En
2012 L’esclavage
dure toujours !
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La vraie campagne anti-esclavagiste, le Cardinal l’a réalisée en Europe, car c’est là que se trouvent les puissances politiques et économiques dont l’influence peut amener effectivement à l’abolition de l’esclavage. En Afrique, par les missionnaires, le Cardinal agit dans le même but, mais sa méthode est adaptée à la situation concrète. La force des esclavagistes arabes et noirs - surtout des premiers - est trop forte et trop dangereuse pour être attaquée de front. Ce n’est donc pas une campagne de sensibilisation par la parole et les écrits qu’il a faite en Afrique, mais des actions concrètes, grâce auxquelles il croit pouvoir porter la mission en avant.
La traite des esclaves est le problème crucial, à cette époque, en Afrique centrale où elle se pra-tique intensément. Depuis le dé-but du siècle, des traitants arabes et noirs swahili de Zanzibar et de la côte orientale, se sont engagés dans l’intérieur du continent. Ils tissent peu à peu un immense réseau de pistes plus ou moins régulièrement fréquentées, s’étendant du nord de l’actuel Congo RDC au sud du lac Nyassa, et de l’océan Indien jusqu’au Lomami, un des principaux affluents du Congo au centre du continent. Ils recherchent l’ivoire, mais aussi les esclaves. Ces derniers alimentent une forte exportation estimée à la moyenne annuelle de 30 000 individus au milieu du XIXe siècle.
Le commerce des esclaves au temps du Cardinal Lavigerie
Les destinations sont variées : Zanzibar et sa voisine Pemba, principalement pour les plantations de girofles, et les pays de l’océan Indien s’échelonnant de la Somalie à l’Inde. Beaucoup de-meurent sur le sol africain tout en connaissant l’exil loin de leur pays d’origine. Ils sont requis pour les tâches liées au commerce de l‘ivoire : la collecte puis le portage sur de longues distances, le travail agricole nécessaire à la subsistance des immigrés venus de la côte et de leurs gens, les services domestiques en tout genre exigés par ces derniers. La mortalité est grande par suite des pertes subies au cours des attaques de villages, des conditions de transport, puis de travail. Alors que les exportations à travers l’Atlantique ont cessé durant les années 1860, la traite orientale connaît une expansion considérable.
L’Angleterre avait bien imposé en 1873 au sultan de Zanzibar un traité interdisant l’exportation des esclaves. Elle exerçait sur mer une difficile répression, mais sans pouvoir agir sur le continent. La conférence de Berlin de 1884, réunie pour fixer les règles du jeu colonial en Afrique, réaffirme avec force la condamnation, par les Européens, de la traite et de l’esclavage qu’ils avaient pratiqués pendant deux siècles et demi, ainsi que leur volonté d’accorder « leur protection aux entreprises philantropiques, scientifiques et chrétiennes appelées à concourir à cette œuvre dite de civilisation ».
Avec l’appui du pape en 1888, Lavigerie se décide alors, avec toute son autorité de cardinal, à lancer en Europe une vaste campagne pour alerter l’opinion sur de tels ravages. Il n’est pas le premier à pousser un tel cri d’alarme, et l’on trouve parmi ses prédécesseurs des noms célèbres, ceux de Barth, Livingstone, Schweinfurth, Cameron. Mais sa voix connait un retentissement inégalé. Le 1er juillet 1888, il débute sa campagne par un sermon en l’église Saint-Sulpice de Paris : « Il faut soulever la colère du monde », qui provoque de nombreuses retombées dans la presse. Elle se fait entendre dans de grandes conférences prononcées dans des capitales européennes, Paris, Londres, Bruxelles, Rome, et dans nombre d’autres villes importantes.
Cette même année, il fonde, à Paris, l’association « Société anti-esclavagiste de France » car il veut trouver des fonds pour faire connaître les conditions de l’esclavage en Afrique, pour « hâter la suppression de la traite et l’abolition de l’esclavage, pour intéresser, le plus activement possible, au sort des esclaves libérés ». Cette Société organise un grand congrès international à Paris en 1890. Toutes les nations européennes y sont représentées. Le congrès formule le vœu que le Pape institue une quête universelle et annuelle pour les besoins de l’œuvre anti-esclavagiste. Au Vatican, on corrige cette formule de la façon suivante : « pour les besoins des missions africaines déjà fondées ou à fonder dans les pays à esclaves ». Cette Association perdure aujourd’hui sous le nom de « Aide aux Églises d’Afrique ». Elle a toujours pour objet « de promouvoir et de développer toutes activités “d’assistance et de bienfaisance” en faveur des Églises d’Afrique. »
Toujours appuyé par le pape Léon XIII, Lavigerie obtient des gouvernements la signature à Bruxelles, en 1890, d’un acte anti-esclavagiste reprenant ses suggestions.
On retient ces paroles fortes du Cardinal Lavigerie prononcée, le 28 décembre 1888, à l’église du Gesù à Rome : « Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Je suis homme, l’injustice envers d’autres hommes révolte mon cœur. Je suis homme, l’oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m’inspirent que de l’horreur. Je suis homme, et ce que je voudrais que l’on fît pour me rendre la liberté, l’honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de cette race infortunée la famille, l’honneur, la liberté… Assez de sang ! Assez de captures impies ! Assez de larmes ; assez d’enfants enlevés à leurs mères; assez d’hommes arrachés à leurs villages, à la paix du foyer domestique, pour être jetés à la discrétion d’un maître cruel, aux infamies de la débauche ! Assez, non seulement au nom de la religion, mais aussi au nom de la justice, de la solidarité, de la nature humaine et de Celui qui a tracé sa loi dans nos cœurs ».
Esclavage moderne
Le Cardinal Lavigerie s’en est allé depuis longtemps et pour beaucoup, aujourd’hui, l’esclavage reste identifié à la traite des 18e et 19e siècles. Pour eux, l’esclavage a été éradiqué par les lois de 1848 et par la déclaration des Droits Humains en 1948. Malheureusement, l’esclavage existe toujours dans le monde, parfois sous les tristes formes anciennes, plus souvent sous des formes modernes, plus insidieuses. Aujourd’hui ceux qui vivent dans les conditions d’esclavage dépassent de beaucoup les esclaves des siècles passés. Selon l’ONU, plus de 2,4 millions de personnes victimes de la traite sont soumises au travail forcé (BIT, 2005). D’autres parlent de 27 millions d’esclaves modernes, dont une grande majorité de femmes et d’enfants.
Certes, la forme ancienne d’esclavage se trouve encore dans quelques pays africains : on cite souvent la Mauritanie, le Niger et le Soudan. Il y aurait près de 1,5 million d’esclaves dans ces trois pays seulement. Et pourtant ils ont tous condamné, par leurs lois, la pratique de l’esclavage.
Mais l’esclavage moderne, beaucoup plus pernicieux, concerne surtout les enfants et les femmes.Les enfants
Les enfants sont la cible préférée des nouveaux esclavagistes, et cela dans toutes les régions du monde.
La forme la plus connue de l’exploitation des enfants est leur enrôlement forcé dans des guerres, comme enfants soldats, où ils sont transformés en machines à tuer ou en esclaves sexuels. Selon un rapport des Nations Unies, les jeunes de moins de 18 ans contraints au recrutement sont 300 000 dans le monde entier, dont plus de la moitié en Afrique.
Vient ensuite le travail forcé. L‘Organisation internationale du Travail recense 246 millions d’enfants engagés dans un travail forcé, dont près des trois quarts travaillent dans un environnement dangereux, tels que des mines ou des usines, ou manipulent des substances dangereuses (produits chimiques, pesticides agricoles). Si l’Afrique connaît surtout le travail dans les plantations, l’Asie pratique davantage le travail en usines : usines de tapis en Inde, au Pakistan ou au Népal, où les enfants travaillent parfois jusqu’à 20 heures par jour, 7 jours par semaine. Souvent ils dorment, mangent et travaillent dans une seule petite chambre obscure. Ils travaillent dans des positions inconfortables, dans la poussière, et souffrent souvent de problèmes respiratoires, oculaires ou de déformation de la colonne vertébrale.
On estime à 5,7 millions le nombre d’enfants soumis à un travail forcé et asservis pour un remboursement de dettes.
Mentionnons également le tourisme sexuel qui fait des ravages, en Thaïlande, aux Philippines et également en Afrique. Attirés par une bonne rémunération, des enfants de plus en plus jeunes, campagnards et sans éducation, tombent dans le piège de la prostitution et sont la proie des maladies vénériennes et du sida. L‘exploitation sexuelle des enfants fait 1 million de victimes, essentiellement des filles, qui chaque année sont forcées de se prostituer. Ces filles sont vendues comme prostituées ou à des fins de pornographie infantile tant dans les pays développés que dans les pays en développement.
Il faut encore ajouter à ces pratiques esclavagistes la mutilation sexuelle des petites filles, ou la vente de filles, qui n’ont parfois que treize ans, pour être « épouses par correspondance ». Les mariages forcés sont du même ordre, comme les trafics de jeunes footballeurs africains.
Les jeunes filles
Souvent l’esclavage se dissimule derrière des façades cossues ou des pavillons anodins. Chaque jour, des milliers de jeunes domestiques asiatiques et africaines sont asservies près de chez nous. Privées de leurs papiers d’identité, astreintes à 15, 18, ou 21 heures de travail quotidien (ménage, courses, cuisine, enfants), sept jours sur sept, non rémunérées ou si peu, ces jeunes femmes - ces enfants - sont parfois battues et abusées sexuellement. Les esclavagistes sont nantis ou modestes, diplomates ou simples ci-toyens. Selon le Comité contre l’esclavage moderne, elles seraient plusieurs milliers en France.
Il est très difficile, pour la justice, d’enquêter parce que certains “ employeurs ” bénéficient d’une immunité diplomatique, et sont mutés au bon moment vers un autre pays. Quant aux jeunes filles, elles sont tellement intimidées, menacées - parfois battues ou violées -, privées de tout document, qu’elles n’osent pas demander de l’aide. Et puis, il faut avoir un permis de séjour pour porter plainte. Sortir et demander de l’aide, c’est risquer de se faire refouler vers son pays d’origine.
Les victimes africaines sont, actuellement, soumises à un véritable trafic. Ce trafic, initié en Afrique de l’Ouest, a son origine dans une tradition : celle du placement des enfants, une coutume très ancrée dans tous les pays de la région (Côte d’Ivoire, Bénin, Mali, Ghana, Togo, Nigéria, Burkina Faso, Cameroun, Gabon) consistant à confier son enfant à un membre plus aisé de la famille ou de la communauté afin de lui donner une chance de promotion sociale. Mais alors qu’il avait initialement une valeur éducative, « ce système s’est perverti depuis plus d’une dizaine d’années. Il s’est d’abord monétarisé, puis sont apparus des intermédiaires qui vont chercher les enfants dans les villages pour les conduire jusqu’aux pays d’accueil. Là, ils les remettent à des employeurs et perçoivent de l’argent sur leur travail. »
Enfin, beaucoup plus ancien, demeure tout le trafic des femmes pour la prostitution. L’Organisation internationale pour les migrations estime que chaque année, 700 000 femmes, filles, hommes et garçons, font l’objet d’une traite transfrontalière et sont réduits en esclavage.
Les adultes
Au-delà de l’esclavage des enfants et des filles/femmes, il y a encore le travail agricole forcé d’adultes. En Italie, c’est le “triangle rouge” où des ouvriers d’Europe de l’Est, ou d’Afrique, travaillent comme des bêtes pour la récolte des tomates. « En Chine, les migrants désargentés, dont certains ont donné toutes les économies de leur famille à des passeurs clandestins, sont trompés : on leur fait miroiter un travail en Amérique. Leur rêve se brise quand ils débarquent dans une île du Pacifique où ils deviennent des forçats du “Made in USA” pour “Nike” et d’autres fabricants peu scrupuleux.
Le BIT estime que les arrière-boutiques d’Europe et des États-Unis renfermeraient quelque 360 000 travailleurs sans papiers et sans droits, enchaînés par la peur des descentes de police, pour le plus grand profit de leurs exploiteurs. Nike comme Adidas et d’autres fabriquants d’articles de sport n’ont pas hésité à profiter des pauvres et des enfants pour fabriquer leurs chaussures et autres textiles à un prix défiant toute concurrence. On a appris ainsi que le salaire cumulé des 6 500 employés de Nike en Thailande équivalait à ce que gagnaient les 13 membres du directoire de la firme ! Comme si cela ne suffisait pas, les responsables Indonésiens de Nike abusaient également physiquement et sexuellement des ouvrières.
La traite des êtres humains constitue le 3e trafic criminel le plus lucratif dans le monde après la drogue et les armes. Il est très difficile de chiffrer l’étendue de cette pratique criminelle, à laquelle sont soumises des victimes sans voix ni visibilité. N’oublions pas non plus « que la cause profonde du terrible phénomène des nouvelles formes d’esclavage est surtout l’énorme fossé économique entre les pays riches et les pays pauvres, entre les riches et les pauvres à l’intérieur du même pays»
Que faire ?
Quelles solutions ?Le problème du travail des enfants n’est pas facile à résoudre et les mesures prises dans ce sens peuvent avoir des conséquences encore plus graves. Par exemple, la fermeture, au Bangladesh, d’une usine qui emploie des enfants, pourrait pousser ceux-ci à la prostitution et non à l’école. De là, deux tendances s’affrontent aujourd’hui : soit élimination progressive du travail des enfants, soit le droit au travail pour les enfants dans de bonnes conditions.
Nous sommes tous concernés. Diverses actions peuvent être engagées :
- Prendre position lorsque nous sommes confrontés à une situation d’exploitation des enfants.
- Militer dans des groupes qui visent la protection des enfants.
- En tant que consommateurs, nous informer sur les conditions de production des produits que nous achetons, et, également militer pour un commerce équitable entre les pays du Nord et ceux du Sud.
- Il faut également se former en prenant connaissance des grands textes de l’ONU, entre autres la Convention des droits de l’enfant, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, qui est l’instrument le plus récent et potentiellement le plus efficace de lutte contre les pratiques esclavagistes. On peut aussi se tenir au courant du travail des grandes agences onusiennes comme l’UNICEF, l’UNESCO ou le HCR.
- Enfin, encourager les organisations religieuses et laïques à sensibiliser activement leurs membres et l’opinion publique au caractère inhumain des formes très répandues d’exploitation.
Au niveau européen, la récente Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic des êtres humains pose de nouveaux fondements. Jusqu’à présent dix pays, dont certains d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, ont décidé de la mettre en place. « Il s’agit de la première convention internationale qui définit le trafic humain comme un problème de droits de l’Homme et non comme un simple problème de contrôle des crimes. Elle garantit aussi une protection minimale et une assistance aux victimes».
D’après des sources diverses
Voix d’Afrique