Louis VERNHET, le nouveau Provincial de France, a accepté de partager avec les lecteurs de Voix d'Afrique son histoire missionnaire. |
Kinshasa, la capitaleDans les années 1960, Léopoldville, la petite capitale coloniale sur la rive du fleuve Congo est en train d'exploser. A l'indépendance, elle devient Kinshasa. Le nom du souverain belge est oublié pour une appellation plus africaine.
Les rues poussiéreuses traversent des rangées de magasins, des bric-à-brac où l'on peut tout trouver, depuis les légumes en pyramides colorées ou en vrac jusqu'aux tissus et aux outillages de mécanique, étalés sur des nattes à même le sol ou sur des étals primitifs. Les avenues s'allongent, poussent comme des tentacules jusqu'à la brousse voisine. Des maisons modestes surgissent à côté de villas plus cossues ; des quartiers poussent comme des champignons.
Des camionnettes cahotantes et des berlines soulèvent des nuages de poussière, se fraient un chemin parmi les piétons ou les cyclistes, ouvriers et fonctionnaires qui se hâtent vers les bureaux, les chantiers, les usines florissantes dans le Congo, jeune nation prospère, la plus importante de tout le continent africain.
Des Causses de Lozère aux forêts équatoriales
Louis Vernhet avait rêvé d'autre chose. Il est loin le Causse Méjean, dans les Cévennes, où il a grandi au milieu des garrigues et des troupeaux de brebis, entre les gorges du Tarn et la Jonte. Il avait rencontré l'Afrique à l'occasion de son service militaire, en Algérie nouvellement indépendante. Il avait même commencé à apprendre l'arabe et demandé à entrer chez les "Pères Blancs" avec le Maghreb pour horizon.
Il a 28 ans lorsqu'il est ordonné prêtre. A sa grande surprise, il est nommé au Congo, pas dans la brousse mais dans la grande ville. Le charme de l'aventure n'est-il pas dans l'imprévu ? ”Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai appelés pour que vous alliez et portiez du fruit, un fruit qui demeure.” (Evangile de St.Jean ch.15).
Une jeune Eglise dans une jeune nation
Kinshasa s'étend chaque jour plus loin, et l'Eglise essaie de garder le pas : elle doit être présente à ce mouvement. Les chrétiens sont déjà assez nombreux et les missionnaires se doivent d'être avec eux. Dès son arrivée, Louis est mis dans le bain. L'ancien missionnaire le reçoit dans une petite maison le long d'une rue poussiéreuse déjà très animée. La première résidence est pauvre : une salle d'accueil et de séjour, une chambre, une cuisine et une salle d'eau.
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devant la cité de l’O.U.APour sa première nuit, Louis s'installe entre un fauteuil et un divan qui lui servira de lit ; il case ses cantines dans le couloir. "On t'attendait pour agrandir la maison. Tu n'as jamais fait de construction ? Ne t'en fais pas, tu apprendras sur le tas !"
Bienvenu
chez les pauvres !Les premiers contacts avec les Africains sont tout simples : un regard, un sourire, des mains serrées fraternellement, quelques salutations en français, et puis un flot de sons et de mots inintelligibles.
La première tâche sera donc d'apprendre le lingala, la langue parlée par la plus grande partie de la population. Comment on se salue ? C'est simple, mais ça change avec l'heure du jour ou de la nuit ; il serait impropre de dire "bonsoir" à 8 h. du matin. Et puis savoir demander : "Comment dis-tu ceci, ou cela : la maison, la rue, la nourriture, les plats, mon ami, mon frère." Comment demander son nom à un visiteur, et comment se présenter ?
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réparateurs de montresComme avec toutes les langues bantous il faut se familiariser avec le système des classes : il n'y a ni masculin ni féminin, mais huit ou dix classes différentes, avec des préfixes qui se retrouvent dans le sujet, le verbe, les adjectifs. Que l'on parle de la personne humaine, d'une chose inanimée, d'un animal, d'une plante, d'un sentiment ou d'une idée, chaque fois il s'agit d'une classe différente. Petit à petit les mécanismes deviennent naturels.
Heureusement, les Africains sont indulgents. Ils apprécient qu'un Blanc fasse l'effort de parler leur langue. Patients et pleins d'humour, ils guident le nouvel arrivant dans ses premiers contacts avec la culture congolaise.
Les Communautés chrétiennes de base
La meilleure façon pour apprendre est d'aller à la rencontre des gens. Chaque jour, Louis part sur la route, salue les passants, s'arrête pour serrer des mains, se présenter, demander où habite un ami. Il se laisse inviter par une famille, partage éventuellement un repas, noircit son carnet de noms et de notes sur chacun pour ne rien oublier. Et ainsi, petit à petit, il fait partie de la communauté.
Lorsqu'on a parlé de la famille, des voisins, du village lointain, du travail et de la vie du pays, un sujet revient souvent : la vie chrétienne, les prières à enseigner, le catéchisme pour les enfants, les catéchumènes à suivre. Une priorité se fait jour : l'organisation de communautés chrétiennes à l'échelle du quartier. "ça serait bien de se rencontrer entre voisins ; nous nous rencontrons chaque dimanche à l'église, mais ça ne suffit pas. Il faudrait partager la Parole de Dieu, approfondir notre foi, prier ensemble, prendre ensemble quelques initiatives pour que l'évangile soit proclamé dans tout le quartier."
Ainsi démarre la formation des laïcs, les 'bakambi'. Pour chaque groupe, quelques animateurs sont appelés pour assurer la continuité des réunions, étudier quelques problèmes éventuels, rester en lien avec toute la paroisse. "Le sel de la terre, c'est vous. Le sel de Kinshasa, c'est vous. La lumière du quartier, c'est vous !" Le concile du Vatican est à peine terminé que son enseignement est diffusé pour être mis en pratique.
Construire des églises
Et voici du nouveau : quelques petites communautés s'entendent pour construire une église. L'initiative est prise par les chrétiens et les missionnaires sont mis à contribution. On a vite fait de répondre aux questions : une nouvelle église oui, mais où, de quelle taille, pourquoi, comment ? et aussi qui va construire ? comment financer le projet ? Avec les chrétiens, Louis se lance dans l'aventure. "Mais attention : ce n'est pas mon église, c'est la vôtre ! moi, je ne suis que de passage ; je viens d'ailleurs et je repartirai ailleurs ; vous, votre place est ici et c'est à vous de construire." La balle est lancée… et bien rattrapée : chaque dimanche, les fidèles viennent offrir quelques briques, ou l'équivalent en monnaie locale.
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chapelle de l’universitéLouis les aide à s'organiser pour trouver un entrepreneur, s'entendre sur un contrat, embaucher des maçons, des charpentiers, gérer le financement et trouver chez les chrétiens d'autres continents le complément qui permettra de faire un toit en tôle ondulée et le sol en ciment. Il s'assure que les fondations sont creusées convenablement et dans les bonnes dimensions. Il suit les travaux avec quelques chrétiens responsables et aide toute la communauté à réaliser qu'il s'agit d'une action de foi, "car les vraies briques, c'est chacun de vous, unis par le ciment de la charité pour édifier l'église des cœurs." Du coup, d'autres quartiers se lancent aussi dans l'aventure. Les chrétiens sont fiers : ensemble, chez eux, ils célèbrent, partagent, témoignent de l'évangile.
Formation de laïcs
L'église n'est pas simplement une façade. L'essentiel est dans l'éducation de la foi. Louis et ses confrères organisent des sessions de formation pour les laïcs. L'enseignement de Vatican II, le concile qui vient de se conclure, donne beaucoup de nouvelles idées à étudier. Régulièrement des hommes et des femmes se rencontrent pour un approfondissement de leur foi, étudier la doctrine, la Parole de Dieu, la liturgie, les sacrements, la morale chrétienne. Petit à petit les sessions prennent forme tout au long de l'année, les week-ends sont réguliers. Les laïcs découvrent petit à petit leur vocation : "L'Eglise, le Corps du Christ, c'est nous !"
"Combien d'églises tout cela fait-il ?" Louis a besoin d'un moment et des doigts de la main pour compter, et puis, il y renonce : "Peu importe ! tout ce dont je me souviens, ce sont les amitiés, la ferveur des célébrations. Les fatigues, les quelques déceptions, les soucis quotidiens, tout cela je l'ai oublié !"
Au service
des missionnaires.Car il a fallu partir à l'autre bout du pays : Louis est nommé supérieur régional du Congo. Il s'agit d'une nouvelle aventure, faite d'écoute des missionnaires de brousse, de partage et d'encouragements dans des moments parfois très difficiles. Après six ans de service il repart pour Kinshasa. L'agitation politique a envahi tout le Congo ; les bandes armées circulent librement, les combats entre factions font rage. Louis est au milieu de la tourmente, parfois au risque de sa vie.
KinLes missionnaires d'Afrique font appel à lui, pour une nouvelle aventure, à Paris, cette fois, entre la Bastille et la place des Vosges : il est économe provincial. A Paris il retrouve l'Afrique et fréquente souvent les chrétiens venus de tous les pays de ce continent. Et puis, au moment où il pensait repartir chez lui, au Congo, nouvelle “tuile”! le Provincial de France, Gérard Chabanon est élu Général, et Louis se trouve propulsé à sa place, bien malgré lui. A quand le retour chez ses amis des rives du Congo ?
Heureux partout
où Il m'envoie."Comment se fait-il que moi, le Lozérien, qui ai grandi au cœur des Cévennes, qui avais rêvé des sables du désert, je me suis retrouvé dans une grande capitale, avec ses turbulences, ses agitations débordantes ? Partout où j'ai été envoyé, que ce soit à Kinshasa, aux Grands Lacs ou en plein cœur de Paris, j'ai été heureux, pleinement heureux. Mais je garde tout de même au fond du cœur le désir de repartir pour le Congo, où tant d'amis m'attendent !"
Louis Vernhet
& Voix d'Afrique