Avec
les sans-papiers
|
|
|
Père Georges, où sommes-nous exactement ?
- Nous sommes dans nos nouveaux locaux, au 37 de la rue Pajol . Les personnes que nous accueillons sont souvent de nouveaux arrivants, complètement perdus, croyant qu’on va arranger leurs problèmes en cinq minutes, ou des gens qui ont déjà traîné des heures et des heures dans les locaux de l’administration, sans rien obtenir. Ainsi, ces gens viennent avec une attente énorme. Nous avons donc besoin de personnes compétentes en matière de droit pour ne pas les décevoir une fois de plus.
Comment êtes-vous armé pour ce travail ?
- Personnellement, je n’avais pas la formation nécessaire, c’est vrai ; mais nous avons des formations... Pour le moment, je suis celui qui les reçoit, en premier. La plupart de nos visiteurs viennent de pays d’Afrique (quelques-uns même parlent le swahili que je connais). Dans le passé, je suis également allé en Algérie et au Sénégal ; cela me permet de briser la glace assez facilement, de créer un lien et de pouvoir leur conseiller une autre adresse, s’ils se sont trompés.
Pouvez-vous préciser un peu plus votre rôle ?
- Dans ce service, nous faisons un accompagnement pour les aider à remplir correctement les différentes formalités pour un éventuel droit de séjour régulier. Nous avons même quelques avocats qui peuvent les recevoir. Nous les accompagnons parfois dans leurs démarches dans les bureaux de l’administration.
Mais très souvent, on ne peut rien faire pour ces gens, venus chercher du travail et originaires de pays dits “sûrs“, c’est-à-dire des pays comme le Sénégal, le Mali, où il n’y a pas de guerre, de torture généralisée... Alors on prend une tasse de café. Il faudra attendre que la législation évolue.
Certains de ces clandestins se manifestent parfois bruyamment à l’attention de notre société !
- C’est vrai, mais il faut comprendre. La vie de clandestin, c’est de n’avoir aucun droit (si ce n’est les soins gratuits, qui sont d’ailleurs remis en cause ces derniers temps). Au mieux, le clandestin est logé chez un copain, un parent. J’ai rencontré une famille qui était logée dans une chambre de bonne : la femme faisait le ménage des propriétaires, sans être déclarée, avec un salaire de misère. Quand elle est devenue enceinte, elle et ses gens ont dû partir à la rue...
Ils font de petits boulots, travaillent quelques jours, sans être sûrs de recevoir un salaire.
L’autre jour, j‘ai mangé, dans un de nos restaurants pour gens de la rue, avec deux femmes originaires d’Afrique : l’une avait un enfant, elle ne savait pas où était parti le père ; l’autre était enceinte de trois mois ; elles n’avaient aucun endroit fixe pour dormir. Mais elles connaissaient une autre Africaine, gérante d’un bar non déclaré, et avec d’autres femmes, elles s’entraidaient un peu...
Père, vous devez souvent vous trouver devant des souffrances difficiles à porter !
- Pour le dernier Noël orthodoxe, j’avais, dans mon bureau, un Polonais et sa copine, une Ukrainienne; on a partagé quelques chocolats et ils sont repartis dans la rue, le 115 était saturé... Une Chinoise qui suit les cours de français dans notre local, n’a pas de preuve officielle de son arrivée en France. Aussi, son dossier de dix ans, rempli de preuves de sa présence ininterrompue, est bloqué. Je suis allé voir le film anglais “ In the world “ (dans ce monde). Il montre bien la détermination de tous ces gens, prêts à tout, pour venir travailler chez nous. Certains ont tout vendu pour payer les passeurs, d’autres ont laissé de lourdes dettes dans leur village, pour un voyage très risqué de plusieurs mois. Je me souviens encore de la première personne que j’ai rencontrée, tout au début. C’était une jeune chinoise, arrivée enceinte. Elle avait vécu dix mois de galère et elle était refusée par le réseau de travail clandestin à cause de son enfant.
Prêts à tout pour réussir
Ce désir de migration est un phénomène récent, non ?
- Le monde est devenu comme un petit village où beaucoup circulent sans difficulté : j’ai vu un film, réalisé par deux filles de la bourgeoisie. Elles avaient fait un long voyage en vélo, sans dépenser un seul centime ; leur seule préoccupation était de ne pas se faire voler leur matériel de photo et leur vélo. Elles étaient toutes fières de dire qu’elles avaient toujours trouvé une maison pour les accueillir pour la nuit.
Quand on n’a rien dans son pays, on rêve que l’on a peut-être une chance de devenir un Zidane, ou comme ce Malien, qui a dirigé l’expédition sur Mars avec les USA !
Devant tant de difficultés rencontrées, ne feraient-ils pas mieux de retourner dans leur pays ?
- Quand on est parti, surtout d’Afrique, on ne revient plus tant que l’on n’a pas réussi : retourner au pays les mains vides est impossible. Chacun est donc prêt à tous les travaux, même les plus pénibles, les plus dégradants, pour pouvoir en-voyer, de temps en temps, un chèque à la famille et ainsi prouver qu’il est capable de réussir même au prix d’une vie d’esclave (ce que l’on ne sait pas toujours au pays). « Les Maliens de l’extérieur envoient au pays soixante millions d’Euros par an ».
Il y en a « qui misent sur leur réseaux... leurs activités, qu’elles soient licites ou criminelles, et mobilisent des filières transnationales ».
L’idéal serait que les décideurs, les hommes de pouvoir, construisent davantage un monde où chacun pourrait travailler et vivre décemment là où il est né; mais on en est loin. « Lancer un projet industriel en Afrique est un énorme défi !... » Et le Français moyen, manipulé par les pubs, ne pense qu’à payer moins cher ses bananes, sa porte en bois exotique, ou à acheter bon marché une nouvelle chemise (faite par des clandestins, dans des caves).
S’engager, maintenir la pression
N’êtes-vous pas tenté, parfois, par le découragement ?
- Il ne faut pas baisser les bras; de nombreuses personnes travaillent aussi à faire changer les mentalités, d’autres prennent des risques en accueil-lant chez eux tous ces exclus de la terre,...
En novembre, j’ai participé à la collecte du Secours Catholique dans ma paroisse; j’ai pu parler à l’homélie : « Le chrétien, pour moi, est celui qui croit ces paroles de Jésus : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas ». Ne restons pas à nous lamenter, à revendiquer d’une manière stérile, à monter des théories, à croire au grand soir (comme les partis dits révolutionnaires), soyons engagés partout où l’on prend des décisions. Les laïcs doivent se lancer davantage dans la politique avec les autres : il n’y a pas d’autres alternatives !
Nous savons très bien que les politiques sont tentés de trop penser aux prochaines élections, de se promener chez les pauvres avec ostentation et richesses. Aussi, ceux qui n’ont pas fait ce choix doivent aider les politiques en maintenant la pression par l’action syndicale ou par d’autres groupes de la société civile. Pour moi, c’est là que l’Esprit du Seigneur nous envoie, toutes et tous, mettre notre petite pierre pour construire un monde avec plus de partage.
Propos recueillis par Voix d’Afrique