Voix d'Afrique N°96.

Dialoguer avec les religions
traditionnelles


Danseurs dogons (Mali)


Fidèles aux consignes du fondateur, le cardinal Lavigerie, plusieurs Missionnaires d’Afrique ont consacré leur vie à la rencontre des Religions Traditionnelles Africaines (RTA) auprès des peuples senoufo, particulièrement au sud du Mali. Cela fait plus de 50 ans.

L’activité des missionnaires consiste, entre autres, à accompagner une poignée de jeunes convertis provenant des religions traditionnelles. Il est question d’évangéliser et de recatéchiser ces chrétiens qui côtoient au quotidien des habitudes bien irriguées des pratiques des religions traditionnelles. Cela se manifeste plus vivement aux moments importants de la vie : naissance, mariage, maladies, funérailles, etc. À ces occasions et surtout au moment de tout danger qui menace la vie humaine, nos gens tendent à recourir à des pratiques de la religion traditionnelle ou à des guérisseurs, des sorciers, etc.

Lavage du mineraiSur les traces de nos prédécesseurs en ce milieu senoufo, nous faisons notre possible pour poursuivre l’aventure missionnaire avec grand respect, ce à quoi nous appelle l’encyclique Redemptoris Missio : « Le processus d’insertion de l’Église dans les cultures des peuples demande beaucoup de temps (car il)… signifie une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme et l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines » (RM 52). Cependant, certains éléments récents nous interpellent sur notre approche. Nous parlerons ici de deux exemples concrets.

D’abord, nos tournées pastorales prennent toujours en considération le rythme de vie de chaque communauté. Par exemple, dans le “calendrier senoufo”, une semaine ne compte que 6 jours au lieu de nos habituels sept jours. Il est utile de savoir quel jour on est (selon le calendrier senoufo) avant de se hasarder à entreprendre une activité pastorale. La saison sèche et la saison des pluies se vivent aussi très différemment. Tout cela et beaucoup d’autres éléments sont constamment à considérer, sans quoi nos tournées deviennent gênantes, sinon inutiles. Bien sûr, il y aura toujours des surprises.

Le travail est dur et les conditions de sécurité  plus que précairesAinsi, le cas où un confrère fait un long parcours, traversant des marigots et des forêts, pour coïncider avec le seul moment dont disposent ses fidèles pour suivre la catéchèse (la veille du “jour de repos” dans la semaine senoufo). Il est surpris de voir, après seulement 5 minutes de catéchèse, tous ses catéchumènes sortir de la chapelle à toute vitesse, le laissant seul. Il apprendra plus tard qu’ils avaient entendu l’alerte de la sortie “d’un masque komo” que l’on ne doit pas voir face à face ! C’est ainsi que l’on prend conscience du fait que nos catéchumènes (comme beaucoup d’autres) entretiennent des idées inadéquates concernant Dieu, la superstition et la peur des esprits. Oui, même après 50 ans d’évangélisation, cette peur demeure ! Peut-on parler de cœurs endurcis ou d’une inculturation non réussie ? Quand et comment évaluer les fruits de notre évangélisation ?

Autre cas : nous contentant de croire que l’Esprit nous précède, nous sommes parfois frappés par un phénomène qui remet en question l’efficacité de notre attitude pastorale. C’est un phénomène disons ‘commercial’. Il s’agit des orpailleurs, travailleurs des mines d’or traditionnelles qui attirent de nombreux villageois de toutes ethnies et de tous côtés. On décompte plus de quatre emplacements d’orpaillage au sein de notre paroisse. Chacun est estimé, au minimum, à 30 000 personnes.

Ceux-ci ont tout bousculé ! Non seulement chez nos fidèles chrétiens, mais aussi du côté traditionnel du milieu. C’est tout le monde qui cherche à survivre, grâce à ce que leur propose cette aventure. Tous, même les femmes qui ne quittaient guère leur village, parcourent maintenant des distances énormes à la recherche du nécessaire pour vivre un peu plus à l’aise.

Dans ce contexte, on ne sera pas surpris de voir qu’il ne reste plus de temps pour la catéchèse et la prière commune. Plus étonnant encore est le fait que même les pratiques religieuses traditionnelles, qui étaient jusqu’à présent restées sans faille et que nous avons toujours approchées avec grand respect, ne semblent plus avoir la même valeur qu’auparavant. Ce phénomène a tout bousculé, de sorte que tout le temps semble maintenant lui appartenir ! La grande question que l’on se pose est : « Comment ce phénomène a-t-il réussi, en si peu de temps, à conquérir le cœur de ces peuples que l’on a toujours connus comme fortement attachés à leurs pratiques traditionnelles ? » Ce phénomène aurait-il pris plus d’ampleur que les 50 ans de convivialité que les nombreux missionnaires ont vécus auprès d’eux ?

Il se peut aussi que nous fassions une fausse comparaison. Devons-nous employer la balance commerciale pour mesurer notre efficacité apostolique ? Ce qui nous semble sûr, c’est que le cadre villageois traditionnel a été ébréché. Les questions pastorales sont nombreuses et se posent sans arrêt d’une façon nouvelle. Nous n’avons pas beaucoup de choix. Il nous semble impératif de nous engouffrer dans la brèche ou encore de « danser au rythme du tambour de nos interlocuteurs ».

Nous devons suivre nos paroissiens, nous semble-t-il, pour continuer à être avec eux là où ils se trouvent actuellement. Mais là aussi, quelques défis nous attendent. Les premiers essais n’ont pas été très lumineux. Dans une des bases d’extraction du minerai, nous avons imité la manière de construire des orpailleurs. Nous avons dressé une hutte en paille avec un toit fait d’une bâche plastique pour en faire notre lieu de prière. Sans doute par manque de temps (et certainement d’enthousiasme/foi), personne n’y entrait pour la prière. Finalement, les pluies d’hivernage ont mis sous l’eau notre lieu de prière.

Il n’est pas facile de rassembler et structurer des chrétiens qui ne font que courir aux mines d’or et dont le trésor semble être tout autre que celui que nous leur proposons. D’où la pertinence de notre question : ce phénomène aurait-il su mieux répondre aux aspirations de ces peuples senoufo que les 50 ans de convivialité que les nombreux missionnaires ont vécus auprès d’eux?

Oskar Geisseler,
Christian N’Kulu
et Bruno Ssennyondo, M.Afr
Communauté de Dyou, Mali


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