Quand arrive le printemps,
la chaleur revient, la terre recouvre sa fertilité, le
soleil et la pluie se remettent à l’œuvre. La nature est
en mouvement. C’est la saison des semences, la plate-bande de
l’espérance. C’est l’âge de la jeunesse et du rêve.
C’est aussi un temps où on apprend à renoncer pour
faire du neuf. Le fermier vient sur ses champs, laboure, sacrifie
le bon grain qui reste, le jette en terre, sachant qu’il y mourra.
Que le fermier s’obstine à conserver son grain, ou la semence
à garder son souffle, et de récolte il n’y en aura
point.
L’été,
c’est la saison de la productivité, le terrain de la générosité.
Tout le monde s’y met, et chacun y met du sien. Même la
nature s’en mêle, allongeant les heures de clarté,
pour qu’on arrive à tout boucler. Il faut sarcler, arroser
quand le ciel est distrait, cueillir les fruits quand ils prennent
des couleurs, couper les foins qui cet hiver nourriront le bétail.
Un travail exigeant, qui consume toutes les forces. C’est l’âge
de la maturité et des réalisations. On s’affaire,
on calcule ; on vit en dehors de soi. Forcément, on n’a
guère le temps de penser.
L’automne
se présente comme la saison décevante, un printemps
inverti. C’est la saison où ciel et terre se renfrognent.
On n’ensemence pas, on engrange ; puis on attend d’avoir besoin.
On ne sort plus aspirer l’air du matin, le ciel n’ensoleille plus
les visites du soir. On rentre chez soi, et on attend. Le dimanche,
on attend de la visite. Qu’on donne gîte à l’ennui
et, en semaine, on attendra des maladies. À y bien penser,
si tout dans l’automne repousse vers l’intérieur, c’est
que la nature est une mère avisée. Pour réussir
l’épreuve de l’automne, l’attente infantile doit se muter
en engagement réfléchi, celui de se risquer sur
les pistes cachées qui aboutissent au-dedans de l’âme.
La nature invite discrètement à la
foi. Elle ne chôme pas, elle est en chantier, à préparer
l’hiver : celui de la terre, celui de la vie. La vocation de l’automne
est de faire croître en intériorité et de
planter racine en profondeur. Il enseigne à perdre ses
feuilles pour mieux emmagasiner la sève qui est promesse
d’un lendemain. C’est l’âge des cheveux blancs, intimations
de mortalité ; et le préau de la sagesse, à
l’entrée du temple de la Providence.
L’hiver,
à ce qui en paraît, c’est l’été à
l’envers, la mal aimée de nos saisons. On ne produit pas,
on consomme. Le gel a tout arrêté. Si, ayant raté
les leçons de l’automne, on s’est attardé à
la surface de sa vie, on s’arrête aussi ; et on se distrait
en attendant de répéter cette année le même
été que l’an dernier. Le défi est d’importance.
Manquer son hiver, c’est rater le dénouement à long
terme de la séquence qui y a conduit. Les projets de jeunesse
n’ont d’avenir que si les projets de vieillesse s’ouvrent à
l’immortalité. Nous sommes pèlerins, non simples
voyageurs. Et notre destination, c’est l’habitation céleste
qu’annoncent symboliquement nos Écritures.
L’hiver
nous enseigne à partir avec sérénité,
et à laisser partir avec magnanimité. Alors que,
sous le sol glacé, un dynamique réseau de vie prend
ses avances en programmant un printemps en voie de s’inventer,
en nos âmes, tout en douceur, le précieux dépôt
s’apprête à arranger les petits bonheurs en bouquets
d’allégresse et de félicité. L’hiver convoque
au festin de l’amour. Un amour qui emprunte à celui de
Dieu la couleur de la bienveillance. Un amour longuement façonné
par le pinceau du sourire et le ciseau des larmes ; qui lie les
cœurs dans une alliance capable d’affronter la traversée
du Jourdain.
L’hiver,
c’est le moment béni de l’offrande gracieusement consentie.
Si on ne laisse pas, quand sonne l’appel, ses compagnons de route
s’engager sur leurs sentiers d’éternité, on leur
survivra dans l’amertume, avec le sentiment que la vie nous les
a volés. La vie ne vole pas, elle couve ; et elle a ses
raisons. Les semences de cette année ne seront pas celles
de l’an dernier. Le fermier non plus, peut-être. Le gel,
lui aussi, a ses motifs. Il conserve la vie qui se réfugie
sous le sol, et prépare la renaissance du printemps. La
quiétude du déclin accepté laisse à
l’âme le temps qu’il faut pour pieusement transformer la
mort en résurrection. L’hiver, c’est l’âge d’entreprendre
la montée qui mène vers l’Infiniment Grand.
Marcel Boivin
M. Afr.