Voix d'Afrique N°95.


La guerre des semences est commencée…



“ Défendre le droit à l’accès aux semences ”



L
es paysans sont-ils les plus malheureux des hommes ? Dans nos pays du Nord, on les montre du doigt à cause de leurs manières de cultiver : irrigations excessives, productions intensives, pollutions des sols. Au Sud, les problèmes sont différents. Là, il s’agit de l’accès à la terre, à l’eau et bientôt le libre accès aux semences. Les paysans sont-ils complices ou victimes de l’évolution de l’agriculture depuis un demi-siècle ? Ou sont-ils coupables de n’avoir su dire non quand ils pouvaient le faire encore ? Ne faut-il pas chercher d’autres responsabilités du côté des industriels comme des législateurs ?

Mais les paysans du Sud et du Nord souffrent d’un même mal : la mainmise des semenciers sur la biodiversité, aidés en cela par une législation complaisante. Pour défendre le droit d’accès aux semences, il est es-sentiel de soutenir une vision radicalement différente de celle de l’agro-industrie considérant les semences comme propriété exclusive.

Partout dans le monde et depuis toujours, les paysans sèment, récoltent, sélectionnent et ressèment pour la prochaine saison. Ils savent que par l’échange de leurs semences, ils les améliorent et diversifient leurs cultures. En Afrique aussi, dans les sociétés paysannes, la semence est restée un élément culturel, social, voire spirituel. Elle ne se vend pas, elle s’échange, se transmet. Les variétés voyagent. Cette autonomie dans l’action permet aux paysans d’assurer, bon an mal an, la nourriture de leur famille.

Certes, pour une bonne production, il faut de bonnes semences ! Souvent, dans le Sud, prix et disponibilité limitent l’accès des agriculteurs à des semences de qualité. De nombreux paysans recourent au secteur informel pour trouver des semences, et ils les stockent d’une année sur l’autre. Le commerce officiel, qui commercialise des semences améliorées, certifiées par les autorités réglementaires, n’est pas toujours adapté aux paysans pauvres.

Des chercheurs de l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED) signalent la menace que fait peser sur la biodiversité le contrôle croissant des entreprises sur ce secteur. Les variétés traditionnelles « sont remplacées par une gamme plus restreinte de semences modernes, fortement promues par les firmes et subventionnées par les gouvernements ». Ils ajoutent : « L’utilisation de ces semences a un coût car celles-ci exigent plus d’intrants et sont plus sensibles aux parasites et maladies. » La semence est entrée dans une logique de privatisation, avec des règles imposées au niveau international — via l’OMC — mais aussi avec des règles qui sont en train d’être imposées au niveau de la région Ouest Africaine. Cela se transforme d’ailleurs en une question de souveraineté nationale, sous régionale, continentale. Le risque est présent tant que les lois criminalisent l’utilisation des semences traditionnelles, donnent la propriété des semences aux multinationales.

La stratégie des industriels

Jusqu’à ce jour, l’utilisation des semences produites, sélectionnées et échangées entre paysans, reste très majoritaire. Mais au fil des ans, un arsenal juridique est mis en place pour obliger les agriculteurs à utiliser des semences répondant aux critères de “ stabilité qualitative et quantitative “ qu’impose l’industrie agroalimentaire. Inconvénient : ces semences nouvelles nécessitent l’utilisation massive de pesticides, d’irrigation et d’énergies fossiles (engrais, mécanisation).

On peut dire que l’offensive des semenciers sur le vivant a commencé. La mise en place de méthodes agricoles “ modernes “ au détriment des agricultures traditionnelles a conduit de nombreux pays du Tiers-Monde à la dépendance vis-à-vis des semenciers, a pollué durablement les sols et épuisé les nappes phréatiques. Mais qui dit semences sélectionnées dit aussi agriculteurs sélectionnés. Ainsi, les paysans les plus pauvres ne peuvent résister à la “ Révolution Verte “.

Pour imposer ses semences, l’industrie a éliminé son principal concurrent : la semence reproduite chaque année avec la récolte du paysan. Les semenciers américains ont mis au point les hybrides F1 stériles, première “ plante terminator “ fabriquée par l’homme. Adaptés à l’engrais chimique et à la mécanisation des récoltes, ces hybrides ont remplacé dans les champs d’agriculture industrielle les plantes traditionnelles dont les paysans pouvaient ressemer la récolte. Le brevet américain protège les lignées parentales des hybrides F1.

La confiscation des ressources génétiques

La biodiversité cultivée est la matière première des semenciers. Cependant, en interdisant les semences paysannes, leurs lois la menacent de disparition. C’est pourquoi les États ont organisé la collecte de ces semences avant qu’elles ne disparaissent.

Bien sûr, leur conservation dans des «banques de gènes» est une tâche importante, mais la FAO rappelle la nécessité vitale de protéger la biodiversité sur les fermes elles-mêmes. Il est donc important de soutenir les millions de paysans à travers le monde qui conservent divers espèces de plantes et d’animaux dans et autour de leurs champs.

Il y a danger à faire de l’ensemble des végétaux « un patrimoine commun de l’humanité, librement accessible pour l’industrie, car en devenant monnayable sur le marché mondial, ce patrimoine devient aliénable. »

Quelle attitude avoir face aux OGM??Ainsi, depuis plus d’un siècle, les sélectionneurs ont créé des variétés sélectionnées pour produire sur les meilleures terres des récoltes abondantes et standardisées nécessitant de fortes quantités d’engrais chimiques, de pesticides et, pour certaines d’entre elles, l’usage intensif d’irrigation. Ces plantes sont techniquement verrouillées. Lorsque le grain produit par ces hybrides est ressemé, il donne des récoltes disparates et au faible rendement. De plus, beaucoup de ces hybrides ont été conçus comme des « formules 1 » et ils sont sensibles à de nombreux facteurs du milieu. Il est difficile de les cultiver en économisant l’eau et les intrants.

Aujourd’hui, les paysans sont donc les victimes d’une guerre pour le contrôle des semences, et cette guerre est menée par l’industrie des semences du génie génétique, des technologies hybrides et des produits agrochimiques. Il s’agit de s’approprier les semences pour multiplier les profits en obligeant les agriculteurs à consommer et à dépendre de ces semences. C’est comme une forme de vol, parce que toutes les semences de l’industrie sont en fait issues de milliers d’années de sélection et d’amélioration par les peuples. Face aux changements climatiques, la diversité est une force, et l’uniformité une faiblesse. Les semences commerciales réduisent considérablement la capacité de l’humanité à faire face et à s’adapter au changement climatique. On peut dire qu’ainsi l’agriculture paysanne, avec ses semences paysannes, contribue à refroidir la planète.

Enfin, l’industrie n’a pas pris soin d’un élément important dans ses sélections : notre santé. Les semences industrielles poussent vite, mais perdent de leur valeur nutritive et sont pleines de produits chimiques. Elles sont à l’origine de nombreuses allergies généralisées, de maladies chroniques et de la contamination de la terre, de l’eau et de l’air qu’on respire.

Que veulent les paysans

Pouvoir assurer la nourriture de toute la famille !Les paysans veulent le droit de ressemer leur récolte, le droit à l’échange des semences, le droit à la protection des variétés paysannes, le droit à l’accès aux ressources phytogénétiques. Tout cela n’est-il pas garanti ? Le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation (TIRPAA) consacre un article entier aux droits des paysans. Mais cet article 9 les soumet au respect des lois nationales. Or ces lois réservent le droit de sélectionner et commercialiser des semences aux seuls semenciers. Les paysans ne penvent pas conserver la biodiversité et nourrir le monde pendant que leurs droits de garder, de semer, d’échanger, de vendre et de protéger leurs semences sont criminalisés par des lois qui légalisent la privatisation et la marchandisation des semences.

C’est pourquoi ils exigent des politiques publiques en faveur des systèmes de semences paysans vivants, des systèmes qui sont dans leurs communautés et sous leur contrôle. Ces politiques publiques ne doivent pas promouvoir des semences non reproductibles, comme les hybrides, mais promouvoir les semences reproductibles et locales. Ces politiques doivent interdire les monopoles, favoriser l’agroécologie, l’accès à la terre et le soin des terroirs.

Face à la mondialisation, quel avenir ?

Conserver des variétés de qualité,  adaptées aux conditions localesDans beaucoup de pays d’Afrique, surtout en Afrique de l’Ouest, de nombreuses organisations paysannes se sont mises en route pour défendre leurs droits. Le plus grand danger à affronter est la privatisation des semences à travers l’UPOV (Union internationale pour la protection des obtentions végétales), organisation intergouvernementale basée à Genève (Suisse), et les accords de Bangui sur la propriété intellectuelle, qui soutiennent les droits des sélectionneurs au détriment des droits des agriculteurs à utiliser leur propre semence. L’industrie biotechnologique en Afrique, et spécialement en Afrique de l’Ouest, est soutenue par les gouvernements des pays du Nord et des institutions internationales. On constate de multiples intrusions dans les politiques nationales des organisations, comme l’USAID (programme d’aide U.S.), le Programme Alimentaire Mondial, le Catholic Relief Service, sous couvert de l’aide alimentaire.

« La souveraineté alimentaire donne la priorité aux économies et aux marchés locaux et nationaux et fait primer une agriculture paysanne et familiale, une pêche traditionnelle, un élevage de pasteurs, ainsi qu’une production, distribution et consommation alimentaires basées sur la durabilité environnementale, sociale et économique.

La souveraineté alimentaire promet un commerce transparent qui garantisse un revenu juste à tous les peuples et les droits des consommateurs à contrôler leurs aliments et leur alimentation. Elle garantit que les droits d’utiliser et de gérer les terres, territoires, eaux, semences, bétail et biodiversité, soient aux mains de ceux et celles qui produisent les aliments. »
L’avenir de l’agriculture africaine dépendra de son efficacité, de sa performance productive et surtout de sa capacité d’adaptation aux évolutions politiques, économiques, sociales et environnementales.

Et après

Quelles sont les alternatives aujourd’hui ? De nombreuses variétés sélectionnées à la ferme pourraient être inscrites au Catalogue Officiel. Mais les obstacles à franchir sont nombreux : l’inscription coûte cher (entre 250 et plusieurs milliers d’euros). De plus, pour être inscrite, une variété doit montrer une stabilité morphologique dans le temps et l’espace. Elle doit garder les mêmes caractéristiques, quels que soient le terroir et le climat, année après année. Enfin, elle doit offrir des avantages prouvés, comme l’amélioration des rendements, la résistance spécifique à une maladie, ou encore l’adaptation à la transformation industrielle ou à la conservation… Tous ces éléments interdisent aux variétés paysannes une place dans le catalogue !

« Les semences sont, aujourd’hui, soit le bien commun d’une communauté, soit un produit industriel marchand protégé par un droit de propriété intellectuelle. Les premières doivent rester soumises aux droits collectifs d’usage de la communauté qui les cède et de celle qui les reçoit. Seules ces communautés peuvent décider si ces semences sont libres ou non. Les secondes ne doivent pas être plus libres que le renard dans le poulailler : leur circulation doit être soumise à l’évaluation et l’acceptation par les groupes locaux d’éventuels risques pour la santé, l’environnement et les systèmes agraires et culturels locaux. »

Ne plus autoriser les multinationales à noyer les marchés locaux ! Certains agriculteurs ouvrent une “troisième voie” en créant des systèmes semenciers communautaires qui proposent des variétés de qualité, adaptées aux conditions locales, tout en permettant aux producteurs de semences d’avoir un revenu. Cela peut être une activité rentable ; les petites entreprises semencières ont de bonnes perspectives si le lien avec le marché est assuré. Cependant, à supposer que le danger de l’accaparement des semences s’éloigne un peu, il en restera encore un autre qui est toujours présent : « Dans le cadre d’Accords de libre échange biaisés, des multinationales se voient autorisées à noyer les marchés locaux avec des produits alimentaires subventionnés, vendus à des prix en-dessous du coût de production, ce qui fait s’effondrer les prix des produits locaux, mettant en faillite les petits producteurs, forçant les familles rurales à abandonner leurs exploitations pour aller s’entasser dans les bidonvilles à la périphérie des villes, tout en sapant les capacités locales et nationales à nourrir la population.

De plus, certains gouvernements ouvrent grande la porte aux investisseurs étrangers qui viennent accaparer les meilleures terres agricoles, chassent les agriculteurs locaux qui produisent des aliments et utilisent la terre pour des projets aux conséquences environnementales néfastes, comme l’exploitation minière, les plantations d’agrocarburants qui nourrissent les voitures plutôt que les personnes ou encore la production de matières agricoles destinées à l’exportation. Non seulement ces pratiques agricoles empêchent nos pays d’atteindre la souveraineté alimentaire, mais en plus elles n’enrichissent qu’une toute petite minorité dans la population. »

D’après des sources diverses
Voix d’Afrique


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