Voix d'Afrique N°69.....

L'évangile


à l'état chimiquement pur

 

Une petit village perdu au Nord d'une province perdue d'un pays perdu au centre de l'Afrique, quelque part du côté des Grands Lacs, le long de la grande faille qui blesse la planète depuis le Jourdain jusqu'au Zambèze. C'est un petit village perdu, à la frontière de la Zambie, coincé entre collines et marécage, au bout d'une piste impraticable pendant les pluies. C'est Kapéré, un millier d'habitants dans des huttes de banco et d'herbe. Ils parlent un dialecte inconnu, cousin d'une langue bantou parlée par quelques tribus de la Zambie voisine. Ce sont les pauvres, isolés, les plus lointains parmi les lointains.

Je les visitais toutes les dix semaines, avec un catéchiste qui pouvait se faire compren-dre dans leur dialecte. En arrivant chez eux un vendredi, après trois heures de piste, j'eus la mauvaise surprise : le catéchiste, résidant dans un autre village central, à 30 km de là, m'envoyait son fils aîné, à bicyclette, pour m'informer qu'il ne pourrait pas être avec moi, cloué sur sa natte par une forte fièvre, paludisme sans doute. Et me voilà dans le pétrin ! Les gens sont accueillants, souriants, heureux de me recevoir, mais la conversation tourne vite court. Qu'est-ce que je vais faire ? Demain, les jeunes catéchumènes vont venir, une trentaine de jeunes garçons et filles, et quelques fidèles adultes ; sans catéchiste interprète, comment vais-je faire ? Je n'ai qu'un nouveau testament en chimambwe, langue voisine du chinamwanga de Kapéré.

 

 

Pas de panique ! Je suis assez familier de l'évangile pour savoir trouver une parabole chez St.Marc, et la lire lentement sans être ridicule ! Le samedi matin, les élèves arrivent. "Seigneur, c'est à Toi de jouer !" Et je commence à lire la parabole du semeur, au chapitre 4 de l'évangile de Marc. Puis, je répète, phrase par phrase. “Les filles, répétez : “Le semeur est sorti pour semer”… les garçons répétez… les adultes, répétez… encore une fois, et encore, cinq fois… maintenant tous ensemble. Continuons : “Du grain est tombé au bord du chemin, les oiseaux sont venus et ont tout mangé.” Répétez… les garçons… les filles… les adultes… tous ensemble ! cinq fois…” On compte sur les doigts, cinq fois, dix fois, chaque partie de la parabole, la semence dans les épines, dans les cailloux, dans la bonne terre…

La récitation devient de plus en plus rythmée ; les groupes se répondent les uns aux autres. Après un temps de repos, je leur demande, par gestes et mimiques, de discuter pour savoir ce que la parabole leur enseigne. Ils partagent, sérieux ou amusés des réflexions apportées. "Bon, maintenant, vous allez mettre cette parole en musique !" Quelques tamtams apparaissent, et tous essaient de fredonner, de chercher, d'essayer un refrain :


"Si tu as des oreilles, écoute, écoute !
Garde-toi des oiseaux
qui picorent sur le chemin !
Garde toi des cailloux
qui assèchent !
Garde-toi des épines
qui étouffent !
Bonne terre, bonne terre,
écoute, écoute, tu porteras du fruit !"

Aucun commentaire, aucune explication, rien ! la Parole de Dieu toute simple ! l'Evangile à l'état chimiquement pur ! et personne ne s'est ennuyé ! Mais j'étais tout de même heureux de leur souhaiter une bonne nuit.

En repensant à cette expérience, une autre parabole est revenue spontanément à ma mémoire et ma prière : "Il en est du Royaume de Dieu comme d’un semeur qui jette la semence en terre : qu'il dorme ou qu'il soit éveillé, la nuit, le jour, la semence grandit, il ne sait comment. D'elle-même la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, enfin le blé plein l'épi."

Les jeunes de Kapéré m'ont appris encore une autre étape de ma vocation missionnaire. Evangélisateur évangélisé, la semence que je reçois chaque jour, je la jette sans peur, sûr que la terre, d'elle-même, portera son fruit.


Gérard Guirauden
Missionnaire d'Afrique



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