Voix d'Afrique N°93.

Jeunes footballeurs africains
Du mirage à la désillusion



On se souvient des phrases scandaleuses de quelques politiques à propos du trop grand nombre de Noirs dans les équipes de foot en France. Mais on a applaudi les Georges Weah, Samuel Eto’o, Mickael Essien ou Didier Drogba. Les jeunes Africains aussi, et beaucoup rêvent de jouer dans un grand club européen, comme eux. Pour réaliser leur rêve, ils sont prêts à se mettre entre les mains d’intermédiaires souvent sans scrupule qui cherchent une façon de gagner facilement de l’argent. Comment lutter contre ce qui s’apparente à un odieux trafic de jeunes Africains et une forme d’esclavage moderne ?


Un scénario connu

Près de 7 000 jeunes footballeurs africains arrivent chaque année en France. De ce drame, les acteurs sont connus. Les jeunes d’abord : dès leur enfance, ils ont joué au foot, souvent avec des ballons faits de vieux chiffons noués. Les plus chanceux, en ville, entrent dans des groupes plus structurés. Si leurs progrès sont grands, ils commencent alors à rêver d’une carrière en Europe. Autour d’eux tournent sans cesse des « chasseurs de têtes », des agents ou intermédiaires qui profitent de la crédulité des gens, et leur promettent succès et argent.

Ces intermédiaires sont de faux managers africains ou européens (ex-entraîneurs, avocats, dirigeants, anciens joueurs). Ils font établir les passeports et fournissent les billets d’avion, souvent à un prix exorbitant. Beaucoup de jeunes se laissent prendre, surtout que leurs parents sont là aussi pour les pousser. Ces derniers vont même s’endetter pour payer le voyage ou pour faciliter la signature d’un contrat qui ne sera jamais honoré. Car, entre temps, « l’agent recruteur » aura disparu avec l’argent ! « Ces jeunes sont victimes d’un système frauduleux qui leur fait miroiter une carrière glorieuse. »

Certes, certains jeunes réussissent, mais combien se retrouvent en Europe dans une situation précaire, sans argent, sans papier et sans billet de retour. Souvent mineurs, ils sont livrés à eux-mêmes, dans la rue, en situation de clandestinité, loin de leurs rêves de millions. Ce phénomène n’est pas l’exclusivité de la France. Aucun pays européen n’est épargné.

Le calvaire en Europe

L’hiver, ces Africains bravent le froid pour s’entrainer. « Ils sont Maliens, Sénégalais, Béninois, Guinéens, Ivoiriens, Camerounais. Ils ont entre 15 et 30 ans. Ils sont sans club, évoluent comme amateurs en banlieue parisienne ou dans le nord de la France. Tous caressent l’espoir qu’un club professionnel les embauchera. »

« Aux âmes bien nées,  la valeur n’attend point le nombre des années »«Ces jeunes sont détruits. Tant qu’ils sont obsédés par le foot, ils gardent espoir, mais après, certains se prostituent, d’autres deviennent dealers. Une fois, j’ai été appelé à 2 heures du matin par un jeune qui voulait me vendre une Mercedes volée…», raconte Jean-Claude Mbvoumin, ex-international camerounais. Prisonniers de leurs propres mensonges, les jeunes perdent pied et leurs familles perdent tout contact avec eux… Pour beaucoup, le rêve tourne au cauchemar lorsqu’une fois arrivés en Europe ils ne trouvent ni argent, ni club, ni soutien.

Les instances du football, et aussi la FIFA, connaissent bien la situation des jeunes joueurs africains. Dès 2003, Laurent Dennemont, un Réunionnais installé à Bruxelles, a recensé les nombreuses sollicitations des jeunes africains que reçoivent quotidiennement les agents de joueurs licenciés par la FIFA, notamment en France.

Jean-Claude Mbvoumin, fondateur de l’association Culture Foot Solidaire en 2000, a recueilli les nombreux témoignages de jeunes footballeurs africains trompés, abandonnés, naufragés en France. Il en a recueilli plus de 600 depuis qu’il a fondé l’association. « Rien qu’en Ile-de-France, ils sont des milliers, en situation irrégulière, à jouer pour se payer une carte orange, dit l’ancien international camerounais. Souvent, ils n’ont qu’un kebab pour seul repas mais ils continuent à s’entraîner. » Foot Solidaire a obtenu des appuis, surtout à la suite d’un rapport adopté en mars 2007 par le Parlement européen, évoquant les dérives du football professionnel, notamment le trafic et l’exploitation des jeunes joueurs. « Tout le monde semble d’accord pour dire qu’il faut agir.

Mais le fait est que Foot Solidaire fonctionne aujourd’hui grâce à un petit groupe de bénévoles et sans le moindre bureau qui, en région parisienne, ferait office de siège. Concrètement, Foot Solidaire offre en tout premier lieu une écoute. « Lorsqu’un jeune joueur se retrouve seul, à 6000 kilomètres de chez lui, il faut le rassurer, le conseiller, souligne Mbvoumin. En France, les mineurs ne peuvent pas être expulsés, il s’agit donc de les orienter vers les services d’aide sociale. Pour les plus âgés, nous essayons de faciliter leur retour au pays, pour ne pas qu’ils entrent dans le circuit de la délinquance. »

Au-delà de l’accueil de ceux qui sont déjà là, Foot Solidaire veut plus : « Gagner en Afrique avec l’Afrique ». C’est à dire bâtir des terrains, former des cadres, créer et renforcer les structures. Un travail de longue haleine qui doit s’inscrire au-delà d’un simple slogan de campagne électorale. Et surtout mieux prendre en compte la face plus sombre du business du football. Depuis 2001, au Cameroun, l’Académie culture foot de Kribi offre des activités sociales et civiques à une centaine de jeunes âgés de 8 à 18 ans et passionnés de football. L’association projette de développer des maisons des jeunes footballeurs (MJF), des centres de ressources destinés à informer jeunes, parents et éducateurs des clubs africains des dangers de l’exil européen. D’autres pays d’Afrique s’intéressent aussi à un tel projet.

Il est évident qu’une étroite collaboration doit s’instaurer entre l’Europe et l’Afrique. Il faut aussi que la Justice s’intéresse aux activités de ces « trafiquants de chair fraiche ». Enfin, les dirigeants africains doivent aussi rendre plus attractifs (financièrement, sportivement) leurs championnats pour éviter cet exode discutable et aléatoire.

L’an dernier, un livre et un film sont sortis sur ces jeunes footballeurs africains, ce qui fait dire qu’une lente et laborieuse prise de conscience fait son chemin. En mai 2010, l’ancienne athlète française Maryse Éwanjé-Épée a publié un livre enquête “Négriers du foot”. Elle y évoque la traite des jeunes footballeurs originaires d’Afrique et notamment la situation des centaines de joueurs qui débarquent chaque mois en Europe. Le 15 septembre 2010, est sorti également “Blacks Diamond”, un film réalisé par la française Pascale Lamche. C’est un documentaire qui lève le voile sur le trafic humain autour des jeunes prodiges du ballon rond en Afrique de l’Ouest. Le film évoque la situation d’ASPIRE, une entreprise qui “teste” chaque année près de 700.000 jeunes d’une quinzaine de pays d’Afrique.

Voix d’Afrique
d’après des sources diverses

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