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Des puits pour les villages
Il y a toujours un puits sur notre chemin quand on prend la route au Mali. Puits moderne réalisé avec des moyens importants, permettant d’atteindre la nappe à grande profondeur, mais aussi puits villageois, puits pastoral, puits des jardins. Parfois, ce sont des puits très basiques, simples trous dans le sol, d’une profondeur de quelques mètres, à peine sécurisés sur leur bordure. Ils s’arrêtent en profondeur quand la roche devient trop dure pour le puisatier. Ils exploitent juste une nappe de surface alimentée à la saison des pluies. Ils sont donc rarement en eau toute l’année et font l’objet d’un surcreusement ou de curages réguliers quand on ne puise plus que de la boue.
Tôt le matin ou à la tombée du soir, les petits troupeaux de chèvres sont là, bien adaptées à ce climat et se nourrissant facilement de tout ce qu’elles trouvent pourvu qu’il y ait à boire. On y trouve aussi des moutons et quelques bovins. Des femmes y viennent pour la lessive, elles repartent ensuite en ramassant le linge sec, après avoir profité du puits pour se laver, chargées d’un seau d’eau pour le soir. C’est parfois le seul point d’eau du village. On mesure alors la précarité de cette ressource en eau. Ça n’a l’air de rien un puits villageois, mais très souvent c’est ce petit point d’eau qui fait que les gens se raccrochent à leur terroir, tiennent encore envers et contre tout, refusent d’aller ailleurs, de franchir le pas vers l’exode.
Moderniser les puits, oui, mais comment ?
Dans ce village, les choses vont changer, un forage est en cours de réalisation. Il sera équipé rapidement d’une pompe à motricité humaine. La population est soulagée, on nous parle de diarrhées, de maux de ventre, de vers .... Le village est trop petit, accessible seulement 3 mois dans l’année, les conditions hydrogéologiques sont difficiles. Il faudra bien penser un jour à tous ces villages car l’accès à l’eau potable est aussi important pour ces populations que pour les grandes métropoles.
A Toumadiama, petit village proche de Djenné, la population disposait de 2 forages équipés de pompe à motricité humaine. Les deux sont en panne, et la population utilise les puits avec une eau de qualité plutôt douteuse. C’est mieux que rien mais pas satisfaisant. Plutôt que de remettre en fonction les pompes, on propose de remplacer une des deux par une petite pompe solaire avec un réservoir et un point de distribution avec robinets. On améliore ainsi la qualité du service, mais avec une condition essentielle : prendre l’habitude de donner un prix à ce nouveau service. Les conditions ont donc été posées et acceptées. Et le village joue le jeu avec ses petits moyens.
Parfois, les choses se compliquent. Pour une commune rurale, programmer un point d’eau pour un village qui n’en a pas, passe encore, mais recruter les bureaux d’études sur lesquels s’appuyer, lancer des appels d’offres, recruter des gestionnaires est autrement plus compliqué. La création d’un réseau d’adduction d’eau dans un petit centre urbain est forcément un évènement. Passer du puits, à 500 mètres de chez soi, au robinet est un progrès auquel tout le monde veut accéder, et c’est normal. Cependant, le dit progrès a un coût, celui du service de l’eau, au même titre que l’achat de la corde pour puiser l’eau du puits.
Pompe solaire ou non solaire ?
Il suffirait de pas grand-chose pour que la pompe à motricité humaine ne remplace définitivement le puits traditionnel en Afrique de l’Ouest. On en pose depuis des décennies et on peut dire que tout paysan est capable de décrire deux ou trois types de pompes et d’en donner les avantages et les inconvénients. Ces pompes sont indispensables pour les besoins en eau potable des populations rurales. En effet, la potabilité est garantie et le coût de la maintenance est bien connu (30 000 F. CFA // 45 environ par an), ainsi que le prix d’une pompe neuve (982 500 à 1 300 000 F. CFA // 1500 à 2000 ) et sa durée de vie (10 à 15 ans suivant les conditions d’utilisation). Ainsi, on obtient un prix du service de l’eau généralement très raisonnable, 196 000 ou 262 000 F. CFA (300 ou 400 euros) par an pour un village de 400 habitants, soit moins de 655 F. CFA (1 ) par an et par habitant.
Dans ces cas-là, il est rarement question de fontainier en poste au pied de la pompe ni de paiement au volume, mais de cotisations. L’association villageoise propose souvent de cotiser des sommes de l’ordre de 200 F. CFA (0,3 ) par mois et par femme mariée… ou 1000 F. CFA (1,5 ) par cour et par mois, l’important est que le service de l’eau s’y retrouve. Pour un réseau d’eau potable, les durées d’amortissement sont en général plus longues et les montants plus élevés. La durée de vie de panneaux solaires est de 20 ans (25 dans la pratique) et une station de pompage solaire peut avoir une valeur de 30 millions de F. CFA (45 800 ). Dans ces conditions, le prix de l’eau peut atteindre 500 F. CFA (0,75 ) le m3 (et en général tout est fait pour qu’il reste en dessous).
Il est vrai que la pompe solaire pose parfois plus de problèmes qu’elle n’en résout. D’abord, ça marche au soleil, au fil du soleil s’il n’y a pas de batterie et quand il n’y a plus de soleil, la pompe ne marche pas. Le solaire, c’est aussi une apparente gratuité du service de l’eau. Ça marche pratiquement tout seul : juste un coup de chiffon sur les modules de temps en temps… Alors comment motiver une population à payer le service solaire de l’eau pour remplacer des équipements qui fonctionnent sans entretien et seront obsolètes dans vingt ou vingt-cinq ans ? Autre inconvénient, on peut pomper, grosso modo, de 8 h à 16 h. Pour le reste de la journée, on doit stocker, ce qui n’est pas toujours possible. Et généralement à 5 heures du matin le réservoir est vide. Alors celui qui a besoin d’eau doit attendre 10 heures du matin. On ne peut pas ajuster l’offre à la demande.
Mais le solaire présente quand même de gros avantages : pour un petit village, le coût d’une station de pompage solaire reste largement raisonnable pour assurer l’alimentation de la ville avec une bonne marge de sécurité. En dessous de 4 000 habitants, il n’y a généralement pas de gros problèmes. Et puis le carburant devient de plus en plus cher, plus de 40% d’augmentation en cinq ans au Mali. De plus, on ne trouve pas du carburant partout et toute l’année. En saison des pluies ou dans des zones de dunes, pas facile. Et le solaire, c’est propre, c’est durable, c’est beau, un autre monde est possible.
Le prix de l’eau
Entre les alter-mondialistes qui n’admettent pas que l’on rançonne de pauvres populations et les partenaires techniques et financiers qui souhaitent que les populations comprennent que les infrastructures hydrauliques, ça coûte cher, il n’est pas facile pour les projets et les directions techniques des pays sahéliens de trouver le juste milieu qui contente tout le monde. Il s’agit d’expliquer que l’eau a toujours eu un prix, qu’il soit humain (santé par exemple) ou technique (achat de cordes, creusement de puits…) seulement personne ne le sait ou ne veut le savoir. Mais combien coûte l’eau au Mali ?
Auparavant l’eau était ‘gratuite’ (puits, pompe à main), les habitudes de gratuité ne sont pas toujours faciles à changer, même si indirectement le service de l’eau avait quand même un coût.
Que faire ? Vendre le « service de l’eau » à petit prix afin d’habituer les populations à l’eau potable, à ses bienfaits mais aussi en acceptant que la gestion soit déficitaire les premières années ? Cependant on doit expliquer aux gens que le système doit fonctionner (achat de consommables, entretien préventif…), qu’il doit être renouvelé (dans 5 ans, dans 10 ans) et qu’il faut bien quelques salariés pour s’occuper de la gestion (et donc les payer). On arrive à un prix au m3 qui généralement est de 250, 375 ou 500 F. CFA. Pourquoi ces montants ? Tout simplement parce que la majorité de l’eau est achetée aux bornes fontaines au seau de 20 ou 10 litres et on a droit, au choix, à 5, 10 ou 15 F. CFA le seau (ou les deux seaux), ce qui correspond à 250, 375 ou 500 F. CFA le m3.
La gestion de l’eau
La gestion d’une Borne Fontaine (B.F.) n’est pas une sinécure. Bientôt, la fontainière, la vieille du quartier qui accepte d’être présente à la borne fontaine et de faire payer l’eau aux usagers, d’être de permanence auprès du robinet tout en gardant les bébés des voisines, voit son «salaire» baisser, passer de 5 000 F. CFA à 3 000 F. CFA par mois (soit de 6,5 à 4,5 euros par mois !). L’explication est simple : il n’y a pas assez de recettes pour la payer et il faut mettre quelques fonds sur le compte de renouvellement. Mais ce n’est pas un problème, elle sait que c’est symbolique, il en va de la vie même de la pompe.
En effet, le paysan qui espérait bénéficier de 20 l /jour d’eau potable doit souvent revoir ses ambitions à la baisse lorsqu’on lui présente la facture, même si celle-ci est parfaitement justifiée. Payer 500 F. CFA le m3 d’eau (moins de 1 ), passe encore pour boire, mais pour se laver, faire la cuisine ou la vaisselle, pas question. Je retourne au puits quand il y en a un, sinon je me débrouille autrement.
La consommation passe alors de 20 l/jour par habitant à 3 ou 4 litres, 10 litres dans le meilleur des cas, mettant en danger la pérennité des investissements. Elle entraîne aussi une démotivation profonde des fontainiers dont la rémunération est proportionnelle au volume d’eau vendu. On se retrouve donc avec des systèmes d’alimentation en eau potable dimensionnés pour fournir 250 m3 d’eau par jour... et vendant péniblement leurs 40m3 par jour.
Construire des systèmes d’alimentation en eau potable, c’est bien, les faire durer pendant vingt ans, c’est encore mieux. Tout le secret est dans la formation à la gestion, et c’est loin d’être évident.
Problèmes d’environnement
Quand on parle d’adduction d’eau potable, on pense surtout au côté potable, mais quand on imagine les corvées d’eau supportées avant par les femmes, on voit encore mieux le progrès réalisé et l’accueil réservé au robinet.
L’adduction d’eau potable se met en place. Pour la population, c’est tout bénéfice. Plus besoin de se déplacer, le robinet est là, à portée de main, il y a juste à le tourner. Oui, mais pas d’égouts, pas d’évacuation des eaux. Et il est évident que quand on consomme dix fois plus, on rejette dix fois plus et souvent au mauvais endroit. C’est-à-dire devant sa porte ou celle du voisin, en plein milieu de la rue qui en général est en terre battue. En quelques mois, par endroits, la ville devient un véritable bourbier.
Maintenant, et partout au Mali, on ne peut réaliser un projet d’alimentation en eau potable sans le lier à des actions d’assainissement. L’éducation à l’utilisation de l’eau, le remplacement des robinets défectueux, le paiement au volume, et non au forfait, constituent une partie des mesures d’accompagnement qui sont mises en place par les projets. Elles viennent compléter les mesures prati-ques que sont les puits perdus aux points de distribution d’eau ou au bord des cours des maisons.
Autre dommage « collatéral » des campagnes pour l’eau potable : la prolifération des sachets en plastique. Il y avait déjà les sachets multicolores pour l’emballage des achats. Boîte d’allumettes ou kilo de bananes ont droit au sac plastique. Pour la boisson, même chose, le petit sachet plastique transparent est devenu la norme, il remplace à moindre coût les gobelets et les bouteilles. Ces petits sacs plastiques sont devenus si communs que l’on n’y fait plus guère attention. A tous les carrefours, auprès des gares routières et des marchés, à chaque manifestation culturelle ou sportive, on rencontre ces petites vendeuses ou vendeurs (presque toujours des mineurs) qui proposent de l’eau fraîche ou des jus à la volée. Pratique, bien sûr, de pouvoir à tout moment acheter pour 10 ou 20 F. CFA d’eau potable fraîche quand on a chaud. Pratique mais ni très rai-sonnable, ni très écolo. Invariabl-ment, les sacs de plastique se retrouvent à terre et vont tranquillement polluer le paysage, boucher les égouts ou transformer les arbres du quartier en arbres de Noël bien décorés. La prolifération de ces sacs devient un réel problème de salubrité (et donc de santé publique).
Mais il y a plus. Certains sachets sont plus ou moins officiels, avec le logo de sociétés de distribution d’eau et une autorisation administrative, mais ce n’est pas toujours le cas. Le problème est que, en saison chaude, beaucoup de particuliers qui ont un congélateur se lancent dans cette activité pour s’assurer un complément de revenus. La famille passe la soirée à remplir ces petits sacs d’eau, avant de les mettre au congélateur. Outre les conditions d’hygiène aléatoires de ce remplissage dans la cour familiale, il y a celles de la congélation. On ne parvient pas toujours à assurer la chaine du froid et donc congélation lente, décongélation... recongélation. Scénario idéal pour la prolifération de germes en tout genre et ayant un effet spectaculaire, voire explosif, sur les intestins.
Conclusion
On s’aperçoit alors qu’il y a peu de choses entre un succès et un échec dans l’amélioration des conditions d’alimentation en eau potable. Un prix de l’eau un peu élevé, des ressources alternatives en eau disponibles toute l’année, un leader charismatique sont autant de choses qui peuvent mener au succès ou à l’échec. Un meilleur accompagnement, une remise en question du prix de l’eau basée sur des principes de mutualisation des épargnes pourraient permettre de passer ce cap, un peu comme on accompagne les jeunes entreprises les premières années.
L‘expérience montre que si les adductions d’eau potable de trois ans d’existence ont du mal à y arriver, une fois ce cap franchi, les consommations augmentent et permettent même aux gestionnaires de diminuer le prix de l’eau. Malheureusement, la gestion des infrastructures d’alimentation en eau potable n’a pas encore trouvé son chemin en Afrique sahélienne. Les taux de pannes sont encore anormalement élevés, le prix du service de l’eau décourage les usagers d’abandonner les sources d’eau traditionnelles responsables de maladies.
Diminuer le prix du service de l’eau, rentabiliser les investissements, diminuer le nombre de jours de panne, tels sont les objectifs de la nouvelle forme de suivi de la gestion, car il ne s’agit pas de gérer le système à la place des populations.
Avec l’aimable autorisation
de M. Thierry Helsen
Blog Toubabou à Bamako
Libération