Voix d'Afrique N°94.

«Nous sommes des survivants, des rescapés»
(pour ceux nés avant 1940)


Nous nous sommes mariés avant de vivre ensemble. La vie en communauté se passait au couvent. Le « fast-food », pour les Anglais, était un menu de carême et un « big-mac » était un grand manteau de pluie. Il n’y avait pas de mari au foyer, pas de congé parental, pas de télécopie ni de courrier électronique. Nous datons de l’ère d’avant les H. L. M et d’avant les Pampers. Nous n’avions jamais entendu parler de la modulation de fréquence, de cœur artificiel, de transplant, de machine à écrire électrique, ni de gens portant une boucle d’oreille.

Nous sommes nés avant la télévision, avant la pénicilline, avant les produits surgelés, les photocopies, le plastique, les verres de contact, la vidéo et le magnétoscope...et avant la pilule. Nous étions là avant les radars, les cartes de crédit, la bombe atomique, le rayon laser, avant le stylo à bille, avant les lave-vaisselle, les congélateurs, les couvertures chauffantes, avant la climatisation, avant les chemises sans repassage et avant que l’homme ne marche sur la Lune.

Pour nous, un ordinateur était quelqu’un qui conférait un ordre ecclésiastique, une puce était un parasite et une souris était de la nourriture de chat. Les paraboles se trouvaient dans la Bible, pas sur les toits. Un site était un point de vue panoramique, un CDROM nous aurait fait penser à une boisson jamaïcaine, un joint empêchait un robinet de goutter, l’herbe était pour les vaches et une cassette servait à ranger les bijoux. Un téléphone cellulaire aurait été installé dans un pénitencier. Le rock était une matière géologique, un gai (prononcé gay en anglais) était quelqu’un qui faisait rire et made in Taiwan était de l’exotisme.

Mais nous étions sans doute une bonne race robuste et vivace, quand on songe à tous les changements qui ont bouleversé le monde et à tous les ajustements que nous avons su négocier. Pas étonnant que nous nous sentions parfois moins sûrs de nous et fiers d’avoir su sauter le fossé entre nous et la génération d’aujourd’hui. D’ailleurs, nous sommes prêts à recevoir quelques euros par courrier électronique. Grâce soit rendue à Dieu, nous sommes toujours là. Nous sommes jeunes après tout, un bon cru !

Lucien BOREL



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