Voix d'Afrique N°73.....

Ghana ...

Damien Watine, missionnaire d’Afrique originaire
de Tourcoing, a été missionnaire au Ghana.
Nous l’avons rencontré : il nous raconte son aventure

Les brumes du Nord, Roubaix

C'est là que Damien rencontre l'Afrique. Sans doute, il avait de nombreux religieux et des missionnaires dans sa famille, mais en plus l'Afrique lui était très proche par les nombreux immigrants maliens employés dans les industries locales. Les scouts aînés vont vers eux pour leur apprendre à lire et à écrire en français. Des liens d'amitié se forment et Damien décide de consacrer sa vie à ce continent. Un moment, il pensait à étudier la médecine, mais finalement il demande à être admis au séminaire de philosophie à Kerlois.

Première formation

Il a vingt ans en 1966 : première expérience de vie communautaire, de prière et de réflexion. Comme il avait étudié l'anglais et semblait doué pour les langues, il est envoyé en Angleterre pour son " noviciat ", qui est devenu " année spirituelle " en 1968. Les missionnaires d'Afrique se veulent internationaux et interculturels, et c'est dès le noviciat que la rencontre doit se réaliser. Après le service militaire à Compiègne, il va continuer ses études de théologie dans la banlieue de Londres, à Totteridge. C'est l'approfondissement de la foi à la lumière de la parole de Dieu ; c'est également un apprentissage à la connaissance des sociétés humaines : le missionnaire n'est-il pas l'homme des rencontres au-delà des frontières ? Il va faire un voyage de trois mois au Cameroun, avec le mouvement des jeunes pour la Paix ; il vit dans un village où il travaille avec les paysans à la construction d'une maison pour les jeunes : expérience de vie avec les pauvres, de rencontre avec des religions différentes, islam et religions traditionnelles. Il écoute beaucoup, manie la brouette et la pioche, partage les repas et les veillées avec les familles camerounaises.. L'expérience le conforte dans son projet : entre Damien et l'Afrique, ce sera une aventure pour la vie.

Le Ghana

Au Ghana : à la sortie de la messeDe retour en Angleterre, il poursuit ses études de théologie, toujours ouvertes sur le dialogue avec les autres religions. Lorsqu'il est appelé à prononcer le serment de missionnaire, il demande à partir pour le Ghana après son ordination, car il y a très peu de français dans ce pays anglophone. Le Ghana a été un des premiers pays à obtenir l'indépendance et Nkrumah est considéré comme un prophète de la nouvelle Afrique. De fait, c'est là qu'il est envoyé après son ordination en 1974. Son évêque lui demande d'obtenir un diplôme en éducation d'adultes en Irlande. Arrivé à Navrongo, au Nord du Ghana, il est nommé aumônier des jeunes ruraux. Le Diocèse comprend une douzaine de paroisses et autant de langues différentes !

L'apprentissage d'une nouvelle langue

La première tâche, c'est la langue, le kassem : ce n'est pas une mince affaire ! C'est une langue tonale, c'est-à-dire que le sens d'un mot peut varier selon la tonalité avec laquelle il est prononcé. Pour en avoir une petite idée en français, la tonalité est différente lorsqu'on dit "tu vas bien ?" ou "tu vas bien !". La question est différente de l'affirmation par le ton de la voix. Mais ici, c'est chaque verbe, chaque substantif qui change selon la musique qui l'accompagne. Armé d'un petit carnet et d'un crayon, il parcourt les étals du marché et les rues ; les gamins le suivent, lui parlent sans timidité, répondent à ses questions spontanément, rient de ses maladresses. Les enfants sont ses maîtres. Et le soir, il met par écrit toutes ses notes, essaie de mémoriser les tournures, demande conseils et éclaircissements aux prêtres ghanéens qui vivent avec lui. Au bout de quelques mois il arrive enfin à se faire comprendre, à enseigner et prêcher après de longues heures de préparations. Les prêtres africains de l'équipe paroissiale l'aident volontiers. Après trois ans, il peut se féliciter de maîtriser enfin cette langue. Il reste dans ce poste pendant sept ans. Il sillonne les succursales en 2 CV pour visiter les chrétiens et les quelques catéchumènes. Ce sont les voyages hebdomadaires dans les cases chapelles, l'enseignement des catéchumènes, les rencontres avec les leaders chrétiens, les visites dans les familles, les préparations au baptême, les dialogues avec les familles et les fiancés avant le mariage, les visites aux malades… Les séjours dans les villages sont encore trop brefs, car il faut partir pour une autre succursale où une communauté l'attend.

Avec les jeunes

Après un bref séjour en France, il est nommé dans une autre paroisse, sur la frontière avec le Togo et le Burkina Faso. La langue est différente, là aussi. Il est aumônier du lycée de Bawkou. Les jeunes sont très nombreux ; officiellement il enseigne la Bible (le Ghana a adopté les traditions britanniques où la Bible est au programme des études). Rapidement, il prend la responsabilité de l'organisation des jeunes dans les autres paroisses du diocèse. La méthode qu'il essaie d'inculquer aux jeunes ghanéens est celle qui a fait ses preuves dans les mouvements d'action catholique en France : voir, juger, agir. Aucune action n'est efficace sans une réflexion préalable, et la réflexion ne se fait qu'à partir d'une réalité, patiemment analysée. C'est dans la réalité présente, concrète, que l'Evangile se révèle et que le visage, l'action du Christ prend toute sa dimension. Le missionnaire n'est pas un explorateur ni un anthropologue : il va au delà de ces disciplines pour découvrir et faire découvrir le visage du Fils de l'Homme.

Inculturation

La tentation de ces jeunes collégiens venus de toutes les régions du Nord Ghana, est d'oublier leurs racines. Au collège, tout se fait en anglais ; l'usage des langues locales est sévèrement puni. Ils se préparent à un avenir qui se déroulera uniquement en anglais. Le risque est grand qu'ils perdent leur âme, et que la foi chrétienne soit portée comme un masque qui cache leurs visages propres. Damien les aide à redécouvrir leurs racines, leurs valeurs, leurs coutumes, leurs traditions. Des cérémonies marquent les étapes de leurs vies, des contes transmettent les anciens mythes et des symboles expriment les valeurs qui donnent vie à toute la communauté où chacun prend racine.

Une seule ambition anime le missionnaire : qu'ils deviennent non pas des copies conformes du chrétien européen ou américain, mais véritablement des chrétiens africains dans une Eglise africaine qui partage sa foi avec l'Eglise universelle. Kizito, l'ancien curé de Damien, l'encourage ; c'est lui qui a composé un Credo sur une musique kassem qui dure plus de dix minutes, animé de tamtams, de danses, de dialogues rythmés !

Une camionnette appelée "Harmony"

Damien a besoin de réfléchir. Après un temps au Canada et quelques années de partage missionnaire en Ecosse, il repart au Ghana. Il est envoyé dans un poste de mission avec des succursales très éloignées. Il sillonne les villages dans sa camionnette appelée "Harmony"?: c'est sa devise, car il va à la rencontre des villageois, jeunes et adultes, les transporte pour qu'ils se rencontrent, pour qu'ils partagent et grandissent ensemble.

 

Quartier de "La Chapelle"

Aujourd'hui, si vous allez à la maison provinciale des Missionnaires d'Afrique, rue RogerVerlomme, près Rue de la Guadeloupe, dans le 18° arrondissement de Parisde la Place des Vosges, c'est peut-être Damien qui vous ouvrira la porte. Il est souvent à l'accueil. S'il n'y est pas, c'est qu'il est au quartier de La Chapelle où il rencontre les habitants de la Babel parisienne : c'est là que se mêlent Indiens et Arabes, Asiatiques et Maghrébins, avec ou sans papiers, en boubous ou en saris. Damien les rencontre et les aide à se rencontrer pour partager, exprimer leurs désirs et leurs besoins, réaliser tout ce qui pourrait améliorer leur vie dans la capitale. En lien avec le Secours Catholique il les reçoit ou va vers eux. Dans le 18ème arrondissement de Paris, il continue cette expérience que les Ghanéens lui ont appris : celle de la rencontre où germe comme une semence le Royaume de Dieu.

Voix d'Afrique



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