Un cri contre l’oubli
Scholastique Mukasonga, Renaudot 2012Elle ne figurait pas dans la sélection, mais elle reçoit le prix Renaudot, le 7 novembre 2012, pour son premier roman Notre-Dame du Nil, publié chez Gallimard. Scholastique Mukasonga, Rwandaise et romancière d’expression française, figurait dans la sélection de printemps pour ce prix. D’abord écartée, en novembre, elle obtient 6 voix au dixième tour de scrutin, et devient le cinquième auteur africain lauréat de ce prix convoité. Âgée de 56 ans, elle est une survivante du génocide rwandais en 1994 où ont péri sa mère et 37 membres de sa famille. Son ouvrage a également reçu le Prix Ahmadou Kourouma du nom du grand romancier ivoirien qui récompense un ouvrage, essai ou fiction, consacré à l’Afrique noire.
Les coulisses d’un prix
« Scholastique a cru à une blague quand je lui ai annoncé la nouvelle au téléphone », raconte son éditeur Antoine Gallimard, précisant que son livre avait été ven-du jusqu’ici à 4 000 exemplaires. Notre-Dame du Nil était jusque-là totalement passé inaperçu.
Comme le jury n’arrivait pas à se mettre d’accord après neuf tours de votes, Jean Marie Le Clézio a évoqué le roman de Scholastique Mukasonga. Elle prend la succession de Yambo Ouologuem (Mali) pour “Le Devoir de violence” en 1968, Ahmadou Kourouma (Côte d’Ivoire) pour “Allah n’est pas obligé” en 2000, Alain Mabanckou (franco-congolais) pour “Mémoires de porc-épic” en 2006 et Tierno Monénembo (Guinée) pour “Le Roi de Kahel“ en 2008. Le sacre de “Notre-Dame du Nil” n’était pas prémédité : « Rien n’était préparé », a assuré Franz-Olivier Giesbert, l’un des jurés du Renaudot. « On tournait en rond. Il n’y a jamais eu un tel blocage et puis, soudain, emballement général » pour ce livre.
Le thème du livre
Paru le 1er mars 2012, le livre Notre-Dame du Nil n’est pas un témoignage sur le carnage de 1994, mais une fresque pour comprendre les prémices du génocide. L’histoire se déroule dans un lycée de jeunes filles, nommé « Notre-Dame du Nil ». A 2 500 mètres d’altitude, ce pensionnat isolé du reste du monde est considéré comme une institution pour former l’élite des jeunes filles rwandaises. En effet, les familles pensent mettre leurs filles à l’abri des tentations avant le mariage en les plaçant dans ce pensionnat isolé.
Cet internat catholique pour jeunes filles forme la nouvelle élite féminine du Rwanda. On y place la fière progéniture des diplomates, des notables et des militaires influents. Beaucoup sont d’origine Hutu, quelques-unes Tutsi, mais peu : déjà dans les années 1970, il y a un quota à respecter et 90% des élèves doivent appartenir au « peuple majoritaire ».
Les transgressions menacent au cœur de cette puissante et belle nature. Sur le même sommet montagneux, dans une plantation à demi abandonnée, un “vieux Blanc“, peintre et anthropologue excentrique, assure que les Tutsi descendent des pharaons noirs de Méroé. Avec passion, il peint à fresques les lycéennes dont les traits rappellent ceux de la déesse Isis et d’insoumises reines de Candace sculptées sur les stèles, au bord du Nil, il y a trois millénaires.
Enferrées dans une rigueur et une ferveur imposées (ne doivent-elles pas devenir « non seulement bonnes épouses, bonnes mères, mais aussi bonnes citoyennes et bonnes chrétiennes, l’un n’allant pas sans l’autre » ?), les jeunes Rwandaises n’hésitent pas à rendre quelques visites secrètes à la sorcière ou à l’empoisonneur. Dans un monde où la tradition et le paganisme sont violemment rejetés devant les voisins, le grenier de Nyamirongi, dont on dit qu’elle commande à la pluie, reste bien rempli.
Le lycée est strict, mais ce sont les élèves qui font la loi, soutenues par leurs puissants parents. Lorsqu’une lycéenne introduit au sein de l’établissement son fiancé très haut placé, lorsqu’elle tombe enceinte, lorsqu’une autre, petite leader tyrannique, décide d’organiser un regroupement des jeunes militants qui finit en chasse aux Tutsis, les professeurs sont impuissants. Impuissante la mère supérieure, impuissante même Notre-Dame du Nil, la vierge rwandaise à la statue mutilée pour son nez trop tutsi. L’autorité de Dieu comme celle des hommes de bonne volonté ne peut rien contre le déchaînement de la violence …
Prélude exemplaire au génocide rwandais, le huis clos où doivent vivre ces lycéennes bientôt encerclées par les nervis du pouvoir hutu, les amitiés, les désirs et les haines, les luttes politiques, les complots, les incitations aux meurtres raciaux, les persécutions sournoises puis ouvertes, les rêves et les désillusions, les espoirs de survie, fonctionne comme un microcosme existentiel fascinant de vérité.
La romancière, qui a elle-même fréquenté dans sa jeunesse une institution religieuse, nous fait partager un an de la vie de ces jeunes filles, leurs amitiés, leurs découvertes, et puis la haine raciale, la jalousie, les complots qui s’insinuent petit à petit dans le lycée. Son écriture est très forte et les portraits des jeunes filles sont captivants. Ce roman est poignant et marque profondément.
Vie de l’auteure
Pour Scholastique Mukasonga, écrire et témoigner sont les deux faces de la même histoire. Écrire, un devoir, résultat d’un «exil intérieur » entamé longtemps avant d’avoir trouvé en France un exil extérieur. Elle affirme : « J’étais destinée à être la mémoire de la famille, parce que j’ai appris le français, parce que le français était le passeport international ».
Née en 1956, Scholastique connaît dès l’enfance les persécutions et les humiliations des conflits ethniques qui agitent son pays. Sa famille est déplacée dans une région insalubre. En 1973, jeune étudiante de 17 ans, elle est chassée de l’école d’assistantes sociales de Butare au Rwanda parce que Tutsie. Elle doit alors s’exiler au Burundi, puis en France, deux ans avant le début des massacres qui ont ensanglanté son pays en 1994. Beaucoup de gens de sa famille, dont sa mère, ont alors été assassinés.
Assistante sociale à Saint-Aubin sur mer, après un récit autobiographique paru en 2006, Inyenzi ou les Cafards, elle publie en 2008 La Femme aux pieds nus en hommage à sa mère Stefania. En 2010, ce sera l’Iguifou : c’est le ventre insatiable, la faim, qui tenaille les déplacés tutsi de Nyamata en proie à la famine et conduit Colomba aux portes lumineuses de la mort…
L’auteure a créé une association d’aide aux orphelins après le génocide.D’après des sources diverses
Voix d’Afrique