Le temps des débrouillards
ou la ronde des petits métiers
Près des deux tiers de la population africaine ont moins de 25 ans. Un tiers des jeunes subsahariens ne terminent pas le primaire et se retrouvent sans qualification. Un jeune sur quatre est cantonné dans un emploi qui ne le hisse pas au-dessus du seuil de pauvreté.
Bien que les performances économiques du continent soient bonnes, les emplois de qualité y sont rares. 40 millions de jeunes n’ont pas de travail et beaucoup d’autres ne trouvent pas d’emploi décent. Même de nombreux diplômés sont sans emploi.
Demain sera encore plus sombre : le nombre des jeunes en Afrique va doubler d’ici 2045, pour passer de 200 millions de personnes aujourd’hui à 400 millions.
Il y a peu, au Burkina Faso, les concours de la Fonction publique ont rassemblé 350 000 candidats pour 7000 emplois ‘disponibles’, soit 1 emploi pour 50 candidats.
Quelle autre alternative pour les jeunes que les petits boulots ?
Dans Des virtuoses
de la débrouillardise…Ils sont là dans toutes les villes, grandes ou petites, et ils vous abordent sans complexe. Ils ont entre 10 et 25 ans, et ils gagnent leur vie par de petits boulots. Ils sont cireurs de chaussures, porteurs de colis. D’autres sont marchands ambulants ou coxeurs (rabatteurs de clients pour les taxis collectifs). Ils vendent de tout : des fruits, des médicaments (souvent contrefaits), des cigarettes, des cartes ou des puces téléphoniques, de l’eau fraîche, des CD et DVD, des livres, des tapis de prière, des cahiers, des petits pois, des cassettes, des casquettes, des dattes, des tee-shirts, du ginseng, des portraits d’Obama ou de Mandela, des cartes d’Afrique, du monde, des antennes, des bics, des parfums, du maïs, des pommes, des agendas, des jeux de petits-chevaux, des cartes à jouer, des drapeaux ...
Ils sont laveurs de pare-brise ou de voiture, marchands de sables en pirogue, fabricants de cocottes, casseurs de cailloux, chasseurs de serpents… Ce sont les petits métiers de la rue.
Le métier de vendeur est de loin le plus pratiqué. Il représente près de 40% des petits métiers. Certains vendent pour leur propre compte, d’autres, pour le compte d’un commerçant ou d’un parent. C’est aussi dans ce métier qu’il y a le plus de filles (près de 30% des vendeurs). Les âges varient de 8 à 18 ans pour les garçons et de 11 à 15 ans pour les filles.
Il existe comme un plan de carrière des petits métiers : on commence par être balayeur ou porteur pour acquérir un petit capital, puis on est cireur ou vendeur. Beaucoup de cireurs deviennent ensuite réparateurs de chaussures ou cordonniers.
Presque tous passent la nuit à la belle étoile ou dans le hall d’un grand bâtiment. Ils sont parfois violentés ou rackettés par des voyous ou spoliés par un « tuteur », qui sert de banquier. Mais, confiants en leur métier, ils caressent le rêve de devenir de grands commerçants.
Certains, parmi eux, sont des champions : « les laveurs de pare-brise de véhicule quand ils s’arrêtent aux feux. Ce travail ne réclame ni une technicité extraordinaire, ni un équipement coûteux : juste un peu de lessive, un bidon souple de récupération, une raclette facile à confectionner avec un essuie-glace « emprunté » à une voiture sur un parking, un bon coup de poignet et beaucoup d’énergie pour courir entre les véhicules immobilisés à un feu rouge. Il faut faire vite et terminer le boulot avant que le feu ne repasse au vert. » Cela peut rapporter gros (7,5 ) par jour.
Autres champions : ceux qui vivent des téléphones mobiles. Les mobiles ont fait leur apparition au début des années 90. Seuls quelques privilégiés pouvaient se procurer ce nouvel outil de communication. Mais, il s’est très vite vulgarisé au grand bonheur de certaines couches de la société. Des jeunes ont trouvé un emploi : à chaque carrefour, le long des ‘goudrons’, à côté des marchés ou devant les sièges des téléphonies mobiles, les vendeurs de portables, de cartes de recharge, des réparateurs gagnent leur pain grâce à cet outil de communication. Ils s’approvisionnent auprès des différentes compagnies de téléphonies mobiles. La vente des cartes de recharges de 5000 francs CFA (7,6 ) leur procure un bénéfice de 350 Francs CFA (0,50 ); 120 (0,18 ) pour une carte de 1000 Francs CFA. Après calcul, certain peuvent gagner 90.000 Francs CFA (137 ) par mois. Cela équivaut souvent au salaire de certains fonctionnaires du pays
Un rôle social important
Dans beaucoup de villes, on ne va pas au supermarché faire ses courses. On se déplace simplement dans la ville, et on croise les marchands ambulants, car tout se trimbale, et tout se vend. L’économie informelle s’est imposée comme la première source de revenus pour ses habitants. La rue est devenue terrain du commerce en tout genre. Vitrine de l’informel, trottoirs et chaussées sont le creuset de toutes les ressources humaines. Aujourd’hui, deux citadins sur trois vivent de l’activité de la débrouille. Chacun peut trouver une place et construire son “business”. C’est pour beaucoup la seule manière pour survivre dans une société en plein développement économique et bousculée par les inégalités (72% des emplois en Afrique Subsaharienne selon le Bureau International du Travail). Cette économie parallèle est surtout répandue parmi les classes les plus pauvres qui ne bénéficient d’aucune protection sociale. Les petits vendeurs n’ont ni les droits des travailleurs ni ceux des enfants et passent à côté de tous les services de base (santé, loisirs, formation scolaire et professionnelle). Ils vivent dans l’indifférence générale et parfois l’exploitation organisée comme les petites employées de maison, les enfants mendiants qui travaillent pour le compte de leurs parents ou ceux prêtés à des handicapés, souvent des aveugles pour les assister dans leur mendicité.
Aspirations des jeunes
Aujourd’hui, dans bien des villes africaines, les jeunes ne se contentent plus de satisfaire aux exigences de leur famille. Ils ont des aspirations personnelles. Ils veulent s’épanouir, décider de leur vie et être impliqués dans son orientation. Ils cherchent à comprendre les choses, à découvrir d’autres horizons, à donner un sens à leur vie. Tout cela provoque l’émergence de nouvelles cultures urbaines. Le potentiel créatif de l’adolescence se trouve libéré en ville. Les vendeurs désirent devenir commerçants. D’après eux, la plupart des grands commerçants ont d’abord été de petits vendeurs comme eux.
Certes, des enfants sont apprentis, placés dans les ateliers de menuiserie, mécanique, soudure, électricité, sculpture et maçonnerie pour les garçons ; couture pour les filles ; le plus souvent par leurs parents moyennant finances. Mais ils passent le plus clair de leur temps à faire des tâches annexes (courses, nettoyage,...), ils n’apprennent pas grand chose.Gestion des revenus
Les revenus ont généralement trois destinations. La plus grande partie doit aider le budget quotidien des familles (nourriture, loyer, participation aux frais de scolarisation des frères,...). Une autre part couvre les besoins ordinaires des enfants. La dernière tranche est destinée à l’épargne, souvent confiée à un parent ou un adulte du milieu de travail, quand ils en trouvent un digne de foi.
Les vendeurs ont souvent des difficultés à mobiliser un fond de départ pour acquérir les marchandises. Certains ont la chance de trouver des semi-grossistes qui leur avancent un premier lot de marchandises pour démarrer. Les autres sont obligés de vendre pour le compte d’un autre commerçant en espérant ainsi réunir l’argent nécessaire au lancement de leur propre affaire.En guise d’espoir
Peut-on continuer à regarder comme des ratés des gens qui sont indispensables au quotidien, qui font régulièrement le changement’ (changer un billet en monnaie), qui entretiennent plus que convenablement des familles ?
Arrêtons de qualifier certains métiers de “petits’”. En quoi les autres métiers qui ont eux aussi leurs servitudes sont-ils plus valeureux que les métiers dits petits ? Si ce n’est qu’une affaire de diplômes, il peut y avoir des diplômés pour tous les métiers: couturière, vendeuse,…. Quelle est cette société où tout le monde devrait être ministre, savant, docteur ? Comment peut-on juger la multiplication des petits boulots comme des échecs, alors que ce sont des réponses à des demandes sur le marché de nos besoins ? Des besoins sociaux sont ainsi comblés, qui n’auraient pu être satisfaits autrement, au même moment, avec la même efficacité.
D’après des sources diverses
Voix d’Afrique