Voix d'Afrique N°96.


TERRAFERMA (Italie, 2011), un film d’Emanuele Crialese, avec Filippo Pucillo, Donatella Finocchiaro, Timnit T.. Durée : 88 mn. Sortie en France le 14 mars 2012.
Emmanuele Crialese avait déjà réalisé : Respiro et Golden Door.

L’histoire

Une petite île, Linosa, au large des côtes de la Tunisie et au sud de la Sicile. Filippo, sa mère et son grand-père n’arrivent plus à vivre de l’activité traditionnelle de la pêche. L’été arrivant, ils décident de louer leur maison aux touristes, qui arrivent de plus en plus nombreux chaque année. Un jour, Filippo et son grand père sauvent des eaux un groupe de clandestins africains malgré l’interdiction des autorités locales. Les familles de pêcheurs, jeunes et anciens, parents et enfants, se confrontent alors sur l’attitude à tenir face à la détresse des réfugiés : faut-il les dénoncer aux autorités pour la quiétude des touristes ou respecter les valeurs morales de solidarité héritées du travail de la mer ?

Qu’est-ce que Terraferma ?

Terraferma, c’est avant tout le plaisir de retrouver l’île de Lampedusa, petit bout de paradis. Entre les immigrés africains et l’arrivée des touristes des grandes métropoles, Terraferma est un jeu de décalage et de constraste. Il oppose deux styles de vie (les pêcheurs luttant pour leur survie et les vacanciers en mode détente), confronte deux peuples et délimite les frontières entre deux générations. Au final, tous sont empêtrés dans les mêmes fêlures humaines et les choix cornéliens. Le film est autant un constat d’échec qu’un message d’espoir. En une décennie, le réalisateur fait le point sur le temps qui a passé et sur la transformation de l’île. Le vent balaie toujours les paysages désertiques mais le goût du sable n’est plus le même. Le cinéaste n’évite pas toujours les clichés mais ses acteurs sonnent juste (mention spéciale à la sublime Donatella Finocchiaro) et la maîtrise visuelle du cinéaste reste imparable.

es touristes insouciants et voyeurs ...

Traversé par des élans contemplatifs, Terraferma est un nouvel hymne à la liberté, à l’ailleurs et à l’océan. Si les immigrés africains veulent toucher la terre ferme, le film n’est jamais aussi beau que lorsque le cinéaste filme les personnages pris par des vagues mélancoliques ou meurtris par l’écume de la nostalgie. Jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme.

On revient donc sur l’île du premier film (Respiro) pour y retrouver le même sentiment d’enfermement pour la femme, désespérée socialement, qui se languit de quitter cette prison sans avenir, où les murs s’érigent en falaises, où le geôlier veillant à la captivité de chacun est une ligne d’eau qui s’étend à perte de vue, et où le poids des traditions s’entrechoque avec la réalité politique et policière. Ainsi les marins d’antan ne doivent pas venir en aide aux flots de clandestins africains qui échouent, souvent morts, sur les plages estivales, reniant par la contrainte le code marin qu’ils ont dans le sang, celui d’aider l’homme à la mer. Ces vieux loups de mer, complètement archaïques, ne parlent pas le même langage que les autorités.

Enfin, l’incroyable beauté des paysages du sud de l’Italie devient un poids écrasant où le soleil, symbole d’une puissance patriarcale insupportable, inflige son règne incontesté. De cette aridité ne subsiste qu’une économie d’été où les touristes de la ville viennent se déverser pour observer l’authenticité locale qu’ils regardent de haut, comme un amusant folklore, jusqu’au drame latent. L’impression d’assister à une colonisation impérialiste est insupportable.

Filippo, le jeune homme au grand cæur !Avec un sujet fort et très actuel, celui de l’immigration (les Africains affamés tentent l’impossible traversée vers l’occident au péril de leur vie avant d’être reconduits sur leur continent), Crialese reprend la thématique centrale de son autre film, Golden Door, où des Italiens, au début du siècle dernier, essayaient d’atteindre le nouveau continent pour y vivre un exil prospère, avec toutes les désillusions qui les attendaient à Ellis Island où la porte dorée se refermait sur leurs rêves et espérances.

Le mot du Réalisateur

«J’ai observé ce changement sur l’île de Lampedusa, où j’avais tourné Respiro, dit Emanuele Crialese. Comme toutes les îles italiennes, elle est en train de se transformer en entreprise de tourisme. Je suis parti des difficultés d’une famille de pêcheurs pour survivre. La mère veut assurer l’avenir de son fils, Filippo, un adolescent qui, lui, reste attaché au monde de son grand-père et l’accompagne chaque jour dans ses expéditions de pêche.»

La famille recueille en cachette l’Éthiopienne, TimnitLe film est centré sur cette famille de trois générations, qui à la fois accueille pour la première fois des vacanciers et recueille en cachette une Éthiopienne, Timnit (belle interprète non professionnelle qui a vécu cette expérience), seule femme du groupe de clandestins secouru par le grand-père.

La mère ne peut éviter de se confronter à cette émouvante figure de femme, démunie mais pleine de dignité, tandis que les hommes débattent âprement de la conduite à tenir… Aux confins du drame réaliste et de la fable, Terraferma souffre parfois des artifices de l’idéalisme, mais touche par ses personnages très humains.

D’après des sources diverses
Voix d’Afrique

.............. Suite