Voix d'Afrique N°101.


Les quatre saisons de notre pèlerinage


Quand arrive le printemps, la chaleur revient, la terre recouvre sa fertilité, le soleil et la pluie se remettent à l’œuvre. La nature est en mouvement. C’est la saison des semences, la plate-bande de l’espérance. C’est l’âge de la jeunesse et du rêve. C’est aussi un temps où on apprend à renoncer pour faire du neuf. Le fermier vient sur ses champs, laboure, sacrifie le bon grain qui reste, le jette en terre, sachant qu’il y mourra. Que le fermier s’obstine à conserver son grain, ou la semence à garder son souffle, et de récolte il n’y en aura point.

L’été, c’est la saison de la productivité, le terrain de la générosité. Tout le monde s’y met, et chacun y met du sien. Même la nature s’en mêle, allongeant les heures de clarté, pour qu’on arrive à tout boucler. Il faut sarcler, arroser quand le ciel est distrait, cueillir les fruits quand ils prennent des couleurs, couper les foins qui cet hiver nourriront le bétail. Un travail exigeant, qui consume toutes les forces. C’est l’âge de la maturité et des réalisations. On s’affaire, on calcule ; on vit en dehors de soi. Forcément, on n’a guère le temps de penser.

L’automne se présente comme la saison décevante, un printemps inverti. C’est la saison où ciel et terre se renfrognent. On n’ensemence pas, on engrange ; puis on attend d’avoir besoin. On ne sort plus aspirer l’air du matin, le ciel n’ensoleille plus les visites du soir. On rentre chez soi, et on attend. Le dimanche, on attend de la visite. Qu’on donne gîte à l’ennui et, en semaine, on attendra des maladies. À y bien penser, si tout dans l’automne repousse vers l’intérieur, c’est que la nature est une mère avisée. Pour réussir l’épreuve de l’automne, l’attente infantile doit se muter en engagement réfléchi, celui de se risquer sur les pistes cachées qui aboutissent au-dedans de l’âme. La nature invite discrètement à la foi. Elle ne chôme pas, elle est en chantier, à préparer l’hiver : celui de la terre, celui de la vie. La vocation de l’automne est de faire croître en intériorité et de planter racine en profondeur. Il enseigne à perdre ses feuilles pour mieux emmagasiner la sève qui est promesse d’un lendemain. C’est l’âge des cheveux blancs, intimations de mortalité ; et le préau de la sagesse, à l’entrée du temple de la Providence.

L’hiver, à ce qui en paraît, c’est l’été à l’envers, la mal aimée de nos saisons. On ne produit pas, on consomme. Le gel a tout arrêté. Si, ayant raté les leçons de l’automne, on s’est attardé à la surface de sa vie, on s’arrête aussi ; et on se distrait en attendant de répéter cette année le même été que l’an dernier. Le défi est d’importance. Manquer son hiver, c’est rater le dénouement à long terme de la séquence qui y a conduit. Les projets de jeunesse n’ont d’avenir que si les projets de vieillesse s’ouvrent à l’immortalité. Nous sommes pèlerins, non simples voyageurs. Et notre destination, c’est l’habitation céleste qu’annoncent symboliquement nos Écritures.

L’hiver nous enseigne à partir avec sérénité, et à laisser partir avec magnanimité. Alors que, sous le sol glacé, un dynamique réseau de vie prend ses avances en programmant un printemps en voie de s’inventer, en nos âmes, tout en douceur, le précieux dépôt s’apprête à arranger les petits bonheurs en bouquets d’allégresse et de félicité. L’hiver convoque au festin de l’amour. Un amour qui emprunte à celui de Dieu la couleur de la bienveillance. Un amour longuement façonné par le pinceau du sourire et le ciseau des larmes ; qui lie les cœurs dans une alliance capable d’affronter la traversée du Jourdain.

L’hiver, c’est le moment béni de l’offrande gracieusement consentie. Si on ne laisse pas, quand sonne l’appel, ses compagnons de route s’engager sur leurs sentiers d’éternité, on leur survivra dans l’amertume, avec le sentiment que la vie nous les a volés. La vie ne vole pas, elle couve ; et elle a ses raisons. Les semences de cette année ne seront pas celles de l’an dernier. Le fermier non plus, peut-être. Le gel, lui aussi, a ses motifs. Il conserve la vie qui se réfugie sous le sol, et prépare la renaissance du printemps. La quiétude du déclin accepté laisse à l’âme le temps qu’il faut pour pieusement transformer la mort en résurrection. L’hiver, c’est l’âge d’entreprendre la montée qui mène vers l’Infiniment Grand.


Marcel Boivin
M. Afr.


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