Voix d'Afrique N°51
Regard
Zambie.(Bis)
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Mgr Joseph Dupont
"Évêque
Roi des Brigands"
de retour en Zambie
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Un appel de détresse.
En 1898 Mgr Dupont est à la recherche d'un
site plus central pour le siège de son vicariat (c'était
l'ancien nom pour les diocèses de mission), donc plus au Sud.
Il traverse les territoires des chefs Mubanga, Shimwalule, Nkula,
Mungulube et peut être aussi Kabanda, mais n'y trouve qu'une
population très clairsemée.
Il traverse donc le Chambeshi vers le nord, entrant dans le pays
de Chitimukulu. Il rendit visite au nouveau chef, Chimfwembe Makumba,
qui l'invite à venir ouvrir un poste dans son territoire. Motomoto
promet de revenir dans le mois.
Un mois plus tard il est de retour avec le nécessaire pour
fonder un nouveau poste, mais son arrivée ne plaisait pas aux
conseillers les plus importants, et l'armée tente d'empêcher
Mgr Dupont de voir le chef. Alors, bien sûr, il force l'entrée
et va jusqu'au chef, qui confirme bien que Mgr Dupont ne peut pas
s'installer actuellement dans le Lubemba (le territoire de Chitimukulu).
La caravane met le cap sur Kayambi (vers le Nord-Est), et retraverse
le Chambeshi, près de Chipili. Mais des envoyés de Mwamba
les retrouvent, et invitent l'évêque à venir d'urgence
près de leur chef malade.
Pour éprouver la bonne foi de l'invitation, Mgr Dupont répond
que si le chef veut vraiment qu'ils s'établissent chez lui,
il devrait envoyer 100 porteurs pour leurs bagages. Les envoyés
acceptent sans problème et promettent d'être de retour
dans une semaine. Ce qu'ils font. Une caravane de 150 hommes part
alors pour la capitale de Mwamba.
"Sauve ma famille et mes gens"
Là ils trouvent le chef mourant. Mwamba et ses conseillers
refusent de laisser Mgr Dupont s'établir à l'écart
de la capitale, ils veulent que son camp soit suffisamment proche
pour que les gens puissent courir y trouver refuge dès que
le chef mourrait. C'est à ce moment que le chef dit à
l'évêque, le seul homme qu'il n'ait jamais réussi
à effrayer, qu'il entendait que l'évêque prenne
soin de son territoire et de son peuple après sa mort. Il voulait
protéger son peuple, et tout particulièrement ses femmes
et ses enfants, des massacres qui pourraient suivre sa mort, s'il
ne les empêchait.
Dans la nuit du 23 au 24 octobre 1898, le chef Mwamba meurt, et les
gens s'enfuient au camps de l'évêque sur les rives du
Milungu. Le soir du 24 octobre, ils sont entre 4000 et 5000 à
chercher refuge sous la protection de Mgr Dupont, regardé désormais
comme le successeur du chef défunt. Les troubles qui accompagnaient,
en général, la mort d'un chef furent épargnés
à son peuple. Les chefs voisins qui auraient saisi l'occasion
de se venger sur les sujets du chef défunt sont tenus en respect.
Et les demandes répétées qu'une escorte, dans
la tombe, soit donnée au chef défunt (c'est à
dire des gens qui étaient alors sacrifiés) se heurtent
à un "non" catégorique.
Les honneurs royaux,
à vie
En termes occidentaux, on dirait que Mgr Dupont était roi par
intérim, en attendant le choix et l'intronisation du Mwamba
suivant. De fait, en temps voulu, le chef défunt reçut
un successeur qui sera installé en mai 1899, mais Mgr Dupont
reçut des Bembas les honneurs royaux le reste de sa vie.
Du jour au lendemain Mgr Dupont se trouve donc avec la charge de toute
une chefferie. Les officiers de la cour, qui lui devaient la vie,
l'aident à assumer ces responsabilités inédites
pour un évêque missionnaire ! Mais les agents britanniques,
qui avaient voulu prendre possession du pays bemba, étaient
furieux, bien que Mgr Dupont conseillât à tous les chefs
bembas d'éviter la guerre. Finalement le "Gouverneur"
désavoue ses agents, et les choses s'arrangent avec les britanniques.
Bénédiction du coffret funéraire, à
son retour à Chilubula, en Zambie
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103 catéchistes à
son arrivée, 392 à son départ.
En 1902, il fonde la première maison des Surs
Blanches à Chilubula.
À leur arrivée, les femmes se pressaient pour voir les
premières Européennes : elles n'en avaient encore jamais
vues
La santé de Mgr Dupont était si mauvaise
qu'il offrit sa démission, mais elle ne fut pas acceptée.
Il dut alors se soigner en France. À son retour en 1904, il
visite les nouvelles missions du sud-est du vicariat, il voit combien
la situation y est différente du Nord, et nomme le père
Guillemé pour administrer ce secteur en son nom. La longue
marche de Mua à Chilubula l'avait rendu très malade,
mais il se met au travail immédiatement. En arrivant, il n'avait
trouvé que 12 catéchistes au Sud (pour 91 au Nord).
Très conscient de leur rôle fondamental pour l'enseignement
de la foi dans les villages éloignés, il organise leur
recrutement et leur formation.
A son départ définitif, en 1911, ils sont
392, pour les deux parties du vicariat. La fin des raids esclavagistes
avait amené la paix, et avec la paix les gros, mais peu nombreux,
villages du passé avaient laissé la place aux nombreux
petits villages qui sont maintenant la norme. Mgr Dupont lance donc
l'idée des centres de prière (ou "succursales").
Il s'efforce aussi de multiplier les "écoles de brousse"
pour assurer l'alphabétisation de base et la catéchèse
dans ces centres. En 1910 il pouvait ouvrir la première "Upper
School" (école primaire complète) à Chilubula.
Il mettra même sur pied un élevage de serpents pour la
production de sérum contre leurs piqûres. Les constructions
temporaires des débuts sont remplacées par des bâtiments
plus permanents, dans toutes les missions, y compris un couvent des
Surs Blanches à Kayambi.
France, Tunisie, Zambie
Il avait suggéré de diviser son énorme
vicariat en deux, mais cela ne se réalisa qu'en 1913, deux
ans et demi après son départ définitif de Chilubula.
Il était trop malade pour continuer. Son désir le plus
cher aurait été de prendre sa retraite en pays bemba,
y mourir et y être enterré, mais il ne devait pas en
être ainsi. Il doit regagner la France et, en 1917 lorsque tout
travail pastoral lui devient impossible, il part pour la Tunisie et
Thibar, dont il était officiellement l'évêque.
Il y meurt le 19 mars 1930. Il est enterré dans la petit cimetière
chrétien de Thibar.
Il y reposait depuis, jusqu'à ce que l'Église
de Zambie, qu'il a fondée, demande le retour de son corps au
milieu de son peuple pour le 150e anniversaire de sa naissance. Après
bien des démarches, ses restes ont été ramenés
en Zambie, le 9 décembre 2000, par un Missionnaire d'Afrique
zambien, qui travaille en Tunisie, symbole de la vitalité de
l'Église de Zambie fondée par "Motomoto".
Il repose désormais dans sa cathédrale de Chilubula.
P. Pierre Lafollie P.B.
Roi des Brigands, par intérim, Mgr Dupont devait
recevoir les honneurs royaux le reste de sa vie.
Tel fut aussi le cas pour le retour de ses cendres.
Photo de gauche : Les fossoyeurs royaux barrent la route et se préparent
à un simulacre de combat,
avant de prendre les cendres en charge.
Photo de droite : Le fossoyeur en chef, vêtu de rouge, bénit
les cendres par une offrande de farine.
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