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L’accompagnement de réfugiés :
L’espoir d’une promesse
Réfugiés Afghans
"Je viens d’Afghanistan. Je suis un demandeur d’asile. Je suis marié. J’ai deux enfants. J’ai dû quitter ma femme, ma mère et mes deux enfants. Chez moi je ne pouvais plus vivre. J’étais un agriculteur éleveur, mais tout mon troupeau a été pris par les Talibans. Moi-même, j’ai été forcé de les rejoindre. Pendant un bombardement, j’ai été blessé et je me suis échappé de leurs troupes. Je suis retourné à la maison, mais je ne pouvais pas y rester. J’ai quitté l’Afghanistan et je suis allé en Angleterre.
Après quelques semaines, j’ai été arrêté par la police qui m’a envoyé en Grèce car là-bas ils avaient pris mes empreintes. J’ai été mis en prison pour plusieurs semaines. Ensuite, j’étais dans la rue en cherchant à survivre. En arrivant en France, je me suis retrouvé à la rue, jusqu’au moment où j’ai été accueilli par le réseau « Welcome ». J’espère pourvoir recevoir l’asile et revoir ma famille. Je n’en ai pas de nouvelles depuis mon départ. Il n’y a pas moyen de la contacter. Elle me manque, beaucoup. »
« Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. » (Ga 3,28).
C’est avec cette conviction que, l’année dernière, je me suis engagée dans le projet « Welcome » du JRS#1, en tant que tutrice de demandeurs d’asile. Le projet « Welcome », né en 2009, est un réseau de familles et de communautés qui accueillent les réfugiés déjà en cours de procédure de demande d’asile. Le demandeur d’asile demeure dans une famille de deux semaines à deux mois. Puis, il change de lieu d’accueil. Cet accueil est temporaire pour aider la personne à souffler, à se retrouver elle-même, jusqu’à ce qu’elle trouve son propre logement ou bien en reçoive un de l’État. Les demandeurs d’asile, accueillis par le projet « Welcome », sont dirigés par un autre organisme ou d’autres personnes engagées pour la même cause.
La priorité est donnée aux plus fragiles, cette année, en grande majorité, aux jeunes d’Afghanistan qui n’ont pas encore de communauté pouvant les aider. La visée du projet est de répondre à des besoins précis des réfugiés et de créer des relations de confiance réciproques entre l’accueilli et les accueillants. La communication réciproque et la collaboration de tous est un pilier du réseau. Des rencontres régulières des différents partenaires du réseau permettent une meilleure collaboration. Les réfugiés sont accompagnés régulièrement par un « tuteur ». Il s’agit d’une rencontre d’écoute, de soutien, d’accompagnement et de temps de convivialité, gratuitement. Le tuteur fait aussi le lien entre la famille d’accueil et les responsables du réseau, à qui ils doivent rendre compte de l’accompagnement. C’est mon rôle. Ainsi, je découvre non seulement le monde des refugiés mais aussi des familles françaises, des paroisses, des personnes qui s’engagent pour le bien commun sans compter.
Depuis le début, j’ai accompagné trois Afghans qui ont déposé une demande d’asile à l’OFPRA2#. Maintenant, on m’a confié une autre personne. Cependant, je garde des liens avec les autres qui, depuis cet été, sont pris en charge par l’État. Le demandeur d’asile est une personne qui a dû quitter son pays parce qu’elle s’estime menacée dans sa vie et sa liberté à cause de la guerre, de persécutions politiques ou religieuses, etc. Une fois qu’elle a déposé une demande à L’OFPRA, elle a droit à la protection minimale de l’État qui la reçoit, en attendant que sa demande soit examinée, selon les conventions européennes.
Elle doit donc avoir des conditions favorables pour présenter sa demande. Malheureusement, pour plusieurs raisons, il n’y a pas assez de moyens pour les accueillir tous dignement. Alors, c’est la rue qui les accueille, dans la « terre promise » de l’Occident. Aujourd’hui la France reçoit de nombreux refugiés de Syrie. Le trajet de leur pays au nôtre est connu pour sa violence et les risques vitaux encourus. L’insécurité, la faim, le froid, la pression psychologique, l’ignorance de la langue, sont leurs maux quotidiens. Mais, avant tout, « le réfugié politique est une personne, avec sa dignité, avec tous ses droits. Ceux-ci doivent lui être reconnus ; ils ne sont point caducs du fait que l’exilé serait, dans son pays, déclaré déchu de ses titres civiques ou politiques », comme le disait Paul VI. Dans cette situation, sans une présence fraternelle, il est facile de sombrer dans le repli sur soi, la drogue, des attitudes qui mènent vers des abus de la loi.
Les mineurs surtout sont vulnérables. Et pourtant, je vois ici à Paris, qu’il y a une solidarité de gens de bonne volonté qui viennnent en aide aux réfugiés. Les infrastructures de la cité sont faites de telle manière que les personnes les plus démunies arrivent à satisfaire au minimum leurs besoins premiers.
C’est dans ce lieu de fracture que se vit l’accompagnement. Je le vis avec une espérance : que ce lieu puisse devenir un lieu où surgisse un sens nouveau, où des hommes trouvent accès à de nouveaux commencements à travers l’autre.
La relation de tutorat ne peut pas être basée sur la relation d’aide au sens de dépendance. Car, si l’accompagnement vise la prise en charge de la vie du demandeur d’asile par lui-même, il s’agit plutôt de susciter des situations et des prises de conscience où l’accompagné exprime sa capacité de faire les choses par lui-même. Il faut le conduire à une plus grande confiance dans cette situation d’insécurité. Il faut lui permettre de s’exprimer jusqu’au bout, malgré ses difficultés, de choisir sa prochaine sortie récréative, d’acheter des billets de train, d’accepter son refus et d’être présent quand il revient. Cela suppose un « ajustement à l’autre. (…) Découvrir l’autre, entendre l’autre, se laisser aussi façonner par l’autre. Cela ne veut pas dire perdre son identité, rejeter ses valeurs. Cela veut dire concevoir une humanité plurielle, non exclusive. On ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres ».
A travers la relation juste de tuteur qui s’enracine dans l’accompagnement même de l’homme par Dieu, l’accompagnement peut devenir un lieu où la personne trouve la force pour aller de l’avant et construire sa vie, car tout homme doit inventer sa vie, « venir au monde » et le faire advenir en travaillant, à « se faire une maison ». L’accompagnement ne laisse pas le tuteur indifférent. C’est un lieu de service mais aussi de réception. C’est un lieu de déplacement et d’ouverture aux autres qui reflète un nouveau visage de Dieu, inconnu auparavant. Il nous ouvre non seulement à une nouvelle culture du monde, à une autre réalité du monde, de notre ville, mais aussi sur notre propre réalité, sur ce que nous sommes. Enfin, cela peut devenir un lieu de relations fraternelles et gratuites, porteuses d’une promesse.
Celina Natanek
SMNDA1Jésuite Refugee Service (JRS) est une organisation catholique internationale. Elle a pour mission d’accompagner, de servir et de défendre les réfugiés. Le projet « Welcome » est né en 2009, au sein du JRS. C’est un réseau de familles et de communautés qui accueillent, pour une durée limitée, les réfugiés déjà en cours de procédure de demande d’asile. La visée du projet est de répondre à des besoins précis des réfugiés, de créer des relations de confiance réciproques entre l’accueilli et les accueillants. Le réfugié est accompagné régulièrement par un « tuteur ». Il s’agit d’une rencontre d’écoute, de soutien, d’accompagnement et de temps de convivialité, gratuitement.
2 L’OFPRA, Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides