Voix d'Afrique N°82.....

“EN PRISON”

Le Père Yves Masquelier vient du nord de la France. Ordonné en 1965, et après deux ans d’études à l’Institut Supérieur de Pastorale catéchétique à l’Université Catholique de Paris, il part en 67 pour le Ghana, au diocèse de Wa. Après dix ans, il revient en France pour le service d’animation missionnaire. Durant son deuxième séjour au Ghana (1982-1985), il s’occupe des Moyens de Communication Sociale du diocèse. Revenu pour des problèmes de santé, il sert au noviciat à Fribourg, en Suisse. C’est au cours de son troisième et dernier séjour au Ghana, qu’il commence son service dans les prisons.
Depuis 2003, il est totalement intégré à l’équipe d’aumônerie de Fleury Mérogis


Etre aumônier de prison, c’était pour moi un nouvel appel reçu au cœur de mon apostolat de missionnaire d’Afrique. J’étais travaillé par la parole que je prononçais souvent au cours des retraites que je prêchais : “L’option privilégiée de Jésus pour les pauvres, les petits, les exclus de la vie.” Or la réalité était différente : je vivais bien loin de tous ces petits, ces pauvres.
Je venais d’être nommé au Ghana dans un centre spirituel. Un jour, je passe devant la prison de Wa. C’était le 5 septembre 1994. J’entends crier. Dieu sait pourquoi, je gare la voiture devant la prison et j’entre pour rencontrer le directeur et lui de-mander ce que sont ces cris. “Oh, dit-il, ce n’est rien ; ici on ne torture pas, mais on veut la discipline ! » De fil en aiguille, je deviens aumônier à la prison de Wa.

De 1996 à 2002, je suis assistant provincial, rue Roger Verlomme. Dès mon arrivée, un confrère me demande de le remplacer pour célébrer la messe, un dimanche, à Fleury Mérogis. Je rencontre aussi, en 1997, au cours d’un mariage que je célébrais, le fondateur de l’organisme “Prisonniers Sans Frontières”, Jacques Risacher. Il me propose de me joindre à l’équipe comme aumônier.

Aumônier à Fleury Mérogis
La prison de Fleury : 3800 détenus, issus de 80 nationalités, avec de nombreux Maghrébins, des Noirs, des gens d’Amérique latine. Six bâtiments : 4 pour les hommes où vivent, dans chacun, 700 à 800 détenus, une prison pour mineurs avec 150 à 200 détenus et 200 jeunes adultes, une prison de femmes avec environ 300 détenues. Notre travail est un travail en équipe : 5 prêtres, religieux et diocésains, 4 religieuses, une douzaine de laïcs. Certains sont aumôniers en titre, d’autres animent des groupes bibliques, d’autres sont auxiliaires.

Que faisons- nous ?
D’abord, nous voulons être attentifs à chacun pour que la vie rejaillisse chez ces êtres marqués par un passé où, souvent, la famille était inexistante. Ils se sont trouvés dans des situations où la chute était peut-être inévitable. C’est ainsi que nous sommes porteurs de vie à tous les niveaux de la personne humaine.
Au plan spirituel, nous rencontrons les chrétiens qui sollicitent une entrevue – animation de groupes bibliques (beaucoup lisent la Bible en prison) – animation des messes, préparation et réception des sacrements : l’un des détenus de mon bâtiment a reçu les sacrements de l’initiation chrétienne au moment de Pâques.

Au niveau physique et humain, beaucoup vivent dans une grande précarité. Certains n’ont absolument rien dans leur cellule : pas même une radio, pas d’argent pour acheter quoi que ce soit (timbres, enveloppes, café, tabac). Nous sommes les agents du Secours Catholique. Ce n’est pas le travail le plus intéressant, mais cela permet parfois un contact qui débouche ensuite sur des entretiens plus sérieux.

Au niveau psychologique, nous les encourageons à faire face avec courage à leur situation d’isolement ; nous les encourageons à suivre une formation, en faisant le lien avec la psychothérapeute ou les agents sociaux, ou en intervenant, parfois, auprès de l’administration pénitentiaire pour les faire changer de cellule.
Nous avons aussi des contacts intéressants avec certains membres du personnel pénitentiaire qui aiment débattre les questions diverses de la foi.

Délégué au Mali pour « Prisonniers Sans Frontières »
L’Association « Prisonniers Sans Frontières » a été fondée en 1955 par un agent d’expertise d’entreprises, Jacques Risacher. Cela a commencé en Côte-d’Ivoire, puis, peu à peu, dans les autres pays francophones de l’Afrique de l’Ouest .
« Prisonnier Sans Frontières » veut soutenir les efforts de ceux qui, sur le terrain, participent à l’amélioration des conditions de vie des détenus. Mes six voyages au Mali m’ont permis de découvrir la situation des prisons : celle de Kati, prévue pour 60 détenus, en avait 165 en novembre 2005, et 210 en mars 2006. Ils sont entassés dans quatre cellules avec un seul robinet d’eau et des conditions d’hygiène lamen-tables. Souvent ce sont des prêtres ou des religieuses, plusieurs Pères Blancs, qui ont pris l’initiative de visiter la prison et d’aider pour la nourriture, le savon, les conditions de vie en général.

Mais leurs moyens financiers sont trop insuffisants. Nous les mettons en relation avec des équipes de soutien en France. Celles-ci s’engagent à verser régulièrement une somme d’argent pour aider une prison en Afrique : une sorte de jumelage. Ces groupes de soutien peuvent être une paroisse, une école, un groupe d’avocats et de juges, une famille, une personne.

Nous sommes aussi en lien avec l’administration pénitentiaire en leur demandant que la société civile puisse avoir accès aux prisons.
Mais nous avons un principe fondamental : contrairement à d’autres associations, nous ne dénonçons pas, à l’extérieur, les injustices que nous constatons. Nous essayons de changer la situation de l’intérieur en dialogue avec le régisseur de la prison.
Pour des actions plus importantes concernant l’amélioration des structures et l’aide à la réinsertion (ex. réfection des toilettes, création de jardins maraîchers, adduction d’eau, création d’ateliers de mécanique ou de poterie), nous avons recours aux bailleurs de fonds internationaux.

Fidèle à ma vocation missionnaire
Comme Missionnaire d’Afrique, je me sens pleinement dans ma vocation, car les objectifs de notre société me semblent réunis dans mon apostolat :
* Une passion pour les africains : à Fleury Mérogis, ils forment environ 40 % de la communauté du dimanche. Nous avons pu lancer une chorale en lingala, qui chante un ou deux chants, durant la messe.
* Première évangélisation : X…, condamné à 15 ans de prison, évolue depuis maintenant 18 mois en changeant sa mentalité au contact de la Bible. Il y a un mois, il m’a dit : « Yves, tu sais, un jour je me ferai baptiser » …puis il s’est repris : « mais pas tout de suite, car c’est exigeant ». Il est en train de lire St Paul.
* Le dialogue Islamo-Chrétien, je le vis avec les musulmans qui font appel à moi et il m’est même arrivé de prier avec l’un d’entre eux au moment où il n’y avait pas d’Imam.
* Justice et paix dans l’aide aux détenus en étant intermédiaire pour leur faire rencontrer l’organisation « Accès au droit » ou en intervenant auprès du chef de détention pour que quelqu’un soit pris en considération dans une demande de travail ou de visite médicale, ou pour un changement de cellule.

Pour conclure : les media nous présentent les faits les plus horribles de la société (viols, meurtres d’enfants, scandales financiers, escroqueries en tout genre, le grand banditisme) … et souvent notre regard est focalisé sur ces événements qui bouleversent notre affectif. La conclusion suit assez facilement : une généralisation hâtive qui pense que tous les détenus méritent l’incarcération. Mais, il est bon de se souvenir que :

- Ces cas ne représentent qu’une minorité de ceux et celles qui sont en prison.
- Personne n’est réductible à une action qu’il a commise.
- Dans beaucoup de cas, le problème est avant tout psychologique, mental : ce sont des malades qui doivent être traités comme tels.
- Beaucoup de détenus ont été marqués par un passé douloureux qui a pu les conduire à agir de la sorte.
- C’est un appel pour chacun d’entre nous, à remercier le Seigneur pour les conditions de vie qui ont été les nôtres : amour de nos parents, éducation, vie normale en société …

N’oublions pas, en Matthieu 25, le critère du Royaume : « J’étais pauvre et vous m’avez aidé, j’étais nu et vous m’avez vêtu, j’étais malade ou en prison et vous m’avez visité. Entrez dans le Royaume de mon Père ».

Yves Masquelier
M. Afr.

Voir sur le même sujet : Témoignage de Yves Masquelier M.Afr.


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