Voix d'Afrique N° 86

Culture
KATANGA BUSINESS

Né en 1952 à Charleroi (Belgique), Thierry Michel étudie le cinéma à l’Institut des Arts de Diffusion, à Bruxelles. Au bassin minier et sidérurgique de son enfance, il réalise ses premiers documentaires Portrait d’un autoportrait (1973) et Chronique des saisons d’acier (1980). Deux ans plus tard, il met en scène Hiver 60, son premier long métrage de fiction qui raconte la grande grève insurrectionnelle belge de 1960. Ensuite, Thierry Michel part vers d’autres continents à la recherche d’autres solidarités, d’autres utopies : Maroc, Brésil, Iran, et Zaïre.
Là, il réalise son documentaire plusieurs fois primé Zaïre, le cycle du serpent (1992). Il enchaîne en 1999 avec le tournage de Mobutu, roi du Zaïre, un documentaire sur la chute du dictateur zaïrois. En 2006, il revient y poser une nouvelle fois sa caméra pour tourner le documentaire Congo river, un voyage historique et initiatique sur les traces des grandes figures de la colonisation. Enfin, il réalise Katanga Business, sorti le 1er avril 2009.


Le film

Thierry Michel nous entraine au Katanga, au sud-est de la République Démocratique du Congo, dans ce nouvel eldorado des temps modernes, où se dessinent, à coups de milliards de dollars, les nouveaux rapports économiques mondiaux.
Le Katanga, c’est la province qui rassemble tout à la fois cuivre, cobalt, zinc, fer, uranium, étain, or, germanium…: et ce alors même que ses habitants vivent dans une extrême pauvreté. C’est une des régions minières les plus riches du globe.


Parmi les personnages, des milliers de “creuseurs” cherchent de quoi survivre en occupant illégalement les concessions des multinationales minières, alors que les travailleurs légaux luttent pour des salaires et des conditions de travail à peine décents.

Il y a aussi un gouverneur de province richissime et adulé par les foules, un patron belge véritable “Roi du Katanga”, un PDG canadien, un Chinois qui vient signer le contrat minier du siècle avec l’État congolais, État qui a peine à s’imposer.
Tout ce « beau monde » se livre « une véritable guerre, pas au revolver comme dans le Far West traditionnel, mais bien une guerre économique à coups d’OPA, de refinancement, de capitalisation, de corruption. Tous les moyens dont on dispose pour s’affirmer économiquement”, commente Thierry Michel. “C’est une guerre sociale redoutable qui se solde par des morts au travail dans ces galeries de creuseurs, ces damnés de la terre condamnés par l’histoire, et qu’on chasse des concessions”. Car, comme dans tout western, c’est la loi du plus fort qui règne. Et aujourd’hui, le plus puissant, c’est souvent le plus riche. “C’est la loi du plus fort, mais les gens, fragilisés socialement, exploités, se défendent. Ils ne sont pas seulement des victimes soumises. Comme au 19ème siècle en Europe, ils se constituent en classe sociale qui va essayer, peut-être demain, de défendre ses droits sur le terrain politique”, dit encore Thierry Michel.

Commentaires
par le réalisateur

« On ne peut comprendre le macrocosme sans le microcosme » « Dans ce film-ci, dit Thierry Michel, le destin du Katanga est en filigrane, visible de manière elliptique, derrière des destins individuels et collectifs. Le microcosme, ce sont les travailleurs, les creuseurs, les damnés de la terre ; et le macrocosme, ce sont les industriels, mais aussi les spéculateurs qui arrivent avec des capitaux et des valises pleines de billets, développent la région et en même temps ne cherchent qu’à faire des affaires et du profit.

Entre ces deux univers, il y a un conflit social lié aux nouveaux modes d’exploitation, une véritable révolution industrielle avec les machines qui remplacent l’homme et la fin de l’artisanat minier. Et cela entraîne nécessairement un conflit social violent avec l’émergence du salariat et de l’affirmation du syndicalisme. Et dans le même temps, entre ces forces du capital, il y a une guerre économique d’autant plus violente que les intérêts géopolitiques divergent (entre sociétés nord-américaines et asiatiques, par exemple). Et en arbitre, entre le conflit social et la guerre économique, il y a le politique, en l’occurrence le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, qui est l’homme qui peut faire la jonction entre les deux. Il est le représentant du peuple, c’est-à-dire des travailleurs, des creuseurs, des Congolais à qui il doit sa légitimité ; et en même temps il veut moderniser, développer sa région, attirer les capitaux ; et cela passe nécessairement par des alliances avec les investisseurs, d’autant qu’il est lui-même un homme d’affaires. Il tente de faire passer le cap de la nouvelle révolution industrielle à sa région. Au détriment de qui ? C’est toute la question que pose le film. »

Difficultés pour le tournage

Par moments, Thierry Michel s’est vu interdire de filmer certaines choses, mais sans que cela soit fait avec acharnement. « Parfois, on taisait les informations pour que je ne sois pas au bon endroit au bon moment, mais je finissais toujours par les recevoir, explique le cinéaste. Il m’est arrivé, pour des raisons de tracasseries, d’intimidations, d’obstruction, d’arriver trop tard à certains endroits, mais en règle générale, grâce à mon équipe congolaise et à mes réseaux, nous pouvions contourner ces obstacles.

Souvent, il faut passer par de longues palabres pour arriver à ses fins. Mais j’ai aussi des remparts. Par exemple, lors d’une grève, mon arrivée a été mal vue par les autorités, car les télévisions locales ne couvraient pas ce mouvement social. Mais une fois que j’étais sur place, au côté des grévistes, il était quasi plus difficile de m’interdire de filmer que de me laisser faire. On m’a donc laissé faire. Le plus difficile dans la dramaturgie du film fut de mettre ensemble cette mosaïque de destins. En effet, j’avais une constellation de personnages que je devais mettre en scène, des personnages qui sont entre eux dans une relation triangulaire : les travailleurs, les patrons, et le pouvoir politique, représenté par le gouverneur, qui en est la clé de voûte. »

Et pour nous ?

Éviter le manichéisme
A travers son documentaire, Thierry Michel prend soin de ne pas juger les gens qu’il filme et de ne pas tomber dans le manichéisme. Pour le réalisateur, c’est un choix éthique. « Il ne faut pas réduire le monde, explique-t-il. Le documentaire est là pour élever la conscience des gens, leur capacité critique, leur regard sur le monde. Le monde est ambivalent, complexe.

L’histoire n’est pas en ligne droite, mais en ligne brisée. Souvent la courbe est le chemin le plus court pour arriver d’un point à un autre. Le manichéisme est une réduction totale et une manière d’infantiliser le spectateur. Certes, il faut dénoncer les violences sociales, mais toujours en les replaçant dans leur contexte. Chacun a sa logique. Il faut montrer les gens dans leur logique. Même les islamistes les plus radicaux ont leur logique. Chacun a son destin. C’est vrai aussi pour les événements historiques. La Révolustion française est une avancée considérable en termes de droits de l’homme, mais que de décennies sacrifiées en comparaison avec l’évolution de l’Angleterre à la même époque ! »


Textes et photos
d’après le dossier de presse
de www.cineart.be

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