Voix d'Afrique N° 55
Mozambique
Murraça
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300 km, un long voyage
Le voyage de Beira ne
se fait jamais par plaisir ; il faut s'assurer d'une bonne provision d'eau
potable et de biscuits pour la route, car çà peut prendre du
temps ! 300 km. seulement, mais l'état de la route ne permet pas la
vitesse : au mieux, on prévoit huit heures souvent dix ou douze dans
le sable, sur la tôle ondulée, les cahots ; parfois, il faut
compter deux ou trois jours et dormir dans la voiture, en attendant que la
boue sèche et qu'une rivière cesse sa crue ! Timothée,
stagiaire burkinabè, a été trois semaines sur la route,
en compagnie d'une douzaine de camions qui, eux aussi, étaient embourbés
; lui et ses compagnons ont fait la cuisine sous le camion ! De telles mésaventures
ne sont pas exceptionnelles !
Parallèle à la route, la voie ferrée est en ruine, rails
rouillés et tordus, traverses pourries ou inexistantes : autrefois,
elle formait le cordon ombilical pour le Malawi, le pays voisin enclavé.
Dans les fossés, des chars russes finissent de rouiller. Des équipes
passent pour détecter les mines anti-personnel. Ici et là, à
Beira ou dans les villages, des estropiés d'une ou des deux jambes
parcourent rues et chemins sur leurs béquilles Plus de dix ans de guerre
ont laissé des signes éloquents, mille blessures qui prennent
du temps à se soigner.
Le retour à Murraça
Murraça tel que les missionnaires l'ont trouvé à leur retour. |
Murraça, la mission bâtie avant la guerre, dans les années '50, porte aussi des cicatrices. Le Parti en a pris possession : l'étoile rouge orne les murs, avec des slogans révolutionnaires, des graffitis au charbon de bois. La maison a étage est brûlée, sur le toit de l'église les tôles ont été emportées. A notre arrivée, nous avons trouvé la maison entièrement vide : une porte et un lit dans chaque chambre : bienvenue à Murraça ! quelques cantines servent de table et de chaises dans la salle à manger. Première urgence : un fourneau pour la cuisine, en terre et brique. Petit à petit, les conditions se sont amélioré ; combien de voyages à Beira, combien de sacs de ciment, de tôles, de charpentes ! Il a fallu désinfecter le puits qui avait été empoisonné par les soldats avant leur fuite. Mais maintenant nous sommes chez nous, avec des portes qui ferment, des chaises , des tables , et des lits normaux ; un petit jardin nous donne quelques légumes ; grâce à Dieu, le Zambèze est tout proche et très poissonneux, mais infesté de crocodiles : il ne faut pas penser à aller piquer un plongeon !
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L'étoile rouge communiste sur le mur d'une salle de la mission. |
Notre arrivée a été le signal de la paix pour la population locale ; ils s'étaient réfugié au Malawi, assez proche ; la réouverture de la mission leur a donné confiance : enfin la paix est revenue. Petit à petit, les villages se reforment, les gens ses retrouvent, les champs sont cultivés, les maisons reconstruites. Notre première surprise : les communautés chrétiennes ont survécu à vingt ans d'abandon. Pendant la guerre, des catéchistes risquaient leur vie, ou leur liberté, en venant du Malawi voisin pour visiter les chrétiens, baptiser les nouveaux-nés et les malades, célébrer les mariages ou les obsèques, prier et encourager les familles et communautés dispersées dans l'insécurité. Nous avons trouvé 65 de ces communautés, certaines de plusieurs centaines de membres, d'autres plus réduites ; l'une d'entre elles était une communauté de catéchumènes, dont j'ai eu la joie de baptiser les premiers candidats en 1997.
L'isolement
La "maison" du Missionnaire dans une succursale |
La première épreuve que nous avons partagé avec les gens a été l'isolement : pendant les premières années, le courrier venait de Beira, une fois par mois ; nous n'avons eu le téléphone que récemment. Dans les villages, le transistor est rare : nous avons rencontré un village qui ignorait encore que la guerre était terminée, deux ans après les accords ! Murraça est loin des grands axes de communication. Les routes dans la vallée du Zambèze sont souvent inondées, et pendant des mois et des mois, nous étions cantonnés à la maison : impossible d'aller plus loin que 500 mètres de terre non immergées ! Quand on part pour une tournée, on ne sait jamais quand on reviendra : l'état des routes… et l'état des moteurs rendent les voyages hasardeux.
Reconstruire encore !
L'église de Murraça en chantier après vingt ans de guerre. |
Et puis, il y a eu les
inondations dramatiques, qui ont réduit à néant tous
les efforts de reconstruction des villageois : après l'épreuve
de la fuite et de la peur de la guerre, après des années d'exil,
la joie du retour et des semaines et des mois de travail harassant
pour construire maisons, écoles et dispensaires, cultiver le maïs,
le riz ou le manioc, tracer des pistes, de nouveau tout recommencer à
zéro !
… et aussi la réconciliation : les belligérants ont déposé
les armes, mais celui qui a pris le pouvoir n'est pas prêt à
la partager ; la démocratie demande un long et douloureux apprentissage.
Evangéliser, c'est rendre la confiance.
Une église en brousse |
Dans ce contexte, que
signifie " évangéliser " ? Les chrétiens se
rencontrent régulièrement, les petites communautés s'organisent,
des vocations de leaders émergent pour le service de ces communautés.
Les missionnaires travaillent à rendre aux gens la confiance en eux,
l'espérance dans l'avenir ; le gros obstacle est le fatalisme ; aussi
il importe de les faire se rencontrer, pour discerner ensemble les problèmes,
envisager les solutions, établir des programmes d'action, selon la
pédagogie mise au point par Paulo Freire, en Amérique Latine
: les hommes et les femmes ne s'engagent vraiment que dans ce qu'ils ont découvert
par eux mêmes et en eux-mêmes, ensemble : encore faut-il les appeler,
les réunir, leur laisser la parole, prendre le temps de les écouter
et de faire en sorte qu'ils s'écoutent mutuellement. Alors la célébration
prend tout son sens !
La Bonne Nouvelle du Salut est un événement concret, quotidien
: les Mozambicains réalisent leur pleine vocation à la liberté
dans la communion : c'est cela l'Evangile sur les rives du Zambèze.
Norbert Angibaud
Gérard Guirauden