Voix d'Afrique N°112.

«Tu m’as conduit là où je ne t’attendais pas »



Témoignage
d’un ancien Père Blanc, Alexandre Bricet, aujourd’hui à la retraite avec son épouse Hélène.


Les Pères Blancs pour moi, ce n’est pas du passé. J’ai dû les quitter sur le plan canonique, mais je n’ai pas oublié tout ce que je dois à ma formation et à mon séjour de quatorze années au Sahara. »

Tel est le début d’une lettre de prise de contact “accidentelle” d’Alexandre Bricet avec Voix d’Afrique. Son long témoignage lié à celui de son épouse Hélène « Tu m’as conduit là où je ne t’attendais pas », est un long cri de Foi et de Fidélité. « Le Christ ne m’a jamais abandonné. C’est Lui qui m’a conduit tout au long de ma vie en respectant ma liberté. Je reviens ainsi par des chemins détournés à mes premiers engagements, et surtout je reste un instrument entre les mains de Celui en qui j’ai mis ma confiance pour éveiller les mentalités chrétiennes et autres à la nécessité d’un dialogue avec les Musulmans. »

Voix d’Afrique a choisi de reproduire le passage où, rappelé en France par la Province pour s’occuper du dialogue islamo-chrétien après quatorze années passées en Algérie, il rencontre Hélène, et ensemble se mettent au service de l’Église de France, toujours dans le cadre du dialogue islamo-chrétien.


Jeu scénique sur le dialogue islamo-chrétien
monté et joué par Alex et son épouse

« C’est alors que les responsables du Service Interdiocésain des Travailleurs Immigrés de l’Archevêché de Paris (SITI) m’a fait venir. Ils sentaient le besoin d’être aidés pour comprendre la mentalité religieuse des musulmans et apprendre à se situer en Chrétiens face à ces croyants si différents. On a pu organiser des rencontres avec des musulmans de tendances diverses. C’est dans ce Service que j’ai rencontré Hélène.

Hélène est née juive dans l’Est de l’Allemagne. Son père, avocat, juif et Social Démocrate dans une petite ville, était repéré et fut arrêté dès 1933, et envoyé en camp de concentration. Il en est sorti. Il s’est alors empressé de trouver une solution pour quitter l’Allemagne et s’est réfugié au Portugal avec toute sa famille. Hélène avait six ans et demi. Sa formation religieuse dans le judaïsme était pratiquement nulle. Une camarade chrétienne lui a fait découvrir le christianisme, mais elle n’a pu être baptisée qu’à sa majorité, faute d’avoir l’autorisation de ses parents.

Venue en France pour raisons médicales à trente ans, elle y est restée. A Mulhouse, sa formation d’assistante sociale l’a amenée à travailler au service des immigrés portugais. À Paris, elle a participé à la rédaction d’un journal portugais édité par le service des travailleurs immigrés de l’archevêché de Paris.

Mes parents venaient de quitter ce monde et je vivais dans une communauté dont les activités disséminées rendaient impossible la vie communautaire. Hélène, elle, venait d’être rejetée par son père. Nous côtoyant dans le même Service, nous nous sommes attachés l’un à l’autre dans ce milieu où il n’était pas rare que des prêtres aient des relations féminines… On nous a suggéré de vivre discrètement notre relation comme d’autres. Nous avons voulu assumer nos responsabilités. Je ne pouvais abandonner Hélène qui se retrouvait seule, sans famille et étrangère. Elle avait été apatride. Après les bouleversements de frontières, était-elle encore allemande ou devenue polonaise ?


Équipe diocésaine de Versailles pour le dialogue interreligieux
( Alex est complètement à droite avec son épouse Hélène)

Un véritable déchirement
Par contre, quitter les Pères Blancs était pour moi un véritable déchirement. Il me fallait choisir l’une ou les autres. Un de mes frères m’aida à y voir clair. J’ai sollicité un indult de sécularisation à la fin du règne de Paul VI. Une réponse négative de Jean Paul II m’arriva mais m’autorisait à bénéficier d’un indult dans l’Église Melkite. Un prêtre de cette Église Melkite, membre du Conseil Patriarcal, que je connaissais fit part de ma situation au Patriarche qui, sachant que je bénéficiais d’un indult de Rome pour le rite Melkite, m’adopta comme prêtre de son Église. Je n’avais rien demandé. Cette situation fut acceptée par des évêques de l’Église Latine avec qui j’ai travaillé par la suite. Certains m’ont même confié une mission.

Après diverses activités sociales, Alexandre arrive
à l’âge de la retraite

L’Évêque de Versailles, le P. Jean-Charles Thomas, dont nous avions fait la connaissance en Corse et qui connaissait parfaitement ma situation, apprenant que je prenais ma retraite, m’attendait pour me proposer d’être son délégué pour les relations entre chrétiens et musulmans, ce que j’acceptais volontiers après avoir pris l’avis d’Hélène. J’y ai vu un signe providentiel pour rester fidèle à ma vocation d’origine envers les musulmans.

J’ai dû l’aider à rédiger ma lettre de mission, nouvelle dans le Diocèse. Hélène y fut associée. Il me demanda de rédiger un livre de vulgarisation sur l’Islam et le dialogue avec les musulmans qu’il a édité en format de poche. Ce fut le livre intitulé « Hôte de Dieu, Sois le bienvenu ! » À mon grand étonnement , il fut apprécié et même recommandé par des musulmans, tels le Recteur de la Grande Mosquée de Paris et certains universitaires musulmans. Pendant 10 ans, nous avons parcouru ce diocèse où notre insertion a été facilitée par quelques prêtres en qui j’ai retrouvé cette fraternité que j’avais connue chez les Pères Blancs et chez les Petits Frères de Jésus.

… Nous avons aussi été appelés dans le diocèse d’Evreux par un prêtre que j’avais connu jeune séminariste au Sahara où il était venu en coopération missionnaire. Nous avons partagé notre expérience de la rencontre des musulmans avec des chrétiens de son diocèse pour les aider à découvrir leur mentalité religieuse. Le Mouvement Pax Christi France fit appel à nous pour créer une antenne Islam, occasion d’approfondir nos relations avec des responsables de mosquées comme Larbi Kechat et Dalil Boubakeur, et d’intervenir en Suisse, en Belgique et au Luxembourg où, avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris et le Grand Rabbin du Luxembourg, j’ai assuré la vice-présidence de l’Association Internationale pour le dialogue entre Juifs, Chrétiens et Musulmans.

Après dix ans au service du diocèse des Yvelines, nous avons démissionné…

Alexandre Bricet
(Alexandre et Hélène Bricet sont aujourd’hui retirés à Houilles, dans les Yvelines.)


.............. Suite