Voix d'Afrique N°68

ATELIER POUR LE

PROGRÈS

Personne n'a le monopole de la science.
Personne, non plus n'a le monopole de l'ignorance.
La pauvreté n'est pas une fatalité :
Au cœur de chaque homme et de chaque femme,
se trouve le germe de la vie qui ne demande qu'à pousser :
il suffit pour cela de s'asseoir ensemble, de s'écouter,
de se comprendre pour bâtir un monde de justice et de paix.
C'est en Argentine que Paulo Freire a mis au point une pédagogie pour les pauvres.
Norbert Angibaud dans sa mission au Mozambique
(cf. Voix d'Afrique n°55, Juin 2002) a adopté cette pédagogie appelée " Training for Transformation ".

Dans un village de brousse.

Une salle de classe quelque part dans un village de brousse au Mozambique. Quelques bancs et tables de planches mal équarris, sol gris en terre battue, des murs de torchis, dont l'un est peint en noir tout le long de la largeur, maculé de lézardes et de tâches blanches. Ce sont les vacances scolaires, et les locaux sont réservés pour une session. Norbert Angibaud l'anime. Il est venu avec quelques amis de Beira ; il a invité une douzaine de villageois. Ils ont répondu à l'invitation. Ils sont assez jeunes, leurs habits sont pauvres mais propres ; quelques bébés sont accrochés au sein de leurs mères, d'autres dorment confortablement installés dans un pagne coloré sur leurs dos.

Sommes-nous
heureux ?

Ils ne sont pas venus à l'école, ils ont passé l'âge ; ils sont un peu surpris lorsqu'un des collaborateurs de Norbert commence la réunion par une question : "Comment vivons-nous, dans nos villages ? Somme-nous heureux ? " Les réponses sont timides au début, puis plus animées. Norbert, ou un des animateurs, inscrit sur le tableau les principaux thèmes qui fusent de plus en plus : la maladie, la famine, la sorcellerie, la sécheresse etc. Deuxième question : "Est-ce qu'on y peut quelque chose ? " Le partage se fait par petits groupes de trois ou quatre, pendant dix minutes. Puis on met en commun les conclusions, chacun explique, demande à mieux comprendre, écoute attentivement : cela se fait dans l'ordre ; celui qui veut prendre la parole lève la main et l'animateur la donne à tour de rôle. Chacun a tout le temps pour s'exprimer librement, se faire bien comprendre de tout le groupe.

L'eau, une priorité

Première surprise : la réponse est presque unanime : oui, on peut essayer de faire quelque chose. Autre surprise : c'est d'une mère que vient la suggestion d'établir un choix de priorités. Mais lesquelles ? Nous entrons dans le concret : l'eau. Le point d'eau qui dessert le village est boueux, et assez éloigné. "Dans la ville, les gens n'ont pas ce problème, ils ont une eau tellement transparente qu'on peut voir le fond de la tasse. Mais ici, elle est trouble." La question est posée au groupe : quelles conséquences découlent de ce fait ? Les gens souffrent de dysenterie, en particulier les enfants, plus vulnérables ; certains meurent d'épuisement. Souvent, lors de maladies ou de décès, on accuse de quelques maléfices des voisins jaloux, un mauvais sort infligé par un mystérieux sorcier.

Le débat prend du temps ; les interventions sont notées au tableau. Même pendant les temps de repos où chacun peut se dégourdir les jambes, les discussions continuent. On rentre pour une nouvelle session. Norbert présente un résumé de la première session et propose une lecture de la Bible, le premier chapitre de la Genèse. Un partage s'ensuit, d'abord hésitant, puis plus animé. "Qu'est-ce que dit le Créateur à la fin de chaque jour de travail ?" Il faut reprendre à nouveau la lecture biblique avant que les auditeurs trouvent la réponse : "Mais oui ! Dieu vit que cela était bon !". Un chant est lancé, rythmé par des frappements de main. Ensuite vient une autre question : "Est-ce que c'est un mensonge ? Est-ce que c'était vraiment bon ? et aujourd'hui, est-ce que Dieu nous donne une bonne eau ? "

Un puits

Le soleil est déjà au zénith. Il est temps de se séparer pour le repas : boule de farine de maïs ou de manioc accompagnée de haricots rouges. Dans l’après-midi, Norbert et ses collaborateurs préparent une petite expérience : à l'aide de deux boites étanches, un peu de sable et de gravier, il confectionne un filtre. Lorsque les participants reviennent le lendemain, ils peuvent voir la différence entre une eau boueuse et une eau filtrée ; non seulement ils la voient, mais ils la goûtent. "Formidable ! mais comment peut-on avoir une telle eau pour tout le village, tous les jours de l'année ?" On pourrait bien sûr s'assurer que chaque maison possède un filtre, mais ce serait encore un autre souci pour la mère de famille. Il faudrait creuser un puits, où on trouverait de l'eau décantée.

Norbert prend rendez-vous avec une délégation qui ira trouver en ville une entreprise de forage. Un budget est établi, quelques fonds sont trouvés par une contribution de chaque villageois, un prêt du gouvernement , des dons d'amis d'Europe ou d'Amérique. Le terrain est choisi, quelques sondages sont réalisés et enfin le camion arrive avec son équipement. à 9 mètres de profondeur, la nappe d'eau est trouvée. Une pompe est installée et l'eau commence à couler, limpide et fraîche.

La fête !

Quelle fête au village ! Les femmes arrivent en procession, des seaux ou des pots de terre sur la tête ; les enfants s'accrochent au levier de la pompe, sautent de haut en bas en riant aux éclats : l'eau coule, forme même une rigole ou les chèvres et les moutons s'abreuvent ; elle est recueillie à deux main, jaillit et gicle sur les visages bronzés, les bras musclés, les jambes agiles. Les initiateurs du projet profitent de la liesse collective pour proposer une contribution pour rembourser la dette et prévoir des améliorations à venir.

Une vie nouvelle

"Nous avons de l'eau ! elle est à nous !" La vie des villageois est changée, non seulement parce qu'ils ont une eau saine proche de leur village, mais surtout parce qu'ils en sont responsables. Elle ne leur a pas été donnée comme une aumône. Ce sont eux qui ont pris la décision d'entrepren-dre ce projet. L'aide extérieure n'est arrivée que parce qu'ils ont fait une proposition. S'ils l'avaient reçue comme un cadeau de la part d'une ONG ou même du gouvernement, ils l'auraient considérée comme une entreprise d'un riche étranger ; ils n'auraient pas eu à cœur de l'entretenir, de la nettoyer, de l'améliorer.

Et Dieu vit que cela était bon !

Ils comprennent que le Créateur n'a pas menti lorsqu'il disait : “Tout cela est bon ! Nous sommes maintenant des collaborateurs de Dieu". Norbert et ses amis mozambicains comprennent mieux la parole du Christ : "Je suis venu pour qu'ils aient la vie, et l'aient en plénitude !"

Il ne s'agit pas de rêver d'un futur utopique : la Vie, c'est des hommes et des femmes vivant sous les tropiques, au lendemain d'une guerre civile de vingt ans : ils se sont assis ensemble pour s'écouter mutuellement, pour décider ensemble de grandir ; ce sont des hommes et des femmes qui prennent conscience qu'eux aussi peuvent faire quelque chose d'important pour changer leurs vies. Nul n'a le monopole de la science, nul n'a le monopole de l'ignorance. Chaque personne, quel que soit son âge, sa culture, sa place dans la société, a sa pierre à apporter dans la construction d'une société plus juste.

Sur le chemin de retour, Norbert n'essaye pas pour le moment de faire un bilan. Une parole revient dans son cœur, la prière du Christ : "Père je te rends grâces d'avoir révélé cela aux petits et de l'avoir caché aux savants et aux puissants..." n

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