des biens du roi, et de véritables massacres. Le
" prétexte " invoqué, c'est qu'il faut donner
la paix au roi défunt. En tout cas, beaucoup craignent le pire,
et voudraient, grâce à l'influence et au grand prestige
de l'évêque, éviter les débordements.
Mgr Dupont propose au roi d'aller s'établir à une journée
de la capitale. Le roi s'y refuse : " Mon peuple n'aura pas le
temps de vous rejoindre, il sera tué en route ". On convient
alors de se fixer à MIROUNGOU, distant seulement de 3 km. Le
roi meurt le 24 octobre. Les pillages commencent. Beaucoup d'hommes
se précipitent vers Mgr Dupont pour qu'il les protège.
Les gens apeurés se regroupent autour de l'évêque.
Celui-ci note :
" Je finis par prendre mon rôle au sérieux. Je suis
déjà assez au courant de ma situation pour expédier
une foule d'affaires à la satisfaction de mes sujets. Ma capitale,
née d'hier, est aujourd'hui une des plus grandes agglomérations
du Centre Africain ; elle couvre environ trente hectares, et les gens
sont encore entassés les uns sur les autres ". (Pineau 164)
Huit mille personnes, précise le Père Boisselier. Après
avoir consulté une assemblée de chefs locaux, Dupont écrit
le 26 octobre au Gouverneur britannique pour l'informer de la situation,
le rassurant sur sa loyauté. Il informe également Mgr
Livinhac, supérieur général des Pères Blancs
à Alger, de la situation insolite où les circonstances
l'ont placé.
Mfoupa, qui était l'héritier présomptif, s'est
livré à des pillages. L'assemblée des chefs l'oblige
à réparer les dommages. Peu de temps après, le
conseil décide la reprise des cultures, signe que la paix et
la sécurité sont revenues.
Restent les sérieux problèmes de santé du nouveau
" roi ". À Kayambi, en 1898, il écrivait déjà
: " Je suis constamment malade, fort anémié, je suis
même contraint d'emprunter la plume charitable d'un confrère
pour vous adresser ces lignes " ; (Lettre d'août 1898 citée
Pineau p. 152 note).
Fièvre et rhumatismes le font toujours beaucoup souffrir. Lui-même
note :
" Je souffre atrocement dans les jambes, un de mes pieds est enflé,
mais comment pourrais-je me soigner, ma tente est assiégée
du matin au soir. " (Pineau 169)
Le même Père Pineau, biographe, note fièrement
:
" Ainsi donc, en quelques semaines, la situation de la Mission
était complètement retournée ! Les missionnaires,
désemparés sur le Kyambeshi, repoussés de tous
côtés, sont maintenant désirés et appelés
par tous
L'évêque, que ni Mwamba ni Kitimoukoulou
n'avaient voulu recevoir, est devenu roi légitime de l'Itouna,
et c'est avec enthousiasme que le peuple se serre autour de lui, et
que les chefs le reconnaissent. (p. 171).
Chilubula: le matin après la mort du roi Mwamba
Mgr Dupont ROI ?
Il est fréquent en Afrique, qu'un personnage proche de la mort,
confie les siens ou ses " sujets " à un ami, un homme
de confiance. Celui-ci devient-il chef de famille au sens fort ? Il
ne semble pas. Que Mgr Dupont ait joué ce rôle de protecteur,
de père et même de roi, c'est évident. Il dit lui-même
: " Je finis par prendre mon rôle au sérieux ".
Bien plus tard, en 1926, le vieux Kaliimanshila répétait
:
" C'est devant tout le monde que Mwemba a parlé et toutes
les oreilles ont entendu ses paroles :'Bwana, si je meurs, mes enfants,
mes femmes, mes biens, je te les lègue ; mes gens, tu les gouverneras
; mon royaume est à toi ". (cité par Pineau p. 181)
Et le Père Pineau signale :
" Le 15 janvier 1899, Mgr Dupont rédige un acte dans lequel
les gens de la maison du roi attestent, en le signant de leurs pouces,
que Mwamba l'a nommé son successeur, avant l'arrivée de
tout européen. C'est cette attestation vraiment authentique de
sa royauté que Mgr avait léguée comme souvenir
au Petit Séminaire de Beaupréau. Cette pièce a
malheureusement disparu en 1906, lors de l'expulsion du Séminaire
". (Pineau P. 181)
Il est arrivé fréquemment à un missionnaire en
Afrique qu'on dise de lui " c'est mon père ". tout
le monde comprend. Mgr Dupont fut " roi " comme ses sujets
Bemba furent des " brigands " ! Mais on sait que Mfoupa fut
le réel successeur désigné du roi défunt.
Mirungou
Le poste de mission fut établi à quelque 20 km de Mirungu.
Peu de temps après, visite du successeur officiel de Mwamba,
qui avait tenu conseil et programmé la mort de quelques dignitaires
pour apaiser les mânes du roi défunt. Mais il fallait l'accord
de Bwana Shikofou, l'évêque. Ce dernier s'opposa fermement
à ce qu'une goutte de sang fût ainsi versée. En
souvenir de cette protection, la nouvelle station fut appelée
Chilouboula (on disait alors Kilouboula) ce qui veut dire : " La
délivrance ". Aussitôt commença la construction
de l'habitation des missionnaires, et d'une vaste église.
Première église de Chilubula,
Si la qualité laisse à désirer, c'est que cette
photo date de plus d'un siècle. C'est un document d'archives,
comme les autres photos des qui datent du XIX° s.
Assez vite les pouvoirs de Mgr Dupont furent précisés
avec exactitude par l'administrateur Britannique. Mgr Dupont dut cependant
batailler pour obtenir l'ouverture d'une nouvelle station au sud, dans
le Nzenga, ce que lui permettait l'arrivée d'un groupe de nouveaux
pères blancs.
VI - Retour en Europe
Le 4 août 1898, Mgr Dupont écrivait à Mgr Livinhac
: " Je me sens bien fatigué, et si vous n'y voyez aucun
empêchement je compte prendre en janvier le chemin de l'Europe
". Il était plus explicite dans une lettre du 23 septembre
:
" Ma pauvre loque est tout en morceaux et ne vaut pas deux yards.
Pourquoi ne m'enverriez-vous pas le Père Guillemé. La
langue qu'il parle diffère peu du Kibemba. C'est un vieux missionnaire
qui sait prendre les gens et qui fera de l'Oubemba ce qu'il voudra.
Moi, j'ai trop souffert, et mes 50 ans commencent à me peser
bien lourdement sur l'échine. Je n'ai plus l'entrain et la gaieté
qu'il faudrait ici ". (Pineau p. 194).
Le Père Guillemé fut nommé administrateur du Vicariat
en août 1899. Ce dernier comptait alors 8 pères et 4 frères,
et trois postes de mission : Kayambi, Kilouboula et Kilonga. Le 15 octobre,
l'évêque put bénir la nouvelle église de
Kilouboula. Le lendemain il partait pour l'Europe. Il débarqua
d'abord à Alger le 22 février 1900 suivant. Il marchait
avec des béquilles. Il participa au Chapitre général
des Pères Blancs, puis regagna son Anjou natal.
À l'automne, consultation médicale à Paris : "
Je véhicule, paraît-il, des maladies inconnues en Europe.
Une consultation aura lieu aujourd'hui. À trois, ils vont se
mettre sur ma pauvre carcasse ! À quoi réussiront-ils,
à me guérir ou à me tuer " ? (Pineau p. 200)
Il devait rester quatre ans en Europe, multipliant les soins et les
cures, sans guère de succès. Il rêvait d'un retour,
mais finissait par se décourager. Il s'employa à demander
et obtenir de nouveaux missionnaires pour le Nyassa. Des Pères
Montfortains purent se maintenir dans le sud et, en 1903 fut érigée
une préfecture apostolique autonome.
Il obtint également la venue d'une communauté de quatre
Surs Blanches. Il ne put, malgré son désir, être
le guide de leur caravane. Il finit par offrir sa démission,
mais celle-ci fut refusée. Il commença aussitôt
à préparer son départ pour le Nyassa.. Il s'embarqua
à Marseille le 30 avril 1904, pour débarquer à
Chindé (embouchure du Zambèze) le 4 juin, et parvenir
à Blantyre où l'attendait le P. Guillemé. Son voyage
est bien ralenti par des ennuis de santé
Il fut accueilli triomphalement à Chilouboula. Mais la réalité
le déçut assez vite. Il avait rêvé de foules
de chrétiens. Or la moisson état peu abondante, le travail
des missionnaires très dispersé. Les postes du sud connaissaient
alors un plus grand succès.
Mgr réalisa qu'il fallait à tout prix des catéchistes
bien formés. Ses réticences de jadis étaient dissipées.
Il confia l'école de catéchistes au Père Guillemé.
Il choisit de former des catéchistes-itinérants plutôt
que des catéchistes-instituteurs, établis à demeure
près de leur école. Fin 1905, 342 catéchistes avaient
été ainsi formés. Ce type de formation devait entraîner
quelques difficultés quand l'administration exigea une formation
plus poussée des enseignants.
VII - La retraite à Thibar
(Tunisie)
Après ses quatre années en France, Mgr Dupont avait préparé
son retour sans trop d'illusions. Il écrivait à un ami
:
" Il faut en prendre son parti. Je suis comme ces vieux habits
dont l'étoffe est brûlée par l'usage ; ça
ne se raccommode plus, on les renouvelle. Soyez donc assuré que
je ne vis pas dans le luxe des illusions ; mais un vieux serviteur se
doit d'être fidèle jusqu'au bout, et de mourir auprès
de ceux qu'il a essayé de servir de son mieux. C'est là
ma force, comme aussi ma consolation ". (Pineau p. 251)
Une fois sur place il ne put s'empêcher de reprendre son rythme
de jadis, ses déplacements et ses travaux. Mais très vite
les crises recommencèrent. Il frôla plusieurs fois la mort.
Pourtant dès qu'il y a un mieux, le voilà reparti
En avril 1905, il écrit à Mgr Livinhac :
" Je ne suis plus guère qu'une ruine. Depuis mon retour,
j'ai passé sur mon lit les deux tiers du temps. Cette lettre
est la première que j'écris de ma main depuis longtemps.
En ce moment il y a un mieux, mais l'expérience m'a appris que
ces accalmies sont bien transitoires.
Je m'attendais bien à cela en revenant ici, aussi je suis content
d'une situation que j'ai acceptée et que j'accepte encore de
grand cur ! Une chose cependant me peine : je ne suis jamais à
la Règle avec la Communauté, et c'est un bien mauvais
exemple. Je redoute parfois le scandale qui pourrait en résulter.
Tout travail intellectuel m'est impossible, et j'ai tellement perdu
la mémoire que depuis cinq mois que je suis ici (à Chilouboula)
je n'ai pu apprendre à connaître les familiers de la maison.
Cela me gêne beaucoup dans les relations avec les indigènes.
Enfin, Deo gratias ! ". (Pineau p. 252)
Les critiques se multipliaient. On le disait diminué, inapte
à continuer de remplir sa fonction. Il le savait, Il en souffrait,
et parfois réagissait mal ; ce qu'il regrettait ensuite : "
Je m'excuse, j'étais contrarié, et j'ai pensé tout
haut, c'est de ma part, je l'avoue, une faute sérieuse. (ibid
254). Il part pour une tournée très fatigante dans les
missions du sud ; Voyage épuisant, qui le laisse à demi
mort.
La conclusion s'imposait. Il la tire dans une lettre à ses supérieurs,
en avril 1904 :
" Le Vicariat du Nyassa gagnerait à passer en de meilleures
mains. 'Non recuso laborem ; (Je ne refuse pas le travail -- formule
qu'on prête à l'évêque saint Martin de Tours)
mais je crois qu'un changement serait avantageux pour cette mission.
Ne vous inquiétez pas de moi, je n'irai pas grossir le nombre
des invalides au Sanatorium. Je peux aussi bien mourir ici qu'ailleurs,
et en attendant l'heure de la Providence, je tâcherai de ne gêner
personne.
Si vous le jugez bon, vous pouvez prendre ces lignes comme une démission
et faire les démarches en conséquence. Ce sera un grand
service que vous aurez rendu au Vicaire apostolique et au Nyassa ".
Cité par Pineau, p. 255)
Mgr Dupont nomme le Père Guillemé Vicaire Général.
Il envisage la division du Vicariat en deux, le Bangweolo au Nord, le
Nyassa au sud. Il pourrait garder le Nord, qu'il connaît mieux,
et dont il parle la langue. Il ajoute qu'il est prêt à
aller de bon cur là où on l'enverra. Mais en février
il apprend qu'on en a décidé autrement : une nouvelle
Préfecture du Bangweolo est érigée au Nord, tandis
que le vicariat du Nyassa, au sud, garderait son actuel titulaire. Il
en fut navré et blessé. Il écrit au Père
Girault, son ami, alors membre du Conseil Général des
Pères blancs à Maison Carrée, une lettre qu'il
faut citer intégralement :
" Je reçois la lettre que vous m'écrivez au nom
de notre Vénéré Supérieur Général.
Vous m'imposez, sans vous en douter, le plus grand sacrifice que j'ai
eu à faire dans ma vie. Dans le Nord, tout le monde me connaît,
je sais la langue, mon influence est grande dans tout le pays. Je suis
attaché à ces missions par toutes les fibres de mon cur
Dans le sud, je ne connais pas les gens, je ne parle pas la langue,
et je n'ai aucune influence. Ces quatre missions, si intéressantes
qu'elles soient, écrasées par les Protestants comme dans
un étau, sont sans possibilités d'extension et elles ne
conservent leurs positions que par une lutte quotidienne et acharnée.
Ce sont des procès incessants auprès des autorités
civiles. Il faut là un Vicaire apostolique qui parle anglais
et qui ait la main très ferme. Deux choses qui me font absolument
défaut.
Le chagrin de quitter mes Babemba, uni à d'autres souffrances
que la Providence a permis ces derniers temps, contribuera plus que
toute autre chose à ruiner le reste de mes forces. [
] Assurément,
je dirige déjà ces missions de l'Angoniland, mais de loin..
Quand je serai sur place, à poste fixe, je serai par force jeté
dans une mêlée où je ne puis tenir ma place.
Ne croyez pas que j'hésite à obéir, mais j'ai
cru de mon devoir de vous présenter ces observations, que d'ailleurs
j'avais déjà faites. Je ne suis pas l'homme qu'il faut
pour faire des Missions de l'Anginiland un Vicariat, tandis que dans
le Nord j'ai une autorité si reconnue et si étendue, que
je puis encore rendre quelques services.
Après avoir écrit ces lignes, pour acquit de conscience,
je me remets entre les mains de notre Vénéré Supérieur
Général et de son Conseil ; je ferai de mon mieux ce qui
me sera ordonné. J'espère que le Bon Dieu me fera la grâce
d'une prompte et complète obéissance ; c'est ce que je
lui demande tous les jours et ce que je vous prie de demander pour moi
Agréez, mon révérend Père et cher Confrère,
la respectueuse expression de ma fraternelle et toujours bien cordiale
amitié.. (Pineau p. 257-8)
Mgr Livinhac proposa alors à Mgr Dupont de donner sa démission.
Sans tarder, ce dernier envoyait à Rome sa demande officielle
de démission, le 18 octobre 1910 :
" Je ne sais pas, écrit-il, l'amour d'une mère pour
ses enfants, mais je connais celui d'un cur d'évêque
pour ses noirs Brigands, et je crois pouvoir dire qu'il n'en est pas
de plus fort " (Pineau p. 258)
Fin février, la démission était acceptée.
Fin avril, on apprenait la nomination de Mgr Guillemé comme Vicaire
Apostolique du Nyassa. Et le 5 septembre 1911 Mgr Dupont reprenait pour
toujours le chemin de l'Europe. Il avait alors 61 ans. Fin 1911 il débarque
à Marseille. Il pensait en avoir encore pour quelques années
paisibles, se préparant à la mort. Il en aura encore pour
vingt ans ; sa santé se rétablit, pour l'essentiel. Il
choisit comme lieu de retraite Binson, dans la Marne (France), où
se trouvait alors le Séminaire de Philosophie des Pères
Blancs. Il aimait ce milieu de jeunes.
Ila aidait les évêques des environs pour les confirmations
; il se fit ensuite vicaire du curé de Gesté, sa paroisse
natale, durant la guerre de 1914. Mais très vite, il souhaita
se retrouver en famille, dans une communauté de Pères
Blancs. Et ce fut Thibar, le lieu où jadis s'élevait la
ville de son titre épiscopal. Le scolasticat des Pères
Blancs et le domaine agricole voisin se trouvaient là, à
120 km de Tunis. Il y mena la vie d'une paisible retraite, d'une régularité
exemplaire.
Que dire de ces vingt années de retraite ? Mgr Dupont eut l'occasion
d'aller faire les ordinations des Jeunes Pères Blancs, à
Carthage, et d'aller à Maison Carrée (Alger) pour l'ordination
épiscopale de Mgr Sauvant, nommé évêque à
Bamako. Mais, pour l'essentiel, note le Père Pineau : "
A Thibar, Mgr Dupont vivait de ses souvenirs, il priait, et il souffrait
en silence pour ces chers Babemba ". (p. 266)
Il se sent comblé d'apprendre le baptême de ses anciens
" brigands " comme il dit. Il embellit d'ailleurs volontiers
l'image de ces chers Babemba. Il reste fidèle à son image
du " missionnaire de base " ; il rappelle volontiers ce qu'il
disait :
" Ne m'envoyez pas de ces missionnaires qui savent tout faire
et tout juger, ce sont des démolisseurs. Les vrais ouvriers qu'il
nous faut ici, ce ne sont point ceux qui veulent être 'attelés
' tout seuls, pour faire 'leur uvre', mais de vrais Pères
Blancs, qui aiment à se perdre dans l'anonymat de l'apostolat,
pour faire uniquement l'uvre de Dieu" (Pineau 276).
Fidélité exemplaire aux " exercices de piété
", comme on disait alors ; désinté-ressement total
; travail dans son petit jardin. Il passait des journées paisibles,
aimable avec tous. En juillet 1928, il put célébrer ses
cinquante ans d'ordination. Le 15 mars 1930, il travailla dans son jardin,
mais le soir, il prit froid. On ne le vit pas à l'oraison le
lendemain matin. Il put se lever, accueillir son confesseur, recevoir
la communion en viatique. Il y eut un mieux, mais de courte durée.
Vers 16 heures il s'affaissa tout doucement dans son fauteuil. Le médecin
présent n'eut qu'à constater son décès.
VIII - Questions et problèmes
d'aujourd'hui :
sorcellerie - inculturation - rencontre du Christ dans la foi
1) Clarifier termes et notions
Sorcellerie, sorciers, magie, magiciens, superstitions
Le vocabulaire
des contemporains, et celui des diaires de postes ou des rapports divers
mêlaient un peu tout. On voyait globalement dans la sorcellerie
un ensemble de pratiques plutôt maléfiques. On peut cependant
distinguer : la sorcellerie maléfique et la sorcellerie bénéfique.
Du côté de la sorcellerie maléfique, en
anglais on distingue :
sorcery qui veut dire : tout ce qui relève d'un savoir-faire
pour le mal. Le sorcerer possède la maîtrise d'actes magiques
nuisibles impliquant la connaissance acquise de substances pour préparer
des charmes ou des formules à prononcer (le witch).
et Witchcraft qui veut dire : tout ce qui renvoie à une
nature foncièrement mauvaise, mais agissant le plus souvent à
l'insu du sujet. Celui qui la pratique est possédé d'une
capacité de faire le mal involontairement.
On peut dire que le sorcier est quelqu'un qui trouble l'ordre social.
Il n'y a donc jamais " le sorcier du village " comme un personnage
officiellement reconnu. On peut parler d'un ensorceleur, ou jeteur de
mauvais sorts. Quelqu'un sera soupçonné ou accusé
d'être sorcier ou surtout sorcière, surtout s'il sort un
peu de la norme (une vieille, un handicapé
)
Du côté de la sorcellerie bénéfique, on
parlera plutôt de désensorceleur. Quelqu'un sera réputé
ou reconnu désensorceleur (witch doctor). Mais pour être
un nganga, c'est-à-dire un désensorceleur efficace et
digne de confiance, capable de lutter victorieusement contre les attaques
du mauvais sort, il faut être un peu sorcier soi-même, et
plus fort que les autres. C'est pourquoi les guérisseurs et les
antisorciers sont craints.
Louis Oger note :
" Tout Nganga est pour la santé et le bien-être du
groupe et est, de ce fait, respecté. Mais il est aussi craint.
Qui sait s'il ne ' faussera pas le jeu', n'abusera pas de ses pouvoirs
pour devenir ensorceleur ? (p. 38)
Et il arrive qu'il exploite la peur des gens. Abus et injustices sont
assez fréquents.. Malgré cela, on fera appel au "
nettoyeur de village ", quand la situation l'exige ; il répond
à un besoin social essentiel.
Tout ce domaine de la " sorcellerie ", au sens englobant
du mot (bénéfique ou maléfique), concerne ainsi
les tensions sociales et leur réduction, la maladie et la guérison
ou la mort. Et donc des secteurs essentiels de la vie.
2) La peur
Oger note encore :
" En 1970, lors d'un séminaire sur les coutumes dans notre
paroisse, la question fut posée ; pour quelle raison êtes-vous
devenus chrétiens ? La réponse unanime de l'assemblée
fut : la peur ". (p. 38)
Qui pourra libérer de cette peur ? Dupont et les missionnaires
witch doctors (désensorceleurs) ? Rappelons-nous ce que disait
Louis Oger :
" Le Père Dupont, par des actes symboliques et la lecture
solennelle de l'évangile, voulait mettre en évidence le
pouvoir de la foi dans le Christ. Mais les gens ne connaissaient pas
encore le Christ, et ne purent saisir ainsi la nature de ce pouvoir.
Ils le virent dans la personne de Dupont, et dans ses actions, gestes
et paroles
Telle fut la vision des gens : les pères avaient
un pouvoir supérieur. C'est pourquoi ils pouvaient recevoir les
ensorceleurs ou jeteurs de sorts chez eux, vivre en paix avec eux, et
même en faire des hommes de Dieu, catéchistes ou autres.
Le moyen de communier à ce pouvoir était d'embrasser leur
religion, apprendre le catéchisme par cur, se soumettre
aux nouveaux interdits et aux nouveaux rites et gestes ". (supra
ch.1)
Les missionnaires vus comme des désensorceleurs ? On peut dire
qu'ils ont joué le jeu, sans pouvoir démêler cet
écheveau de tout ce qu'ils considéraient comme sorcellerie.
Le Christ qu'ils annonçaient était vu comme un super-guérisseur,
et les missionnaires comme ses représentants, fondés de
pouvoir. Ils soignaient et guérissaient les malades ; ils se
montraient plus forts que les " sorciers ". Leur action touchait
ainsi au cur des préoccupations essentielles des gens,
au cur de leur culture.
Cent ans plus tard, Mgr Milongo touchait le même problème
essentiel. N'était-il pas un très puissant nganga ?
3) Un problème pastoral toujours actuel
Le P. Oger cite une lettre de Mgr Mpundu, évêque de Mbala/Mpika
:
" Je n'ai aucun doute que la sorcellerie (ou la croyance en la
sorcellerie), ainsi que la possession par les esprits, sont de symptômes
de souffrance et d'esclavage, chez nos gens, dont le Christ veut les
délivrer. Pourquoi donc, jusqu'à aujourd'hui, la Parole
de Dieu n'a-t-elle pas été très efficace contre
ce phénomène. Je pense que la raison est dans la manière
de transmettre cette Parole pour qu'elle s'attaque aux causes profondes.
" (Oger, p. 9)
Et lui-même commente :
" N'y a-t-il pas là un appel à une deuxième
évangélisation, en profondeur, de la mentalité
bemba elle-même ?
Monseigneur n'a-t-il pas indiqué
le lieu privilégié où les chrétiens doivent
s'inculturer le Christianisme, et le champ privilégié
de notre action ? ". (ibid)
" L'affaire Milongo fur une interpellation de l'Église
en Zambie, et un défi, qui n'a pas encore été relevé.
Interpellation et défi comme fut le mouvement Lenshina, l'initiative
Emilyo, et comme le sont actuellement les nombreuses sectes et groupuscules
religieux qui s'organisent en petites Églises locales et récupèrent
'religieusement le rôle du Nganga et du nettoyeur de village "
(P. 21)
Le P. Oger rappelle quelques pistes que nous ne pouvons développer
ici : Au départ accepter la vision que les gens ont de nous -
s'en servir - l'assumer pour la dépasser :
" Le but est de démystifier le sorcier, qui n'a de pouvoir
magique que si le groupe y croit ; dé-diaboliser la chasse aux
sorciers, dans laquelle on ne voit le mal que dans les autres ; aider
paroisses et communautés à reconnaître le mal, à
le nommer et à se prendre en mains " (p. 67)
L'objectif est clair, la démarche difficile. Un exemple d'inculturation.
Le P. Louis Oger a mené une réflexion approfondie et très
éclairante en ce domaine. Le titre complet de son travail est
le suivant :
Une ombre dans les missions
LA SORCELLERIE, lieu méconnu de la rencontre du Christ dans la
foi.
Réflexions pour une deuxième évangélisation
en milieu Bemba, Zambie.
Voir aussi sur Voix d'Afrique les 2 articles sur Mgr
Dupont (dont le retour des cendres
de Mgr Dupont à Chilubula) Texte et autres photos
In Englih
Centenary foundation of Santa Maria Chilubi
Island (1903-2003)
Bishop Dupont Motomoto written by B.A. Poisson, M. Afr.