POUR LA JUSTICE ET LA PAIX
EN AFRIQUE DU SUDLe Père Jacques Amyot d’Inville est, depuis la fin de 2007, responsable de notre maison de retraite à Billère, près de Pau. Né dans une famille de militaires, il devient orphelin de père à l’âge de 6 ans. Il entre chez les Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) en 1960.
Ordonné prêtre en 1965, il est envoyé en Zambie. Il y reste 23 ans, en divers lieux de formation et en paroisses. En 1986, on parle beaucoup de l’Afrique du Sud, un grand pays en ébullition où le problème racial est crucial.
L’apartheid y est toujours de mise. Les Evêques du pays demandent des missionnaires pour les populations africaines noires. Avec d’autres Pères Blancs, Jacques se porte volontaire. Il raconte.
En
1986, je me suis porté volontaire pour vivre à Soweto lors de
l’apartheid et j’y ai vécu de 1989 jusqu’en 1992. Quatre prêtres
: Emmanuel Lafont, Louis Blondel, Didier Lemaire et moi-même, ainsi
qu’une communauté de religieuses à la peau blanche, bravions
les lois de l’apartheid et étions en pleine illégalité,
car nous restions la nuit à Soweto au milieu des Noirs de cette grande
banlieue de Johannesbourg.
L’essentiel
de notre apostolat consistait à être présents de jour
comme de nuit et à témoigner devant tous que nous sommes tous
une même famille humaine, quelle que soit la couleur de notre peau.
Il y avait parfois une atmosphère de grande violence et nous pouvions
contribuer à aider à réagir en chrétiens face
à l’apartheid et à toutes les autres formes de violence. Souvent,
on me demandait si j’avais peur. Alors, je disais : « Je n’ai
pas peur car, tout d’abord, je me sais entre les mains de Dieu. De plus, l’expérience
me prouve que ceux qui me connaissent seront prêts à tout faire
pour me protéger. Enfin, j’ai découvert l’importance du discernement
qui permet de savoir quand Dieu m’invite à aller au devant du danger ou
au contraire à l’éviter. »
Je disais sans cesse
aux chrétiens que nous sommes appelés à surmonter notre
peur, si peur il y a, et à nous conduire comme leaders afin d’aider
toutes les personnes concernées à lutter par amour et dans l’amour.
Au
Comité de Paix
Ensuite, j’ai exercé mon apostolat de septembre 1992 à octobre
2004 dans un ancien bantoustan, un des dix pays créés artificiellement
par l’Afrique du Sud lors de l’apartheid afin d’y placer la plupart des Noirs
du pays. Ce pays artificiel s’appelait le Kangwane. Là, certaines de
mes activités ont été plus spécifiquement liées
au domaine Justice et Paix.
Dès 1992, j’ai participé à des réunions régulières avec un groupement ouvert à tous et fondé par trois personnes de bonne volonté, désireuses de favoriser un dialogue pour le développement économique de la région. Très symboliquement, ces trois personnes auraient alors été qualifiées de noire, de blanche et de métisse ; c’était trois chrétiens convaincus. Le groupement s’appelait « Forum de développement de la région Onderberg ». Fin 1992, le gouvernement de l’Afrique du Sud a cherché a former très officiellement, et partout dans le pays, des « Comités de Paix ». Leur but était d’aider à préparer un climat de paix pour les premières élections générales ouvertes à tous en avril 1994. L’apartheid, la lutte anti-apartheid et les luttes entre partis politiques avaient, en effet, créé et créaient encore un climat de violence en bien des endroits. Certains craignaient le pire au moment des élections elles-mêmes.
Savoir parler aux jeunes un langage de vérité
A cette époque,
je suis allé « défier » les jeunes de
l’ANC de notre région qui commençaient eux aussi à agir
violemment. Voici le langage que je leur ai tenu : « En tant
que prêtre, je suis contre l’apartheid qui est une forme de violence
imposée par les Blancs. Je suis prêt à vous aider, vous
les jeunes Noirs, à participer à cette lutte, mais si vous mêmes
commencez à vous montrer violents, je ne peux vous soutenir en aucune
façon. » A ma grande surprise et à ma grande joie,
ces mêmes jeunes m’ont choisi comme président du « Comité
de Paix » de notre région quand il a été formé.
Pendant deux ans, j’ai donc parcouru la région avec des adultes et
des jeunes des divers partis politiques afin d’encourager les gens à
voter plutôt qu’à se battre. Lors des élections elles-mêmes,
j’avais plus de 80 personnes sous mes ordres et nous avons contribué,
à notre façon, au climat de paix qui a régné dans
21 centres de vote, répartis dans 21 villes et gros villages.
Commission
Vérité et Réconciliation
Plus
tard, quelques années après les élections, le gouvernement
a créé la « Commission Vérité et Réconciliation ».
Son but était d’obtenir le plus de vérité possible sur
les crimes commis lors de l’apartheid et de la lutte anti-apartheid afin d’aider
à soulager certaines souffrances encore très fortes et ainsi
de contribuer, peu à peu, à la réconciliation dans le
pays. Ceux qui avaient commis des crimes et voulaient bénéficier
d’une amnistie et ceux qui avaient souffert et désiraient obtenir une
compensation étaient invités à venir se présenter
devant des membres de cette Commission. Lorsqu’on a proposé de former
des membres de la Commission dans notre région, je me suis porté
volontaire pour ce travail.
J’ai été
choisi après un entraînement, un examen et un serment de confidentialité.
J’ai donc été le rapporteur officiel de cette Commission pour
notre région pendant plusieurs années. Ainsi, j’ai entendu le
récit de bien des souffrances causées par divers groupes liés
aux combats politiques d’alors et j’ai pu écrire à l’archevêque
Desmond Tutu à propos de certaines inégalités concernant
les victimes.
Une organisation qui cherchait à faire rendre volontairement les armes
à feu dans le pays m’a choisi comme « receveur »
de ces armes pour notre région. L’opération elle- même
n’a duré que quelques jours et n’a pas eu grand succès, comme
il fallait s’y attendre. Le plus important était l’esprit qui animait
cette organisation qui avait obtenu l’appui de Nelson Mandela et des médias
officiels.
La société “Arc-en-ciel”
a bien des couleurs et des origines. L’unité sera longue à faire.
Mais l’espoir est là !
Au
service des sans-papiers Mozambicains
Plus tard encore, mon évêque, installé à Witbank,
m’a demandé de bien vouloir faire partie, au nom du diocèse,
du dialogue avec le gouvernement et diverses organisations nationales et internationales
afin de régulariser la situation des anciens réfugiés
Mozambicains sans papiers. Le travail a été long et pénible,
car nous cherchions à obtenir des résultats, malgré les
réticences de certains au gouvernement. Finalement, je me suis retrouvé
représenter non seulement le diocèse mais l’ensemble des Eglises
du pays, en collaboration avec un pasteur protestant. Lors de la phase finale,
j’étais à la tête de 42 personnes travail-lant sur des
centaines de kilomètres pendant plusieurs mois. Nous avons réussi
à surmonter bien des difficultés et à obtenir plus de
125 000 cartes d’identité pour les anciens réfugiés mozambicains,
alors que notre objectif concernait plus de 200 000 personnes.
Elections
au Zimbabwe
En 2003, cinq d’entre nous ont représenté, incognito, l’Eglise
Catholique d’Afrique du Sud aux élections présidentielles du
Zimbabwe. Je pourrais en écrire long sur le sujet. Pour être
bref, disons qu’il était évident pour nous tous que les élections
ne furent ni libres ni justes. Quelles qu’aient été et quelles
que soient les raisons politiques qui ont amené certains Etats Africains
à accepter le résultat de ces élections, la vérité
reste la vérité et les mensonges ne peuvent la changer. Ayant
vu ce que j’ai vu et entendu ce que j’ai entendu, je suis prêt à
témoigner devant tous de ce que je viens d’écrire.
Voyages
en Afrique Centrale
En
décembre 2006 et septembre 2007, j’ai accompagné à Bukavu,
au Congo Kinshasa, et à Bujumbura, au Burundi, le directeur de l’Institut
de Paix, Denis Hurley. Cet institut a été fondé par la
conférence épiscopale d’Afrique du Sud pour favoriser les rencontres
entre l’Eglise d’Afrique du Sud et les autres Eglises d’Afrique dans le domaine
Justice et Paix. Voici quelques uns des fruits de ces rencontres pour
le Congo et le Burundi : réunions entre évêques, réunions
avec des autorités religieuses et civiles, échange de littérature,
accueil en Afrique du Sud d’autres personnes engagées dans le domaine
Justice et Paix, formation de leaders.?
Il reste que l’Afrique du Sud a encore bien des défis à relever : la pauvreté, le Sida, la corruption, la violence, les familles brisées, l’éducation, les relations avec des pays voisins, … La liste n’est pas finie, mais l’espérance fait vivre.
Jacques Amyot d’Inville
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