Voix d'Afrique N° 55
Mozambique

Murraça

Témoignage de Norbert Angibaud


Norbert Angibaud, est né en Vendée en 1945. Ordonné prêtre en 1974, il exerce d'abord au Malawi, puis en 1996, à Murraça, dans le diocèse de Beira, au Mozambique, ancienne "province portugaise " qui sort de vingt ans de guerre civile.
Après vingt ans d'absence, de campagne athée, de "socialisme marxiste" pur et dur, de guerre civile et des milliers de morts, d'estropiés par les mines et les combats, les missionnaires reviennent. Murraça était une mission florissante : enfin ils pouvaient reprendre pied, au bord du Zambèze.



(hymne)

300 km, un long voyage

Le voyage de Beira ne se fait jamais par plaisir ; il faut s'assurer d'une bonne provision d'eau potable et de biscuits pour la route, car çà peut prendre du temps ! 300 km. seulement, mais l'état de la route ne permet pas la vitesse : au mieux, on prévoit huit heures souvent dix ou douze dans le sable, sur la tôle ondulée, les cahots ; parfois, il faut compter deux ou trois jours et dormir dans la voiture, en attendant que la boue sèche et qu'une rivière cesse sa crue ! Timothée, stagiaire burkinabè, a été trois semaines sur la route, en compagnie d'une douzaine de camions qui, eux aussi, étaient embourbés ; lui et ses compagnons ont fait la cuisine sous le camion ! De telles mésaventures ne sont pas exceptionnelles !

Parallèle à la route, la voie ferrée est en ruine, rails rouillés et tordus, traverses pourries ou inexistantes : autrefois, elle formait le cordon ombilical pour le Malawi, le pays voisin enclavé. Dans les fossés, des chars russes finissent de rouiller. Des équipes passent pour détecter les mines anti-personnel. Ici et là, à Beira ou dans les villages, des estropiés d'une ou des deux jambes parcourent rues et chemins sur leurs béquilles Plus de dix ans de guerre ont laissé des signes éloquents, mille blessures qui prennent du temps à se soigner.

Le retour à Murraça



Murraça tel que les missionnaires l'ont trouvé à leur retour.

Murraça, la mission bâtie avant la guerre, dans les années '50, porte aussi des cicatrices. Le Parti en a pris possession : l'étoile rouge orne les murs, avec des slogans révolutionnaires, des graffitis au charbon de bois. La maison a étage est brûlée, sur le toit de l'église les tôles ont été emportées. A notre arrivée, nous avons trouvé la maison entièrement vide : une porte et un lit dans chaque chambre : bienvenue à Murraça ! quelques cantines servent de table et de chaises dans la salle à manger. Première urgence : un fourneau pour la cuisine, en terre et brique. Petit à petit, les conditions se sont amélioré ; combien de voyages à Beira, combien de sacs de ciment, de tôles, de charpentes ! Il a fallu désinfecter le puits qui avait été empoisonné par les soldats avant leur fuite. Mais maintenant nous sommes chez nous, avec des portes qui ferment, des chaises , des tables , et des lits normaux ; un petit jardin nous donne quelques légumes ; grâce à Dieu, le Zambèze est tout proche et très poissonneux, mais infesté de crocodiles : il ne faut pas penser à aller piquer un plongeon !

Le retour à la paix


Quelques dates :
Fin du 15ème siècle : les premiers navigateurs portugais découvrent le Mozambique, dans I'Océan Indien, sur la route des Indes 1629: arrivée des premiers colons : or et pierres précieuses, esclaves pour le Brésil. Entre 1800 et 1842, 400. 000 esclaves sont capturés. 19èzne siècle : alors que partout dans le monde les missionnaires sont envoyés pour évangéliser, le Mozambique reste en retrait ; province portugaise, il ne dépend pas de la Congrégation de la Propagation de la Foi (aujourd'hui Congrégation pour l'Evangélisation). 1952: les Pères Blancs arrivent á Beira. 1960: de nombreux pays d'Afrique luttent et obtiennent leur indépendance ; le Mozambique reste province portugaise. 1971 : les Pères Blancs partent du Mozambique, pour dénoncer la collusion entre les autorités religieuses et le gouvernement portugais. 1996: retour des missionnaires.





L'étoile rouge communiste sur le mur
d'une salle de la mission.

Notre arrivée a été le signal de la paix pour la population locale ; ils s'étaient réfugié au Malawi, assez proche ; la réouverture de la mission leur a donné confiance : enfin la paix est revenue. Petit à petit, les villages se reforment, les gens ses retrouvent, les champs sont cultivés, les maisons reconstruites. Notre première surprise : les communautés chrétiennes ont survécu à vingt ans d'abandon. Pendant la guerre, des catéchistes risquaient leur vie, ou leur liberté, en venant du Malawi voisin pour visiter les chrétiens, baptiser les nouveaux-nés et les malades, célébrer les mariages ou les obsèques, prier et encourager les familles et communautés dispersées dans l'insécurité. Nous avons trouvé 65 de ces communautés, certaines de plusieurs centaines de membres, d'autres plus réduites ; l'une d'entre elles était une communauté de catéchumènes, dont j'ai eu la joie de baptiser les premiers candidats en 1997.

L'isolement



La "maison" du Missionnaire dans une succursale

La première épreuve que nous avons partagé avec les gens a été l'isolement : pendant les premières années, le courrier venait de Beira, une fois par mois ; nous n'avons eu le téléphone que récemment. Dans les villages, le transistor est rare : nous avons rencontré un village qui ignorait encore que la guerre était terminée, deux ans après les accords ! Murraça est loin des grands axes de communication. Les routes dans la vallée du Zambèze sont souvent inondées, et pendant des mois et des mois, nous étions cantonnés à la maison : impossible d'aller plus loin que 500 mètres de terre non immergées ! Quand on part pour une tournée, on ne sait jamais quand on reviendra : l'état des routes… et l'état des moteurs rendent les voyages hasardeux.

Reconstruire encore !



L'église de Murraça en chantier après vingt ans de guerre.

Et puis, il y a eu les inondations dramatiques, qui ont réduit à néant tous les efforts de reconstruction des villageois : après l'épreuve
de la fuite et de la peur de la guerre, après des années d'exil, la joie du retour et des semaines et des mois de travail harassant
pour construire maisons, écoles et dispensaires, cultiver le maïs, le riz ou le manioc, tracer des pistes, de nouveau tout recommencer à zéro !
… et aussi la réconciliation : les belligérants ont déposé les armes, mais celui qui a pris le pouvoir n'est pas prêt à la partager ; la démocratie demande un long et douloureux apprentissage.

Evangéliser, c'est rendre la confiance.



Une église en brousse

Dans ce contexte, que signifie " évangéliser " ? Les chrétiens se rencontrent régulièrement, les petites communautés s'organisent, des vocations de leaders émergent pour le service de ces communautés. Les missionnaires travaillent à rendre aux gens la confiance en eux, l'espérance dans l'avenir ; le gros obstacle est le fatalisme ; aussi il importe de les faire se rencontrer, pour discerner ensemble les problèmes, envisager les solutions, établir des programmes d'action, selon la pédagogie mise au point par Paulo Freire, en Amérique Latine : les hommes et les femmes ne s'engagent vraiment que dans ce qu'ils ont découvert par eux mêmes et en eux-mêmes, ensemble : encore faut-il les appeler, les réunir, leur laisser la parole, prendre le temps de les écouter et de faire en sorte qu'ils s'écoutent mutuellement. Alors la célébration prend tout son sens !
La Bonne Nouvelle du Salut est un événement concret, quotidien : les Mozambicains réalisent leur pleine vocation à la liberté dans la communion : c'est cela l'Evangile sur les rives du Zambèze.

Norbert Angibaud
Gérard Guirauden