Voix d'Afrique N°51
Regard
Zambie.
"Evêque Roi
des Brigands"
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Mgr Joseph Dupont
"Évêque
Roi des Brigands"
de retour en Zambie
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Curieuse histoire que celle de cet évêque Père
Blanc,
à qui un chef bemba mourant lègue son domaine et
son peuple pour sauver la vie de ses femmes, de ses enfants et des gens
de sa cour.
" Évêque-roi des brigands ", c'est sous ce
titre qu'a paru sa biographie, il y a des années.
Pour le 150e anniversaire de sa naissance, l'Église de Zambie
a voulu faire revenir son corps pour l'inhumer dans sa cathédrale
de Chilubula.
Missionnaire
pas officier.
Joseph Dupont est né dans l'Ouest
de la France en 1850. Ses parents, profondément chrétiens,
étaient des paysans. Comme il voulait être missionnaire,
il commence à étudier en vue du sacerdoce. Mobilisé
pendant la guerre de 1870, il se montre insensible à la peur
et excellent tireur, si bien que l'armée veut le garder sous
les drapeaux en lui proposant de l'avancement.
Cela ne l'intéresse pas. Il veut être missionnaire, pas
officier. Lorsque l'armée le laisse partir, il retourne donc
au séminaire. Il est ordonné prêtre en décembre
1878, et le mois suivant il rejoint les Missionnaires d'Afrique, déjà
mieux connus sous
le nom de "Pères Blancs".
En plus des larges territoires d'Afrique du Nord et d'Afrique de l'Ouest,
l'Église avait confié aux Pères Blancs la tache
d'annoncer l'Évangile en Afrique de l'Est, dans un territoire
qui comprenait, entre autre, la plus grande partie de ce qui est maintenant
la "République Démocratique du Congo", le Malawi
ainsi que le Nord et l'Est de la Zambie. C'est dans cette partie de
l'Afrique que le Père Dupont sera nommé.
Des guerriers très indépendants
Ce n'est qu'en juin 1885 que le Père Dupont peut partir pour
le Congo, mais il n'atteint sa destination qu'en mars 1886, à
cause de l'obstruction de l'administration coloniale.
En 1889 cinq de ses confrères avaient été envoyés
fonder une mission dans ce qui est maintenant le Malawi.
Ils se fixèrent à la pointe Sud du lac (alors appelé
Nyassa par les européens); mais, rapidement, on leur demanda
de pousser jusqu'au "Tanganyika". En fait ils s'arrêtèrent
à Mambwe Mwela, qui était à l'époque la
capitale du chef Nsokolo, le chef suprême des Mambwes. Ils y travaillent
quatre ans : catéchisant, s'occupant des malades, protégeant
les gens des raids des esclavagistes et essayant de prendre contact
avec les Bembas.
Ils réussirent à établir des relations avec ces
guerriers très indépendants, qui habitaient au Sud de
leur poste et qui dépendaient du chef Makasa et de ses sous-chefs.
Aucun européen, missionnaire, négociant ou représentant
du pouvoir colonial, n'avait encore réussi à s'établir
en pays Bemba. Les négociants Swahilis eux mêmes n'y étaient
admis que pour acheter ivoire et esclaves, payant en armes à
feu, poudre, tissu, perles et autres produits industriels. Eux non plus
ne pouvaient pas s'y fixer. Mais les Britanniques approchaient.
Première église de Chilubula,
Si la qualité laisse à désirer, c'est que cette
photo date de plus d'un siècle. C'est un document d'archives,
comme les autres photos des qui datent du XIX° s.
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Ancienne maison des Pères Blancs à
Chilubula, construite en 1899
Pendant longtemps, ce fut la seule maison à étage
dans toute la Zambie
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Motomoto (le feu ! le feu !)
Tout d'abord les Bembas essaient de faire partir les missionnaires,
puis il y eut échange de visites et de présents, et ils
sont finalement invités à venir y bâtir une mission.
Informé, l'évêque de Karéma charge le père
Dupont de la responsabilité de cette nouvelle fondation en pays
Bemba. Le père Dupont avait administré le diocèse
l'année précédente quand l'évêque
avait dû aller en Europe. C'était un homme d'expérience.
L'évêque lui même, Mgr Lechaptois, vient en mai 1895
et quelques jours plus tard, il va avec le père Dupont rendre
visite au chef Makasa.
A cette époque le père Dupont a 45 ans ; il était
à Karéma depuis 1892. C'est là qu'il avait acquis
le surnom de Motomoto (le feu ! le feu !) à cause de son énergie
: un prêtre de ses amis disait qu'il avait inventé le mouvement
perpétuel
Dans tous les postes où il était
passé, le P. Dupont s'était montré très
compétent pour l'organisation matérielle de la mission,
et il avait énormément le sens du contact avec les gens
en général etles chefs en particulier.
Une chasse aux pintades
qui a fait peur
Après leur visite à Makasa, l'évêque s'en
retourne à Karéma, et la communauté de Mambwe prépare
son déménagement pour Mipini, la capitale du chef Makasa,
sur la rivière Luchewe. Quand ils y arrivent, ils n'y sont plus
les bienvenus !
Le père Dupont doit forcer l'entrée et l'accès
au chef, sans se soucier des fusils et des lances pointés sur
lui. Il obtient alors de pouvoir quand même passer la nuit à
l'intérieur de la palissade.
Le lendemain il se met à soigner les malades, au lieu de reprendre
le chemin de Mambwe. Le soir, la nouvelle arrive que le chef Chitimukulu
arrive pour faire la guerre. Le jour suivant on annonce que Chitimukulu
a conquis un village et qu'il se dirige, avec son armée, vers
Mipini, la capitale. Le Père Dupont, qui ne prend pas la menace
au sérieux, sort le soir de la palissade pour chasser la pintade.
La tradition orale nous dit que les éclaireurs de Chitimukulu
virent quel excellent tireur il était, et conclurent qu'ils n'avaient
aucune chance d'en sortir vivants s'ils essayaient d'en découdre.
Il préfèrent alors se retirer discrètement. Du
coup, le père Dupont peut rester à Makasa et il s'établit
sur la colline d'en face,de l'autre coté de la rivière,
à Kayambi. Il y commence des constructions temporaires en attendant
l'arrivée des confrères qu'il a laissés à
Mambwe. Il fallait, en effet, déménager tout le poste
: les missionnaires, les orphelins et l'école, les esclaves libérés,
le bétail et les magasins, et aussi les réserves de nourriture,
car la famine régnait à Mipini.Il en faut plus, pour arrêter
Motomoto
En 1896 le père Dupont reçoit sa nomination à
la tête du nouveau "provicariat du Nyassa" comprenant
tout le Malawi actuel plus le Nord-Est de la Zambie (les provinces Nord
et Est).
À la capitale de Makasa, les missionnaires rencontrent d'autres
chefs Bembas. Le père Dupont fait tous ses efforts pour empêcher
la guerre contre Chitimukulu, que les Britanniques avaient annoncée
pour mai 1896. Mais le chef (suprême) Chitimukulu, Sampa Kapalakasha,
mourut avant que les Britanniques ne soient prêts, et le chef
Mwamba, deuxième dans la hiérarchie, Mubanga Chipoya,
se sert du Père Dupont comme intermédiaire pour désamorcer
la crise. Plus tard, la même année, Mwamba invite le Père
Dupont à lui rendre visite dans sa capitale, mais celui-ci pense
qu'il vaut mieux attendre que Chitimukulu soit enterré. Il change
d'avis en voyant les visites britanniques se multiplier au cur
du pays bemba. Il décide alors de s'y rendre en avril 1897.
Mwamba avait interdit au passeur de faire traverser le Chambeshi à
tout européen. Mais il fallait plus que des menaces pour arrêter
Motomoto. A la capitale, Mwamba lui fait une démonstration de
sa puissance militaire et de son mécontentement de chef envers
les Britanniques. Si le but était d'effrayer Motomoto, ce fut
peine perdue. Après cela, les relations furent plus cordiales,
mais la permission d'ouvrir un poste dans le territoire de Mwamba lui
est toujours refusée.
Le père Dupont et ses compagnons reprennent donc le chemin de
Kayambi. Ils n'y étaient pas encore lorsque le père Dupont
reçoit une lettre lui annonçant qu'il était nommé
"évêque de Thibar" et vicaire apostolique de
tout le territoire élevé au rang de "vicariat apostolique
du Nyassa". Son ancien évêque vint de Karéma
lui conférer l'ordination épiscopale à Kayambi,
dans la nouvelle église juste terminée, en carreaux de
terre et toit de chaume
Intérieur de l'église Notre Dame du Bon Secours.
Mgr Dupont est à gauche
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La concession Notre Dame du Bon Secours, où
la foules'est réfugiée au lendemain de la mort de Chitimukulu
(1896) |
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