Voix d'Afrique N°85.....

Témoignages

 

ÉCHOS DU MAGHREB



"Mon Amour est inconditionnel"


 « Je m’appelle Vincent Kyererezi et je viens de l’Uganda. Je suis le cinquième d’une fratrie de 9 enfants, dans une famille modeste et priante. Après mon Bac au collège fondé par les Pères Blancs à Mbarara et un bon temps de réflexion, je choisis les Missionnaires d’Afrique et vais à Arusha, en Tanzanie, pour étudier la philosophie. Puis, on m’envoie à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) pour l’année spirituelle. Me voici maintenant en stage à Tizi-Ouzou, en Algérie. »


Pour bien aimer l’autre, il faut bien le respecter : c’est ce que je suis en train d’oser dans ce monde arabe. Ceux qui pensent qu’ici ce n’est que l’apostolat du thé et du café, il faut l’oublier ! Venez et voyez !
Tizi-Ouzou est située à peu près à 100 km à l’est d’Alger.

C’est une ville entourée par de grandes et vertes montagnes, au moins pour ceux qui n’ont pas encore vu le Kilimanjaro ! C’est au cœur de ce milieu kabyle (« pas Arabe, comme on dit ici »), que je fais son stage ! Je suis très heureux de découvrir cette nouvelle réalité. En fait, il ne suffit pas d’écouter ce que les autres disent (même ceux qui ne sont jamais venus ici !). Il s’agit de vivre une expérience personnelle. C’est vraiment magnifique de témoigner l’amour infini et gratuit de Jésus auprès de gens qui n’ont pas les mêmes convictions religieuses que moi. Il est important de prendre conscience que nous sommes tous, avant tout, des humains, créés et aimés par le même Bon Dieu à qui nous nous adressons différemment ! Alors les valeurs humaines (justice, paix, bonheur, santé, éducation, droit et respect de l’autre tel qu’il est etc.) sont les aspects incontournables qu’il ne faut pas ignorer !

En tout cas, c’est ici, où la plupart des gens ont une grande considération pour les Pères Blancs, que je vis ma foi chrétienne et partage mon bonheur avec les gens autour de moi. Parmi eux, il y a une vingtaine de chrétiens du pays, qui nous fréquentent, une centaine d’étudiants d’Afrique subsaharienne, quelques étrangers qui rendent service à ce peuple, beaucoup d’amis musulmans, pratiquants et non pratiquants. (« Ah, tu es stagiaire Père Blanc ! Eh bien, moi je suis un de leurs anciens élèves ! Bienvenu chez toi ! ». Un autre m’a dit. « Bienvenu en Afrique du Nord, mon frère, nous sommes, nous aussi, Africains »).

J’ai des activités avec les étudiants chrétiens (café biblique, partage de la parole de Dieu, discussions éducatives, sports et jeux, liturgie, chorale, partage des moments joyeux et pénibles… la liste est interminable !). Je travaille aussi dans notre bibliothèque (anglais, médecine, culture berbère) où évidemment je suis en contact direct avec les étudiants algériens : quelle belle expérience ! En plus, je donne des cours de soutien en anglais et français car, dans le royaume des aveugles, les borgnes sont rois ! Notre beau jardin est mon plaisir et ma détente. Je rends visite à l’hôpital-sanatorium … Jusque là je n’ai pas encore parlé de la langue kabyle que je suis en train d’apprendre, avant d’attaquer l’arabe, « la langue du paradis ! » Eh bien ! Ceux qui pensent qu’ici c’est l’apostolat du thé et du café, il faut l’oublier ! Venez et voyez !

Et le racisme ? Peut être pas. Eh bien, ça arrive qu’il y ait des gens qui m’appellent “Africain” (pour m’insulter), mais je suis très fier de l’être. J’ai pitié d’eux (uniquement ceux qui m’appellent ainsi, (ce ne sont pas tous !) parce qu’ils le sont eux aussi sans s’en rendre compte ! Mais cela ne m’empêche pas de les aimer. « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ…» (Rm 8) « Dieu aime le bon droit et la justice, et la terre est remplie de son amour » (Ps 32) Vraiment, mon amour pour ce peuple est sans conditions, car c’est un don de Dieu !

Heureusement que je ne suis pas seul. Aimer fait partie du grand projet de notre nouvel archevêque (Connaître, Aimer, Servir et Unir). Il est le premier ‘berger’ arabe dans ce monde arabe. Il a été intronisé officiellement dans sa magnifique cathédrale du Sacré Cœur. Ce nouvel évêque est Jordanien et s’appelle Ghaleb Bader Abdallah Moussa. Un vrai arabe, qui surprend beaucoup de monde qui ont du mal à concevoir un Arabe qui ne soit pas musulman !

Avec une communauté très accueillante, priante et « stagiable », (2 Français, 2 Polonais et moi-même, Ougandais, pour l’équilibre), nous sommes au service de ce peuple, pour oser cette rencontre ! Là, où il y a l’amour, il peut régner la paix, la joie, le bon-heur, la justice…! Mais pour bien aimer, il faut bien respecter l’autre, une chose que je suis en train d’oser dans ce monde arabe avec un évêque arabe. Il n’est pas seul. Mes amis, nous ne sommes pas seuls ! Il est avec nous, l’Emmanuel, qui est venu dans notre histoire, et qui nous illumine toujours.

Kyererezi Vincent


Ma jeune expérience de vie


 Michel Ouedraogo vient de la paroisse de Tikaré, dans le diocèse de Ouahigouya, au Burkina Faso. Après ses études secondaires et son Bac en 2004, il entre chez les Missionnaires d’Afrique à Ouagadougou. Après trois ans de philosophie, il part à Kasama, en Zambie, pour l’année spirituelle. N’ayant pu obtenir un visa pour l’Algérie, il part en Tunisie pour son stage apostolique en novembre 2008.




Je suis à l’Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA). Voilà comment j’y suis arrivé : D’abord, je suis venu à Tunis le 07 Novembre 2008 vers 5h30 du matin. Même si l’heure n’est pas très indiquée (surtout pour ‘‘des vieux’’), les confrères ont rompu leur sommeil et bravé le froid pour m’accueillir. C’était un jour faste, un jour béni, non parce qu’un stagiaire P.B. est arrivé, mais plutôt parce que cette date rappelle le début d’une nouvelle ère pour la Tunisie. Faut-il le rappeler, c’est le 07 Novembre 1987 que l’actuel Président a accédé à la magistrature suprême du pays. Et si c’était un jour de fête pour les gens, c’était aussi pour moi un autre motif de joie. En effet, je me suis senti accueilli non seulement par les P.B, mais aussi par toutes les personnes que j’ai eu le courage d’aborder jusque là. Et l’écho des ‘‘bienvenue en Tunisie’’ résonne toujours dans mes oreilles un peu partout où je passe.

Ensuite, mon bref séjour à Tunis est une fameuse expérience qui me ‘désillusionne’ beaucoup. Par désillusion, j’entends tout le contraste entre l’impression que j’avais de ce monde arabe et les sentiments qui m’habitent aujourd’hui, après y avoir passé quelques mois. Par exemple, l’une des questions qui me préoccupaient était de savoir comment aborder ces ‘gens-là’, être proche d’eux. En effet, voilà que dire simplement ‘bonjour’ et ‘bonne fête’ à un monsieur au bord de la rue a été pour moi l’occasion de me faire appeler « frère ». J’ai même été invité à prendre du café que je n’avais pas l’habitude de prendre, et que j’ai trouvé, en fin de compte, délicieux.

N’est-ce pas que des petites clés peuvent aider à ouvrir de grandes maisons ? En plus, les ‘‘est-ce qu’on peut vous rendre visite ?’’ et les ‘‘je t’invite à venir déjeuner avec moi’’ sont quelques-uns des propos qui m’ont déjà été adressés par des Tunisiens qui n’ont eu aucun complexe à m’appeler « frère ». Et je suis convaincu que certains ne m’appellent pas ainsi parce qu’ils disposent d’une certaine aisance verbale pour s’exprimer, mais surtout parce qu’ils sont cordialement disposés à m’accueillir et à m’accepter comme frère. Ce sont de petites expériences, mais très enrichissantes, qui dissipent progressivement mon sentiment de méfiance et consolident évidemment celui de la confiance.

Enfin, je me sens aussi touché et interpellé par l’attitude de tous ces croyants convaincus de leur foi, qui n’ont de cesse de s’appeler, de se rassembler et de prier ensemble plusieurs fois par jour. Même si beaucoup m’ont posé la question de savoir de quelle religion j’étais, cela ne me met absolument pas mal à l’aise. Car, en causant avec certains, j’ai l’impression que ce sont des gens tout simplement convaincus que leur foi constitue la force de leur vie et qu’ils sont, par conséquent, soucieux de communiquer la même conviction et la même espérance aux autres et surtout à leurs frères qu’ils aiment tant.

Je suis heureux et je crois que tout ira encore de mieux en mieux pour la gloire de Dieu.

Michel Ouédraogo


Prévention du Sida
à Oran



J’ai la chance de collaborer avec l’Association de Protection Contre le Sida (APCS) d’Oran. Aujourd’hui je veux vous faire part des résultats de deux ans de travail au sein d’une équipe, plus que sympathique et motivée, dans un projet visant à « produire » des outils de prévention adaptés à notre milieu.

D’abord, les personnes 
Elles sont devenues mes AMIS. C’est facile à dire et ça peut avoir l’air d’un poli compliment, mais c’est une grande source de joie que de trouver des AMIS avec qui partager des convictions. Nous sommes très différents au sein de l’association, mais si vous pouviez voir avec quelle force on se sent unis dans ce combat … Alors, on découvre que nos différences sont une richesse : les séropositifs apportent leur vécu ; les plus religieux peuvent aller s’adresser aux imams réunis pour une formation ; les jeunes (dans toute leur diversité) savent parler à d’autres jeunes ; ceux qui sont mariés comprennent les couples ; nous les étrangers (nous sommes deux dans l’association), nous apportons notre « grain de sel »…

Ensuite, la réalité
Ce qui intéresse la plupart  des gens, c’est de connaître des statistiques. « Combien de cas déclarés de Sida ? Combien sont Algériens ? Combien ont eu des contacts avec des étrangers ? Il y a des homos parmi eux ?... » Bref, placer rapidement des étiquettes autocollantes dans la vie des gens pour tirer des conclusions simplistes. Or, justement, la réalité est bien plus complexe qu’on ne le pense et les catégories de bon/mauvais, permis/défendu, pur/impur, d’ici/d’ailleurs… ne servent pas à décrire les nuances de chacune des vies infectées ou affectées par le virus du Sida. Donc, à l’APCS on pense que la présence d’un seul et unique cas de Sida dans le pays justifierait tous les efforts déployés pour lutter contre la stigmatisation, la souffrance et la maladie.

Le projet 
Depuis un ou deux ans, et avec un groupe de jeunes volontaires, je me suis lancé dans l’aventure créatrice de traduire et adapter au milieu algérien un outil de prévention venu de la Tanzanie : la Flottille de l’Espoir. On compare le Sida à une inondation : elle concerne, comme le déluge, tout le monde, et il n’y a pas moyen de l’arrêter en faisant de petites digues « par ci par là ». Il faut monter sur quelque chose qui flotte pour pouvoir survivre ; en réalité, il y a trois arches, trois bateaux : fidélité, préservatif et abstinence. Chacun montera dans le bateau qui s’adapte le mieux à ses convictions, à son âge, à sa situation personnelle et y restera (ou changera de bateau !) sans jamais retourner à l’eau.

Plusieurs ateliers ont eu lieu pour bien saisir, ensemble, toutes les nuances de cette pédagogie. Nous avons tourné et retourné dans tous les sens l’image de l’inondation, des bateaux, des possibles passages de l’un à l’autre, des personnages potentiels qui peuplent chaque embarcations ; nous avons discuté les termes à utiliser en arabe classique et en dialectal, cherché des caricaturistes, essayé des jeux interactifs, des diaporamas, des posters, testé plusieurs fois chaque texte, chaque image, chaque choix des couleurs… Finalement cette stratégie a été acceptée par l’APCS, car elle correspond à la réalité algérienne et respecte la diversité des situations vécues par les gens.

Les résultats ?
Un joli livret publié en couleur et présentant (en arabe dialectal) la Flottille de l’Espoir pour un large public algérien où l’on a inclut des informations sur le Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit géré par l’APCS d’Oran et où les gens peuvent aller pour connaître leur état. Ce li-vret est destiné à être utilisé lors des animations organisées par l’Association, et il a été tiré à plus de 5000 exemplaires. C’est un petit pas vers plus de bonheur et il apporte, à des jeunes principalement, la conviction que le Sida n’est pas une fatalité. Ce matériel servira lors des journées de formation, dans les animations avec des jeunes, les visites aux cités universitaires et aux entreprises, lors des entretiens de prévention, pour les discussions en famille… Un autre fruit de ce travail est que les jeunes volontaires de l’APCS ont apporté une contribution concrète et réelle au monde associatif : sans eux, quelque chose manquerait dans le monde de la prévention du Sida en milieu arabo-musulman. Un autre résultat : la certitude qu’être sérieux dans la vie associative transforme réellement la société.
 
Et pour conclure, une blague…!
On raconte que, à la frontière linguistique en Belgique, deux usines étaient construites face à face ; sur les murs de l’une, les ouvriers écrivirent un jour : « Ici, on parle français ! ». Le lendemain, sur les murs d’en face, on pouvait lire : « Ici, on travaille ! ». Face à ceux qui passent des heures et des heures à parler et à discuter, à critiquer les propos du Pape au Cameroun, à dire combien c’est difficile de trouver des terrains où chrétiens et musulmans pourraient collaborer… je suis heureux et fier d’avoir trouvé, dans le cadre de cette association algérienne et en tant que membre de l’Église d’Algérie, une belle opportunité pour collaborer avec mes frères musulmans dans la lutte contre le Sida. Laissons à d’autres les discours !  Nous, ici, on travaille !

José Maria Cantal Rivas M.Afr.
Provincial du Maghreb


.............. Suite