Voix d'Afrique N°86.

SOCIETE
QUELLE VIE POUR LES PME
EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE ?

 

Dans la plupart des pays en développement, il y a comme un lien manquant entre, d’un côté, le secteur informel et les très petites entreprises (TPE), et de l’autre, les filiales des grandes entreprises étrangères. Les premières, qui regardent parfois davantage le secteur social que l’économie proprement dite, opèrent dans des conditions de grande précarité tandis que les secondes, plus solides, ne peuvent prétendre, à elles seules, accueillir les milliers ou millions de jeunes qui se présentent, chaque année, sur le marchés du travail.

Se pose alors la question : comment favoriser l’émergence d’entreprises, et surtout d’entreprises petites et moyennes (PME), nécessaires à la constitution d’un tissu économique cohérent ?

En Union Européenne, pour faire court, on appelle PME (petites et moyennes entreprises) toutes celles qui emploient moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros (32 milliards de Francs CFA). Une « petite entreprise » a moins de 50 personnes et son chiffre d’affaires annuel n’excède pas 10 millions d’euros (6,5 milliards de F.CFA). Une « micro-entreprise », enfin, occupe moins de 10 personnes et son chiffre d’affaires ne dépasse pas 2 millions d’euros (1,3 milliard de F.CFA).

Aussi, parler de la petite entreprise en Afrique est difficile, car ce terme regroupe une grande diversité de situations. Il y a les activités génératrices de revenus (ou AGR), les micro-entreprises, les petites entreprises et les entreprises moyennes. Les premières sont des activités généralement féminines et à très faible capacité d’évolution ; leur objectif est l’acquisition d’un revenu de subsistance ou d’un complément de revenu. Les micro-en-treprises ont un statut souvent peu clair et leur potentiel d’évolution est faible. Les petites entreprises sont souvent constituées d’un patron qui a l’esprit d’entreprise, aidé par des membres de sa famille et de quelques salariés ; il peut y avoir déjà accumulation de capital et un potentiel de croissance. Enfin, les moyennes entreprises présentent de bonnes capacités techniques et une vision à moyen et à long terme. Celles-ci ont aussi une existence légale.

Beaucoup de ces PME sont du secteur informel, celui où l’activité économique est spontanée, échappant en grande partie au contrôle de l’administration. Elles bénéficient rarement des activités promotionnelles de l’État. Elles ne sont pas explicitement reconnues par les autorités légales du pays ; elles ignorent souvent les règles élémentaires de la gestion, de la législation sociale et fiscale et de la comptabilité.

Les chefs de ces PME ne manquent pas de qualités : ils sont souvent créatifs et ont le goût du risque. Ils sont persévérants, optimistes et souvent réalistes. Ils savent où se trouve leur profit.

Ces entreprises constituent une des principales sources d’emplois et de revenus pour la population et assurent la production de services et de biens locaux à moindre coût, mis sur le marché à un prix relativement bas, qui correspondent bien à la demande d’une large partie de la population dont le pouvoir d’achat reste très faible.

Autres caractères des PME africaines

L’Afrique est un continent d’entrepreneurs : bon nombre d’Africains s’engagent, à un moment ou à un autre de leur vie, dans de petites affaires. Ce talent est encore largement sous exploité, ou tout au moins contrarié par un environnement peu propice à bien des égards.

La micro-entreprise évolue dans une logique beaucoup plus sociale qu’économique : il s’agit d’assurer la vie, voire tout simplement la survie, d’un individu ou d’un petit groupe familial.

A l’inverse, le promoteur d’une PME s’inscrit dans une logique d’entrepreneur qui nécessite une accumulation de capital, même modeste. Il investit, embauche, en fonction d’un projet d’entreprise qui ne se limite pas à la survie d’un clan ou d’un système familial, mais suppose une vision à moyen et long terme, la perception d’un marché, un savoir-faire valorisé ainsi que des capacités techniques.

L’esprit d’entreprise est relativement peu lié à l’éducation. Un grand nombre de chefs de très petites entreprises ne savent ni lire ni tenir une petite comptabilité. Ils doivent eux-mêmes trouver le financement de départ par leur épargne personnelle ou familiale.
Plus de 90% des entrepreneurs sont mariés et le nombre de personnes à charge est en moyenne de 10 personnes. Aussi, la main-d’œuvre vient souvent de la famille immédiate. Et quand il y a des apprentis, ils représentent une main-d’œuvre, à priori, bon marché.

L’équipement de ces entreprises est souvent défectueux. Les mécaniciens n’ont pas toutes les clefs nécessaires à la pratique de leur métier; les outils abîmés ne sont pas remplacés faute d’argent et les pièces de rechange difficiles à trouver...

L’approvisionnement est l’un des principaux obstacles au développement de ces petites entre-prises. La matière pour travailler est difficile à obtenir et souvent les patrons doivent utiliser des matériaux de récupération pour ne pas grever leurs coûts de production. Les coûts de transport de cette matière sont élevés. On ne peut donc acheter que de petites quantités, sans bénéficier de prix de gros, et on se trouve souvent dans les mains de fournisseurs aux marges élevées, du fait de leur situation de monopole.
Enfin, la localisation de ces micro-entrepreneurs est fondamentale pour la commercialisation de leurs produits. Certains artisans changent d’installation pour être plus proches de leur marché ou d’un marché central, d’autres se déplacent au gré des marchés à l’affût de leur clientèle.

Pour être complet, il faut encore ajouter que ces petites entreprises sont la première source de création d’emplois, et leur contribution au PIB et à la croissance économique n’est plus à démontrer. En outre, elles sont un moyen essentiel dans tout développement local structuré et ont un rôle important dans la promotion et la diffusion de la culture d’entreprise et la création d’un envi-ronnement favorable aux affaires et à la bonne gouvernance, aussi bien en ville qu’en milieu rural.

La spécificité de l’entrepreneuriat féminin

Le développement des micro- entreprises est particulièrement important pour les femmes, car elles y trouvent les revenus dont elles ont fortement besoin pour assurer la survie de leur famille et de leurs enfants. De plus, estimées comme un bon risque par les donneurs et les institutions financières, ces micro-entreprises bénéficient de nombreux appuis. Les femmes font preuve d’une cohésion remarquable souvent symbolisée par la culture d’un champ collectif, l’existence d’activités de transformation et même la possibilité de micro-crédits par les femmes entre elles.

Le crédit a un effet multiplicateur sur les petites et micro- entreprises sans ajouter de surcharge de travail ou même en la diminuant quand le crédit permet l’achat d’équipement. Les femmes rentabilisent mieux leurs activités grâce aux fonds de roulement et, éventuellement, grâce à l’équipement qu’elles reçoivent.

Handicaps des PME

Il y a d’abord les handicaps de gestion. La faiblesse des PME, en Afrique s’explique par l’étroitesse des marchés locaux et un environnement général des affaires hostile : lourdeurs administratives, infrastructures déficientes, manque de crédibilité de l’appareil judiciaire, prêts financiers insuffisants et régimes fiscaux peu incitatifs. De nombreuses entreprises restent petites et informelles, et ont recours à des technologies simples qui n’imposent pas l’utilisation intensive des infrastructures. Leur petite taille les protège également des recours en justice – les actifs à saisir en cas de faillite étant limités – et leur permet une plus grande souplesse face à un environnement économique instable.

Puis vient la gestion commerciale, souvent appuyée sur les relations du dirigeant avec les fournisseurs et les clients. Avec les fournisseurs, il doit maintenir la fidélité, la confiance, la vigilance et la fiabilité. Avec les clients, il doit maintenir la stabilité de la clientèle.

Enfin, la gestion financière, elle, est confrontée aux problèmes de trésorerie insuffisante (manque de liquidités), endettement excessif et risque d’insolvabilité (que ce soit en phase de démarrage, de croissance ou de simple fonctionnement), à un manque de compétence dans le domaine financier.

Les PME, en Afrique, souffrent d’un accès au financement limité qui influe sur leur naissance et leur développement ultérieur. L’autofinancement et les associations informelles d’épargne et de crédit – les tontines – restent leurs principales sources de financement . Mais ces mécanismes sont peu fiables, peu prévisibles et limités dans leur rôle de répartition du risque. L’accès aux financements formels reste, quant à lui, médiocre : les petits entrepreneurs sont rarement en mesure de satisfaire aux conditions fixées par les banques. Celles-ci se méfient des PME, en raison du manque d’informations sur les capacités de remboursement des entrepreneurs et de la faiblesse des garanties.

Passer de l’entreprise patriarcale à l’entreprise moderne

Beaucoup d’entreprises africaines sont presque comme des empires et les chefs d’entreprise en sont les empereurs. Ils décident de tout et tout passe par eux. Ils imposent leurs règles, leurs méthodes et, s’ils sont absents, la vie s’arrête dans l’entreprise. Ils sont aussi tout-puissants avec la gestion des chéquiers de l’entreprise. Ils les transportent partout en ville. Ce pourrait être pour des raisons de sécurité. Mais souvent, ils effectuent des dépenses en émettant un chèque à partir du compte de l’entreprise sachant que la dépense est personnelle, et, qui plus est, la dépense n’est pas et ne sera pas enregistrée dans la comptabilité de l’entreprise.

D’ailleurs, souvent, on ne sait pas qui fait quoi et on ne sait pas qui est qui. Le comptable est envoyé à toutes les commissions et va négocier des marchés. Le planton lave la voiture du Directeur Général. Le commercial fait des photocopies et décompte les encaissements. Rien de cela n’est mauvais en soi. Mais il est regrettable que les fonctions ne soient pas clairement définies.
L’improvisation tient lieu de méthode de gestion. L’entreprise n’a pas de plan de route. On gère le budget au quotidien. Quand tout va bien et que l’argent rentre, la continuité dans les méthodes est chose garantie. Quand viennent les difficultés, toutes les méthodes utilisées jusque-là - et quel que soit le domaine - deviennent mauvaises.

Enfin, souvent, crédits et ressources des entreprises servent à financer des événements familiaux exceptionnels (naissance, décès, accident), ou permettent de traduire une solidarité (ou plutôt une entraide, avec réciprocité) avec d’autres membres de la société. Cette entraide, qui participe au “capital social” de l’entrepreneur - je remplis les caisses de mes proches quand je le peux, à charge de retour - ne doit pas être supprimée, car ce serait se couper du système de sécurité sociale. Elle doit par contre être améliorée afin de la rendre plus efficace et moins coûteuse pour l’entreprise. Articuler l’économique et le social est donc l’un des principaux défis de l’entrepreneur africain, tant l’économie africaine est “enchâssée” dans le social.

La solidarité familiale, très critiquée par les économistes occidentaux, est considérée comme un des principaux obstacles à la croissance des entreprises africaines. Comment faire grandir le capital dans de telles conditions ? Il est en effet difficile au “riche” parent de se soustraire à ses “obligations sociales”, surtout si on lui a prêté une partie du capital pour le démarrage ou si les premières affaires ont été faites grâce à l’intermédiaire de la grande famille. Certains entrepreneurs en arrivent à s’installer le plus loin possible de leur village ou de leurs parents, pour pouvoir vivre en paix, loin des sollicitations permanentes et des risques de “maraboutage” qui pèseront sur eux s’ils sont récalcitrants.

Quels espoirs pour demain ?

L’Afrique est plurielle : ses composantes sont multiples et les particularités « interdisent de tirer, trop rapidement, de ce qui survient à un endroit des conclusions qui seraient valables pour l’ensemble du continent ».
L’Afrique est aussi un immense vivier de jeunesse : la majorité de sa population, née après 1990, est prête à relever les défis d’aujourd’hui et de demain afin de faire de l’Afrique le continent du vingt et unième siècle.
On ne peut qu’émettre sous forme de souhaits (et non pas de vœux pieux) tout ce qui pourrait favoriser un accroissement des petites et moyennes entreprises :

- Revoir, en le simplifiant, le cadre juridique et réglementaire qui favorise la croissance du secteur des PME. En ce sens, revoir et « toiletter » les lois et règlements du régime douanier. Les faits montrent que les droits de douane et les tarifs sont discriminatoires à l’égard des producteurs locaux.

- Améliorer, surtout en zones rurales, le réseau routier pour un transport efficace des produits agricoles. Se préoccuper de l’eau potable et des réseaux d’assainissement.

- Intensifier l’approvisionnement en électricité dans les régions rurales et le rendre vraiment fiable en ville.

- Développer les installations de télécommunications là où elles n’existent pas.

- Revoir les pratiques des banques commerciales vis-à-vis des PME (taux d’intérêt, garanties élevées…).

- L’État doit aider la petite entreprise privée en adoptant une fiscalité souple, en facilitant leur enregistrement, en leur permettant l’accès aux marchés publics, en soutenant les appuis extérieurs.

- Les bailleurs de fonds doivent mieux se coordonner pour faciliter la permanence de leurs actions.

- Le lien avec les grosses entreprises devrait pouvoir, enfin, se renforcer.

Voix d’Afrique
d’après des sources variées


Les faiblesses du secteur informel en Afrique

Le secteur informel exerce des effets assez pervers sur l’économie d’un pays, au moins dans quatre domaines :

* il représente d’importantes pertes de recettes fiscales, et donc de capacités de financement des investissements publics. Ceci renforce la dépendance de l’État vis-à-vis de la fiscalité « de porte » (droits de douane sur importations et exportations) et gène sa capacité à s’ouvrir sur le plan commercial. De manière générale, le secteur informel échappe largement aux politiques publiques ;

* le second effet pervers concerne le secteur moderne : Les entrepreneurs du premier secteur exercent une concurrence déloyale vis-à-vis de ceux du second : ils développent des coûts moindres puisqu’ils échappent aux charges fiscales et sociales – tout en maintenant une productivité plus faible ;

* aussi, les entreprises modernes deviennent moins attractives, notamment pour les investisseurs, ce qui a pour effet de freiner l’investissement au sein du secteur régulier ;

* enfin, l’informel empêche l’établissement de relations juridiques stables qui sont indispensables à la vie des affaires.

De plus, le secteur informel présente des coûts pour les entreprises :
- c’est un secteur caractérisé par une grande précarité des conditions d’activité : locaux inadaptés, non accès aux principaux services publics nécessaires à toute exploitation viable d’une entreprise : eau, électricité, téléphone, infrastructures indispensables ; les entrepreneurs de l’informel, sans stocks ni réserves financières, rencontrent des difficultés d’approvisionnement régulier en matières premières. La main-d’œuvre utilisée est souvent recrutée sur des critères familiaux et ethniques plus que sur la compétence supposée du travailleur. Quant à la gestion, elle ne repose sur aucune comptabilité précise, car il n’y a pas de tenue de comptes régulière ;

- en outre, les structures de production connaissent des difficultés d’accès au financement. Les principales sources de financement du capital du secteur informel sont l’épargne, le don ou l’héritage ; le secteur informel passe à côté des circuits officiels de financement. Parce qu’il ne peut emprunter, sa capacité d’accumulation du capital est réduite. Or, un sous-investissement chronique induit une faible productivité, donc une faible croissance de la production et des revenus.

Enfin, sur le plan social, cette faiblesse de la productivité et ce frein à la croissance constituent un des éléments constitutifs d’une « trappe à pauvreté » dans nombre de pays pauvres, freinant le développement à moyen et long terme même si, à court terme, il permet à beaucoup de survivre. La faiblesse des bénéfices du secteur informel l’empêche d’investir, d’où peu de création d’emplois, de faibles rémunérations, un non-respect des conditions de travail décent et des risques importants en termes de santé publique (travailleurs et consom-mateurs). De plus, le mode de fonctionnement de l’informel ne permet pas d’assurer le financement des dépenses de santé et de retraite.

On voit donc que se met en place, du fait de telles conditions de fonctionnement, un véritable cercle vicieux, qui empêche et contredit toute amorce de démarrage d’un véritable processus de développement.

En conclusion, nous sommes dans un entre-deux extrêmement ambigu et dangereux : le « secteur populaire » est un recours social, mais un danger économique en termes de développement du secteur « moderne ».


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