Voix d'Afrique N°81.....

L’ENTERREMENT D’UN “JUSTE”
4 et 5 août 2008

Le Père Jean-Pierre Delpech est né le 15 avril 1930 à Casteljaloux. Après son serment, il est ordonné prêtre en 1956, à Carthage. C’est en 1968, qu’il part au Mali. Il va vivre à Markala, Kolongotomo, Niono ; toutes ces paroisses sont dans le diocèse de Ségou. En 1985, il est à Gao jusqu’en 2007. Il revient alors à Kolonkotomo, d’où il entre dans la Vie en plénitude, le 31 juillet 2008, après deux jours dans une clinique à Bamako.
M.Pierre Dangas, neveu du Père Jean-Pierre, était présent à l’enterrement.


Unissons nos voix avant de nous quitter
Je vais parcourir d’autres lieux...
Je chante l’amour et je chante ma foi
Je pars pour un très long voyage...
Et si je rencontre la mort en chemin
Fauchant parmi les rangs des gueux
Oui je serais prêt pour mon dernier voyage
Et je dirai mon dernier adieu. »

Ces paroles (d’un chant scout ?), tracées de sa main sur un simple feuillet retrouvé glissé dans son bréviaire, serviront d’introduction à ce récit du dernier adieu au Père Jean-Pierre Delpech, mon oncle. Il est décédé le 31 juillet, à Bamako, et, le samedi 2 août, ma famille me charge de la représenter.

La Providence, bien aidée, entre autres, par le Frère Patient, vice-provincial des Pères Blancs pour l’Afrique de l’Ouest, va me permettre de décrocher en un temps record mon visa…
J’arrive à Bamako dans la nuit de ce dimanche 3 août, trop tard pour participer à la veillée qui venait d’avoir lieu en la Cathédrale.

Grande est la foule qui veut accompagner Jean-Pierre !Outre des témoignages de ceux qui l’ont connu , ont été lus des extraits d’un texte écrit par Jean Pierre en 1999 où il évoque son rêve de jeunesse, celui d’être missionnaire dans le désert, le désert du Père de Foucauld, là où il n’y a aucun chrétien.

Le lundi, à 6 h, avec deux Pères Blancs, Laurent et Wim, nous prenons la route vers Ségou sur cette nationale qui mène aussi à Gao (1200 kms plus loin) et que Jean-Pierre a empruntée si souvent. Dans la voiture ils évoquent les souvenirs d’un long compagnonnage avec Jean-Pierre dans les différents postes qu’il a occupés.

A Ségou, à10 h30, débute la cérémonie sous le porche de la Cathédrale. Le corps est accueilli par la récitation du chapelet. Une trentaine de célébrants sont présents, trois évêques aussi ( San, Sikasso, Mopti et le Vicaire Général de Ségou). 
«  Nous sommes ici non pas pour célébrer la mort, mais la vie de Jean-Pierre, ce grand missionnaire qui a fait le sacrifice et le don de sa vie et qui a embrasé tous les lieux où il est passé. » introduit le célébrant. «  Bon et fidèle serviteur entre dans la joie de ton Maître et trouve le repos après tant de fatigue. »

Dès le début, le ton est donné : cette cérémonie ne sera pas marquée par la tristesse. L’accompagnement de la chorale -au son du jumbé- va en rythmer le déroulement.
Le Frère Patient déroule l’itinéraire d’une vie : Casteljaloux, Saint Pé de Bigorre, Issy les Moulineaux, Maison Carrée, Thibar, Carthage (ordination 1/4/56), Strasbourg, Bonnelles, Toulouse. Enfin le Mali le 16.10.68 : Markala, Kolongo, Niono, détour par Jérusalem et Rome, puis Gao en 1985 et à nouveau Kolongo fin 2007.

Jean-Pierre était quelqu’un qui courrait partout ! Joyeusement, courageusement, infatigable dans ses tournées pour rencontrer et vivre avec les gens, là où ils étaient.
Quelqu’un aussi qui cachait ses souffrances depuis sa chute d’une échelle lors des travaux à l’église de Niono, et ses nombreux autres problèmes de santé.

« Il a toujours eu le souci d’être présent à ceux qui étaient le plus loin. D’où sa préférence pour les Bozos, les Peuls, les Touaregs, les Maures. Tous ceux qui sont en dehors de la société et vers qui spontanément il allait. Ceux là ont connu le Christ à travers son témoignage de vie et d’amour ». « Il a aimé l’Afrique, il a donné sa vie pour nous » dira un autre des intervenants.

On évoque d’autres facettes de sa personnalité. Il aurait voulu une Eglise dépouillée de tout. Altermondialiste, il rêvait d’une humanité sans cette mondialisation économique pleine d’injustices. Il avait gardé du scoutisme l’âme d’un chef, et le Père Alberto de conclure : «  Dieu qui vas l’accueillir là haut, méfie-toi, il risque de te dire à toi aussi « ici c’est moi qui commande ! » Mais tu souriras comme nous on souriait en l’entendant ainsi… ».

Après la prière universelle et l’absoute, c’est le départ du convoi vers Kolongotomo où le cortège arrive vers 15h après un arrêt émouvant chez les Bozos qui, au bord de la route, viennent voir et toucher l’ambulance dans laquelle le cercueil est transporté.

Le P.?Alberto, curé de Kolongotomo, préside l’inhumationA l’entrée de Kolongotomo, les villageois sont venus attendre le corps. Alignés au bord de la piste ils forment sur près de 800 mètres une chaîne humaine ininterrompue jusqu’à l’église où attendent plusieurs centaines d’autres, venus de toute la région et parmi eux de nombreux musulmans (autorités, maire, sous-préfet compris).

Le cercueil pénètre dans l’église, passant devant la tombe que l’on a creusée dans l’argile sous un arbre appelé soun-soun , juste sur le parvis, devant l’entrée. « Je ne veux pas l’enterrer, je veux le semer »  dit Alberto, le curé, en ouvrant la cérémonie qui va être ici beaucoup plus courte et beau-coup plus simple.

Au moment où la procession s’ébranle pour l’inhumation, surprise : les portes de l’église se referment et stoppent le cortège ! Dans une joyeuse bousculade, les jeunes de la chorale, les « petits-enfants » de Jean-Pierre, conformément à la tradition, s’emparent du cercueil et l’empêchent de sortir pour en faire l’objet d’un marchandage traditionnel…Un « vieux » qui meurt au Mali, c’est une vie qui est accomplie. Pas question donc d’être triste : on remercie, on rend grâce et on fait la fête ! Le Frère Patient négocie le montant du « droit de passage » qui financera celle-ci… tandis que l’on exfiltre le corps par une porte dérobée sur le côté de l’église que les petits-enfants avaient oublié de bloquer…

“Jean-Pierre, repose en paix !”Après la mise en terre, un repas est pris en commun dans la cour de l’école juste à côté de l’église. Il réunit plusieurs centaines de participants, toujours dans la bonne humeur : bassines de riz et de mil, régimes de bananes et boissons permettent de prolonger les échanges, tandis que les enfants ont repris possession de leur terrain de jeu dont fait partie le parvis de l’église.

Je reste à l’écart et vais m’asseoir devant le monticule de terre encore fraîche sur un muret bâti en arrondi qui délimite l’espace de la tombe. Plus tard un carreau sera déposé sur celle-ci et l’on pourra venir passer un moment avec Jean-Pierre, à l’ombre du soun-soun, un peu comme Brassens avait souhaité que l’ombre d’un pin permettre de venir passer un moment auprès de sa tombe dans sa supplique pour être enterré sur la plage de Sète.

Il se met à pleuvoir : c’est bon signe en ce début d’hivernage, dans un Mali étonnamment et inhabituellement vert, bien loin des images traditionnelles que l’on peut en avoir.

“Ala ka dayoro suma” (Que Dieu rafraichisse sa demeure et qu’il repose en paix)

Pierre Dangas, neveu
du P. J.P. Delpech,
pierre@dangas.fr

Si je devais faire un portrait à partir de ce que m’ont dit tous ceux qui ont connu Jean-Pierre et que j’ai rencontrés au cours de ces deux jours, je dirai que :
- Jean-Pierre était un homme de foi bien sûr.
- Un homme de cœur, généreux et capable de tout donner aux plus pauvres
- Mais il était aussi et, peut-être surtout, un homme de parole : sa façon de parler a marqué tous les esprits, sa façon de prêcher aussi avec simplicité, en utilisant beaucoup d’images. Il y mettait souvent de la passion, élevant parfois la voix, mais tou-jours avec une grande sensibilité, une grande attention aux choses et aux autres.
- En résumé : Jean-Pierre était un homme de communication, un passeur, par dessus les continents comme à l’intérieur des familles. S’il avait joué au rugby, une autre de ses passions, sans doute aurait-il été demi d’ouverture, celui qui distribue le jeu, celui aussi qui lance les plus belles attaques…
- Un homme libre enfin : cette liberté  qu’il enviait aux nomades et que les responsabilités ou les charges nombreuses qui lui ont été confiées tout au long de sa vie l’ont empêché de goûter à sa guise…

Idéal résumé en une phase :

« Le prix du vrai Amour, c’est la liberté » (Kidal 18.4.2000)
Puisse-t-il l’avoir aujourd’hui trouvée véritablement
.

 


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