Témoignages

Yves Masquelier M.Afr.

De Fleury Merogis au Mali

“EN PRISON”

Aumônier de prison, ce fut pour moi un nouvel appel reçu au cœur de mon apostolat de missionnaire d’Afrique. J’étais travaillé par la parole que je prononçais souvent au cours des retraites que je prêchais : “L’option privilégiée de Jésus pour les pauvres, les petits, les exclus de la vie.” Or la réalité était différente : je vivais bien loin de tous ces petits, ces pauvres.

Je venais d’être nommé au Ghana dans un centre spirituel et voilà que je passe devant la prison de Wa. C’était le 5 septembre 1994 : j’entends crier. Dieu sait pourquoi je gare la voiture devant la prison et j’entre pour rencontrer le directeur et lui demander ce que sont ces cris.
“Oh dit-il, ce n’est rien ; ici on ne torture pas mais on veut la discipline ! De fil en aiguille, je deviens aumônier à la prison de Wa.

De 1996 à 2002, je suis à Verlomme et, dès mon arrivée, un P. B. me demande de le remplacer pour célébrer la messe un dimanche à Fleury Merogis. Je rencontre aussi, en 1997 au cours d’un mariage que je célébrais, le fondateur de l’organisme “Prisonniers Sans Frontières”, Jacques Risacher. Il me propose de me joindre à l’équipe comme aumônier.

Aumônier à Fleury Merogis
La prison de Fleury : 3500 détenus issus de 80 nationalités avec de nombreux maghrébins, des noirs, des gens d’Amérique latine. Six bâtiments : 4 d’hommes où vivent dans chacun 700 à 800 détenus, une prison pour mineurs avec 150 à 200 détenus et 200 jeunes adultes, une prison de femmes avec environ 300 détenues.

Un travail en équipe : 5 prêtres de différents ordres religieux ou séculiers, 4 religieuses, une douzaine de laïcs.

Certains sont aumôniers en titre, d’autres animent des groupes bibliques, d’autres sont auxiliaires. Des réunions au niveau local, régional et cette année, au niveau national, à Lourdes en octobre dernier.

Que faisons- nous ? Nous sommes attentifs à chacun pour que la vie rejaillisse chez des êtres marqués par un passé où souvent la famille était inexistante, et où ils se sont trouvés dans des situations où la chute était peut-être inévitable. C’est ainsi que nous sommes porteurs de vie à tous les niveaux de la personne humaine :

Au niveau spirituel : rencontre des Chrétiens qui sollicitent une entrevue – animation de groupes bibliques (beaucoup lisent la bible en prison) – animation des messes, préparation et réception des sacrements : l’un des détenus de mon bâtiment a reçu les sacrements de l’initiation chrétienne au moment de Pâques.

Au niveau physique et humain : Beaucoup vivent dans une grande précarité. Certains n’ont absolument rien dans leur cellule : pas même une radio, pas d’argent pour acheter quoique ce soit : timbres, enveloppes, café, tabac. Nous sommes les agents du Secours catholique. Ce n’est pas le travail le plus intéressant mais cela permet parfois un contact qui débouche ensuite sur des entretiens plus sérieux.

Au niveau psychologique : en les encourageant à faire face avec courage à leur situation d’isolement ; en les encourageant à suivre une formation, en faisant le lien avec la psychothérapeute ou les agents sociaux, ou en intervenant parfois auprès de l’administration pénitentiaire pour les faire changer de cellule. Parfois en faisant le lien avec un membre de leur famille.

Des contacts intéressants avec certains membres du personnel pénitentiaire qui aiment débattre les questions diverses de la foi.

Fidèle à ma vocation missionnaire
Comme Missionnaire d’Afrique, je me sens pleinement dans ma vocation car les objectifs de notre société me semblent réunis dans mon apostolat :

Une passion pour les africains : ils forment environ 40 % de la communauté du dimanche, et c’est ainsi que j’ai pu lancer une chorale en Lingala qui se réunit tous les samedis pour préparer deux ou trois chants pour la messe.

Première évangélisation : X condamné à 15 ans de prison, évolue depuis maintenant 18 mois en changeant sa mentalité au contact de la Bible et voici un mois, il m’a dit : « Yves, tu sais un jour je me ferai baptiser » …puis il s’est repris : « mais pas tout de suite car c’est exigeant ». Il est en train de lire St Paul.

Le dialogue Islamo-Chrétien, je le vis avec les musulmans qui font appel à moi et il m’est même arrivé de prier avec l’un d’entre eux au moment où il n’y avait pas d’Imam. Dialogue parfois pour préparer la libération et la réinsertion.

Justice et paix dans l’aide aux détenus en servant d’intermédiaire pour leur faire rencontrer l’organisation « Accès au droit » ou intervenir auprès du chef de détention pour que quelqu’un soit pris en considération dans une demande de travail ou de visite médicale, ou pour un changement de cellule.

Responsable au Mali pour l’ONG : “Prisonniers sans frontières”


Voir le site

Brève histoire
Fondée en 1995 par un agent d’expertise d’entreprises Jacques Risacher travaillant à Abidjan. Il s’occupe des enfants des rues puis, sur la suggestion de Mgr De Souza, archevêque de Cotonou, il fonde une association pour l’humanisation des prisons en Afrique de l’ouest. Comme il travaillait à Abidjan, nous avons commencé en Côte-d’Ivoire puis, progressivement, dans les autres pays francophones de l’Afrique de l’Ouest.
Nous sommes maintenant présents et actifs dans neuf pays de l’Afrique de l’Ouest, principalement : Côte-d’Ivoire, Togo, Bénin, Burkina Faso, Niger, Sénégal et Mali.

But
Soutenir les efforts de ceux qui, sur le terrain, participent à l’amélioration des conditions de vie des détenus. Mes trois voyages effectués au Mali m’ont permis de découvrir la situation des prisons : la prison de Kati était prévue pour 60 détenus. Ils étaient 165 en novembre 2005, et 210 quand je suis repassé en mars de cette année. Ils sont entassés dans quatre cellules avec un seul robinet d’eau et des conditions d’hygiène lamentables. Souvent ce sont des prêtres ou des religieuses, plusieurs P.B. qui ont pris l’initiative de visiter la prison et d’aider sur les plans de la nourriture, du savon, des conditions de vie en général.

Mais comme ils n’ont pas suffisamment de moyens financiers, nous leur proposons de les mettre en relation avec des équipes de soutien en France. Ces équipes s’engagent à verser régulièrement une somme d’argent pour aider une prison en Afrique : une sorte de jumelage. Ces groupes de soutien peuvent être une paroisse, une école, un club, une famille, une personne.
Nous travaillons en lien avec l’administration pénitentiaire en leur demandant que la société civile puisse avoir accès aux prisons.

Nous avons un principe fondamental : contrairement à d’autres associations comme Amnesty international, l’ACAT, nous ne dénonçons pas, à l’extérieur, les injustices que nous constatons, mais nous essayons de changer la situation de l’intérieur en dialogue avec le régisseur de la prison.

Diverses actions d’envergure
Nous avons donc une aide venue de ces groupes soutien mais cela ne répond qu’aux besoins immédiats de nourriture, savon etc..

Macina (MALI) : Construction de toilettes achevée en novembre 2006.En ce qui concerne l’amélioration des structures et l’aide à la réinsertion : la réfection des toilettes (voir photo ci-jointe), la création de jardins maraîchers, l’adduction d’eau, la création d’ateliers de mécanique ou de poterie, nous avons recours aux bailleurs de fonds internationaux : union Européenne, le FSD (fond de solidarité et développement de l’ambassade de France).

Pour la gestion des ateliers ou jardins maraîchers que nous proposons de mettre en place, nous demandons que la prise en charge soit tripartite avec la création d’un comité de gestion comprenant : un ou deux représentants de l’administration pénitentiaire, deux membres de la société civile (c’est-à-dire deux personnes qui forment l’équipe terrain de notre ONG « prisonniers sans frontières ») et un représentant des détenus.

Conclusion
Les mass media nous présentent les faits les plus horribles sur certains faits de société : le viol et le meurtre des enfants, les scandales financiers, les escroqueries en tout genre, le grand banditisme … et souvent notre regard est focalisé sur ces événements médiatiques qui bouleversent notre affectif. La conclusion suit assez facilement : une généralisation hâtive qui pense que tous les détenus méritent l’incarcération.
1 Ces cas ne représentent qu’une minorité de ceux et celles qui sont en prison.
2 Personne n’est réductible à une action qu’il a commise.
3 Dans beaucoup de cas, le problème est avant tout psychologique, mental : Ce sont des malades qui doivent être traités comme tels.
4 Beaucoup de détenus ont été marqués par un passé douloureux qui a pu les conduire à réagir de la sorte.
5 C’est un appel pour chacun d’entre nous, à remercier le Seigneur pour les conditions de vie qui ont été les nôtres : amour de nos parents, éducation, vie normale en société …


photo de la plaquette PRSF : Prison visitée par PRSF

Je ne peux finir ces quelques mots sans mentionner ce texte de Matthieu 25 : le critère du Royaume : «J’étais pauvre et vous m’avez aidé, j’étais nu et vous m’avez vêtu, j’étais malade ou en prison et vous m’avez visité : Entrez dans le royaume de mon Père ».

Yves Masquelier