Voix d'Afrique N°90.



Le roman policier africain
se porte bien !


Pendant longtemps, le roman policier a été méprisé, relégué en seconde zone, tout juste digne des kiosques de quais de gare. Mais depuis quelques années, il a trouvé ses lettres de noblesse, et les éditeurs ne font plus la fine bouche devant lui. Bien plus, les collections policières se sont ouvertes aux polars étrangers, africains entre autres. Même avec des circuits d’édition et de distribution restreints, le continent africain a donné naissance à une littérature “ noire “, dont il faut absolument prendre conscience.

 

Les précurseurs

Dans la création romanesque africaine de langue française, il faut attendre 1984 pour trouver les pionniers du roman policier noir : d’abord, le Malien Modibo Sounkalo Keita avec L’archer bassari (Éditions Karthala), puis, en 1985, le romancier d’origine camerounaise né à Lausanne, Simon Njami avec Cercueil et Cie (Editions Lieu Commun). Ces deux romans, prometteurs n’ont pas de suite chez ces deux écrivains. Il faut attendre le début des années 90 pour que le roman policier fasse vraiment son entrée en Afrique francophone.

On trouve alors un autre Malien, Moussa Konaté, et son Gorgui, L’assassin du Bankoni, le Sénégalais Abasse Ndione avec la réédition des deux tomes de La vie en spirale (Editions Gallimard, collection « Série Noire »), enfin Asse Guèye et son No woman no cry.

Abasse Ndione fait scandale avec son roman La vie en spirale lors de sa sortie. On lui reproche de faire comme une apologie du cannabis. Ce roman met, en effet, en scène le périple de cinq garçons de la campagne sénégalaise dont le principal loisir consiste à consommer du cannabis. Un jour, ils se retrouvent en rupture de marchandise. Alors l’un d’eux prend la décision d’entrer dans la spirale infernale du trafic de drogue. Il met le doigt dans l’engrenage et devient un sipikat (trafiquant).
Abasse Ndione prendra une retraite anticipée de son métier d’infirmier pour se consacrer à l’écriture et publiera un deuxième roman : Ramata.

Les héritiers

L’exploit d’Abasse Ndione, considéré à juste titre comme « le père du roman policier africain », est vite suivi par de nouveaux auteurs tels que Achille Ngoye (Kin la joie, Kin la folie (1993, Éd. L’Harmattan)

Agence black Bafoussa (1996, Gallimard), Sorcellerie à bout Portant (1998), « Série noire »), Bolya (La polyandre (1998, Éd. Serpent à plumes ), Moussa Konaté (L’Honneur des Kéita, L’empreinte du Renard, « Éd. Fayard »)... Et le roman policier africain gagne sa renommée en intégrant la célèbre collection « La Série noire » des Editions Gallimard, car la plupart des auteurs africains de romans policiers éditent chez Gallimard.
Mais la littérature policière africaine a aussi sa « reine du crime » avec Aïda Mady Diallo dont le roman Kouty, mémoire de sang est une merveille dans le genre. Elle est la première « écrivaine » de policiers africains à intégrer la « Série noire ».

Polar et Maghreb

L’Afrique noire n’est pas la seule à investir le domaine de la littérature policière. Le Maghreb n’est pas en reste, avec une identité à part. Au début, les auteurs de polars maghrébins, qui résident en France, sont pris entre leur statut d’immigrés, leurs difficultés au quotidien et la nostalgie de leur pays d’origine. Ces polars ont pour cadre la guerre d’Algérie ou les banlieues françaises où la vie d’immigré n’est pas facile.
C’est en 1998 que Gallimard publie dans la « Série noire » deux romans avec le Maghreb comme trame principale : Avis Déchéance de Mouloud Akkouche et Un baiser sans moustache de Catherine Simon.

Mais Yasmina Khadra, auteur-phare originaire d’Algérie, aura une place à part ; elle choisit le polar pour raconter son pays d’origine. Ses romans, d’abord publiés aux éditions la Baleine avant de paraître en poche en Folio Policier, nous entraînent à la découverte d’une Algérie meurtrie par la guerre, mêlant le tragique au surréalisme dans les romans Morituri (1997), Double blanc (1998) ou encore L’automne des chimères (1998) et Ce que le jour doit à la nuit (2008).

On trouve chez les écrivains de polars maghrébins une dureté déroutante. Les plumes sont aiguisées, le ton caustique, l’esprit cynique, et les métaphores cruelles.

Ambiance
des polars africains

Il y a les romans qui ont l’Afrique pour cadre. « Avec ses villes tentaculaires, ses dictatures et ses coups d’État, ses mascarades électorales et ses faits divers sanglants, l’Afrique offre tous les ingrédients du roman policier. Si le roman noir a tout pour s’épanouir en terre africaine, c’est à nous, lecteurs, d’être à l’écoute. »

Le troisième roman du Gabonais Janis Otsiemi, La Bouche qui mange ne parle pas (Éd. Jigal «Polar», 2010) en est une bonne illustration. « Solo vient de purger trois ans de taule pour une bagarre qui a mal tourné. À sa sortie, son cousin Tito, un vrai dur, lui propose une affaire… Il lui suffit de voler une voiture, de l’accompagner sur un coup et de manger sa langue. Une sacrée bonne aubaine pour ambiancer toute la nuit et régler ses dettes… Mais Solo se retrouve au cœur d’une embrouille qui pue salement la mort. Au Gabon, on murmure que certains politiciens n’hésitent pas à recourir aux meurtres rituels pour se maintenir au pouvoir… Écœuré, effrayé, traqué, Solo prend ses distances et se planque, mais à Libreville les flics ont mangé des guêpes et ont fermement l’intention de lui faire passer le goût du manioc… » (4ème couverture)

Il y a aussi d’autres romans qui se passent en Europe, souvent même à Paris. C’est le cas de Ballet noir à Château-Rouge (2001, Gallimard « Série noire ») d’Achille Ngoye, où il s’agit de retrouver la trace d’un immigré malien clandestin disparu après un contrôle de police... L’auteur choisit ses ingrédients qui sont puisés au creux de la tradition. « Dans le cadre d’une grande ville, les lieux choisis sont souvent ces quartiers interlopes où se côtoient vrais gangsters et petits trafiquants, où la débrouille et la magouille se complètent afin de créer une marginalité propice à toutes les dérives. Un terrain fertile et fécond pour l’exploration des marges. »

Pour conclure

Le Sénégal a organisé en février 2000 le premier festival « Polar à Dakar », qui a attiré de nombreux amateurs du genre. Le Mali aussi, dans le cadre du festival « Étonnants voyageurs », a initié un autre festival « Lire en fête au Mali », qui, en 2004, portait sur le roman policier africain.

On peut donc affirmer que l’Afrique tient à occuper une place grandissante dans la littérature policière. Avec une augmentation du nombre de collections chez les éditeurs et des auteurs pleins de talent, l’Afrique donne un souffle nouveau au polar en lui apportant une part de son identité. Les auteurs africains peuvent ainsi prouver aux amateurs de séries noires qu’ils n’ont rien à envier à leurs homologues occidentaux.

Voix d’Afrique
d’après des sources diverses




















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