Voix d'Afrique N°69.....

Maurice sur le Niger


Le Père Maurice Cadilhac a passé plus
de 45 ans au Mali.
Avant d'y repartir,
il partage son expérience missionnaire.

Prêtre ?
Oui, mais missionnaire

"Maurice, tu as pensé à devenir prêtre ? " Le moine bénédictin de La Pierre Qui Vire est direct. Il anime la retraite de fin d'études des jeunes élèves de Brioude. La question est brutale, la réponse est spontanée : "D'accord, mais pour être missionnaire." Il est lui-même surpris de s'entendre donner une telle réponse. Il a 17 ans en 1951, mais il sait ce qu'il veut.

Un " matheux "

Bien sûr, l'éducation familiale y est pour quelque chose. Le Docteur Cadilhac est un médecin chrétien connu dans la petite ville. Maurice est l'aîné de sept enfants. La prière du soir en famille, les études dans un collège catholique, l'engagement dans la paroisse, tout cela va de soi. Prêtre ? ses parents n'essayent pas de l'influencer, mais ils sont heureux que leur aîné s'oriente dans cette voie. Certes, ils auraient préféré qu'il reste dans le clergé diocésain, mais s'il veut être missionnaire… Après avoir passé le baccalauréat en mathématiques, il n'a pas 18 ans et part pour Kerlois, le premier cycle d'études du séminaire.

Travaux manuels, philo, sports et bridge

La Philosophie, ce n'est pas trop sa tasse de thé ! Il préfère les sciences et les maths, le concret, ce qui se touche et se calcule logiquement ; mais les abstractions scolastiques, étudiées dans un manuel écrit en latin, à quoi tout cela peut-il bien servir ? Heureusement, il pratique le sport, tape le ballon et fait des courses de fond dans le grand parc de la propriété. Les travaux manuels tiennent une grande place dans la formation. Il est nommé responsable de la porcherie. La vie est bien équilibrée : études, football, longues parties de bridge lorsqu'il pleut. N'est-ce pas là que se forme l'esprit communautaire, pilier de la vie missionnaire ?

Premiers contacts
avec le Maghreb

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Le scolasticat de Thibar en Tunisie à cette époque et maintenant

Deux ans de philo, et c'est la première traversée de la Méditerranée et le noviciat, l'approfondissement de sa relation au Christ, de sa vocation missionnaire ; c'est un temps de maturation et déjà un premier contact avec l'Islam. Puis, c'est la théologie à Thibar en Tunisie, le service militaire au Maroc et dans le sud tunisien, Carthage et l'ordination au sacerdoce en 1960. Maurice est nommé au Mali.

Sur le Niger

Le Préfet apostolique de Mopti lui demande de se préparer en étudiant l'arabe et l'islam, à La Manouba, près de Tunis. Le pays est indépendant depuis quelques années. Un air de liberté souffle sur tout le Maghreb. La langue et la culture arabes sont comme un monde nouveau où les missionnaires plongent volontiers. Toute l'Afrique s'éveille ; les missionnaires sont envoyés dans des pays nouvellement indépendants, des jeunes nations. C'est avec beaucoup de joie que Maurice s'embarque pour le Mali. Une nouvelle page est tournée dans la vie de l'Eglise et de la mission. Vatican II est à la veille de s'ouvrir.


Paroisse de Bandiagara en pays dogon : sortie de messe

Une immense espérance se fait jour. Maurice arrive à Dakar par bateau, puis traverse le Sahel sur l'étroite voie ferrée, avec transbordement très folklorique, à pied, pour passer du Sénégal au Mali ; il attend quelques jours à Bamako une occasion pour continuer vers Ségou, puis embarque sur la navette fluviale du Niger jusqu'à Mopti et rejoint par la route son premier poste, Diré, quel voyage ! La savane, le soleil brûlant, le fleuve sur des pinasses et les foules bruyantes et bigarrées, le sable des pistes, les maisons en banco, c'est un monde nouveau.

Chez les Songhaïs

Première étape : la langue, le Songhaï. Maurice s'y met de bon cœur : il n'a pas l'habitude de faire les choses à moitié. Cours, notes, livres, mémorisation, conversations, et encore des conversations. Les enfants comme les adultes approchent facilement les pères, les visites sont fréquentes. Les gamins sont heureux et fiers d'enseigner à cet étranger blanc les salutations, les mots usuels, la prononciation. Les adultes font pratiquer la grammaire et la syntaxe, corrigent les tournures, enseignent les proverbes et les anciens mythes. Petit à petit, le missionnaire se lance, hésite, demande de l'aide quand il le faut, puis repart en surmontant les moments de découragement, écoute encore et encore pour partir avec plus d'assurance vers la rencontre de l'autre. C'est la grande école de la mission, l'école de la patience, de l'obéissance au temps présent. L'amitié commence lentement : les mains se serrent respectueusement, les regards se croisent en confiance, les paroles s'échangent, l'écoute mutuelle prend forme. Maurice commence à être connu, et c'est chaque jour qu'un nom nouveau, un visage, un sourire vient meubler sa prière. L'Islam est partout présent, comme un pilier de la vie des Sahéliens. C'est un Islam respectueux, ouvert, attentif, car les Maliens sont assez sages pour éviter les étiquettes, fussent-elles religieuses. Il reconnaissent vite la sincérité de celui qu'ils rencontrent, quelle que soit son origine, sa culture ou sa religion.

" Prof " de maths et sciences

Le Mali nouvellement indépendant se lance dans l'expérience du marxisme pur et dur. Les missionnaires se laissent enfouir, comme le levain dans la pâte. Ils se rendent utiles dans un petit dispensaire, une bibliothèque, dans les visites, les rencontres quotidiennes. Maurice n'a pas oublié les maths et les sciences : il se met à la disposition de la jeunesse et ne tarde pas à être embauché dans l'enseignement public secondaire. Le voilà fonctionnaire malien ! Il fait partie du corps professoral : c'est un lieu d'amitiés, de solidarité, de services prêtés et rendus. "C'est moi qui vous ai choisis… et vous ai envoyés pour que vous portiez du fruit" (Jn15,16).

Chez les Dogons

Maurice est ensuite envoyé chez les Dogons. Il faut apprendre une autre langue, s'adapter à une nouvelle culture, lier de nouvelles amitiés. La mission est faite de visites reçues et rendues. Ce sont de longues heures apparemment perdues. Le temps passe, avec l'alternance des saisons, les angoisses lorsque les pluies tardent et que le spectre de la famine pointe comme une menace, les labours toujours recommencés, et enfin la joie des récoltes et des fêtes : les missionnaires traversent avec les Dogons les épreuves et les joies, les deuils et les noces.


Cavalier Dogon lors d’une fête solennelle


A Gao, sur le fleuve


La grande salle paroissiale de Gao

Après quelques années encore, Maurice est envoyé à Gao, sur la boucle du Niger. Les chrétiens sont très peu nombreux, tous étrangers dans le milieu musulman. Vu de près, c'est un islam très tolérant, presque fraternel. Chacun se sait soumis à Dieu, le Dieu des miséricordes. Les musulmans respectent ceux qui se respectent et n'ont aucune estime pour les chrétiens qui voudraient se faire ignorer. Ils apprécient ceux qui affirment leur foi, car devant eux, ils peuvent affirmer la leur. Dans ce dialogue, nulle confrontation, mais, au contraire, le respect de l'autre, première étape de toute démarche religieuse. Le silence de l'écoute comme la parole du témoignage sont à la base de toute vie de communauté.


Mission catholique de Gao :le dispensaire

Maurice et son équipe de missionnaires visitent régulièrement les petites communautés chrétiennes dispersées le long du fleuve. Les tournées de plusieurs jours les amènent à partager simplement la vie des familles chrétiennes, le gîte et le couvert, la prière, la parole de Dieu et le pain de l'eucharistie.

Lorsque le muezzin appelle à la prière, les chrétiens se sentent aussi appelés et se joignent à leurs compatriotes en égrenant le chapelet ou en lisant une page d'évangile. Aussi ils n'ont aucun complexe pour partager les réjouissances et les fêtes religieuses, Noël ou la fin du Ramadan, Pâques ou l'Aïd. Chrétiens et musulmans partagent en frères le thé ou la galette, les rires, les chants, et les danses.

Pour porter du fruit

" Je ne vous appelle plus serviteurs, mais mes amis, car je vous ai révélé tout ce que j'ai entendu de mon Père." (Jn. 15) C'est la parole qui fait vivre le missionnaire. Comme le frère François d'Assise, comme Charles de Foucauld, Maurice reçoit dans le silence cette révélation, animé par une seule espérance, celle de "porter du fruit, un fruit qui demeure." (Jn. 15,16)

Voix d'Afrique



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