ENTREE EN MATIERE

LE MISSIONNAIRE AUX
CHAUSSETTES TROUEES

P. Raphaël Deillon



Père Raphaël Deillon, Provincial des Pères Blancs pour la Suisse.
Il a été curé au Sahara (Algérie). Auteur du Livre"Des Roses dans le sable".

On s'est moqué d'eux. On a dit qu'ils étaient les derniers des 3 M: les Militaires, les Marchands et les Missionnaires. On les a accusés d'être partis en Afrique pour convertir des païens, apporter une autre civilisation, importer la consommation. Ces troublions n'avaient maintenant que ce qu'ils méritaient… On leur a tout mis sur le dos, sans réfléchir un instant, avant même de les voir, de savoir, d'écouter leurs histoires…
On leur a dit que ce temps était révolu et que maintenant la mission, elle est ailleurs. Elle est même dans le pays qu'ils ont quitté, quand ils étaient tout jeunes.
Et pourtant, malgré les critiques, ils repartent contre vents et marées. Forts de deux mois de congé au pays, gagnés là-bas à grosses gouttes de sueur. Ils repartent vers une école de brousse, une paroisse aux mille succursales visitées trois fois par année sur des chemins qui soulèvent une poussière étouffante ou qui retiennent dans la boue de leurs ornières leurs frêles guimbardes. Trois ou quatre ans de galère, loin de leur famille, de leur pays; danger des routes, danger des rivières, danger des pillards, danger des guerres, dangers des mercenaires à la solde des uns puis des autres.
Et pourtant ils restent, parce que leur peuple est là-bas; parce qu'ils les aiment ces hommes, ces femmes, ces enfants comme si c'était les leurs.


Le Père Deillon se prépare à dire la messe
devant des pèlerins dans sa cathédrale de sable

Ils ne peuvent s'en départir. Ils ont pris faits et causes pour eux au nom de celui qui leur a dit: "partez, ne prenez qu'un bâton, n'emportez ni sac, ni argent, ni habits de rechanges… Si quelqu'un vous accueille , entrez chez lui, prenez chez lui votre repas…"
Et c'est parce qu'ils croient en Lui qu'ils sont repartis au Congo en Ethiopie ou que revenus, leur cœur est encore "là-bas... Leurs chaussettes sont peut-être percées, leurs habits ont du mal à rattraper la mode endiablée de nos pays, mais ils ont un peuple qui leur colle au corps à qui ils ont donné leur parole. Ils ont trempé leur pain dans leurs plats pimentés qui sentent bon l'amitié. Ils sont heureux. Si vous cherchez, comme beaucoup d'autres dans notre monde, des secrets pour le bonheur, demandez-leur pourquoi ils sont restés, pourquoi ils repartent. Ils vous diront que la joie ne vient pas en évitant le risque. La vraie joie vient quand on peut se donner tout entier à Dieu et aux autres. On se sent plus utiles à vivre solidaires de ceux qui n'ont rien, que satisfaits avec ceux qui ont tout.


La préparation du pain quotidien. Le Père Deillon
tient la gourde d'eau précieuse pour la mêler à la farine

Et lorque vous lirez leur histoire dans les pages qui suivent, regardez-les vibrer à ce qu'ils vous racontent, écoutez les parler de ceux qu'ils aiment. Croyez ce qu'ils vous disent. Ils l'ont vécu, ils en vivent. Pour rien au monde ils auraient quitté "leur pays". Ils ont acquis le droit d'y être parce qu'ils ont senti et souffert avec leurs habitants. Ceux qui y sont encore préfèrent y rester même avec des chaussettes percées.

P. Raphaël Deillon, Provincial

EST-CE QUE JE FAIS
UNE BONNE IMPRESSION

Frère Karl KÄLIN économe pour la Province de Suisse et résidant à Fribourg, est un spécialiste de l'imprimerie

Ceux qui m'ont connu naguère, à Sursee, dans ma paroisse d'origine, doivent bien rire en entendant cette question. Lui ? Une bonne impression ? Lui ? La clarinette fantaisiste de la fanfare ? Lui ? Le fou du carnaval ? Allons donc !…
Et pourtant !…Il n'y avait pas, dans ma vie, que les douces joyeusetés de l'adolescence ! J'ai été un membre actif de l'Action Catholique, et j'ai fait un très sérieux apprentissage d'imprimeur. Ce n'est pas si mal que cela !…
Et puis, en 1966, je suis entré chez les Pères Blancs. Etais-je trop à l'étroit dans notre petit Helvétie ? J'avais besoin d'ouvrir mes horizons et d'apporter aux autres ma foi et mes connaissances. L'Afrique me semblait le cadre idéal pour cela.
Alors je me suis retrouvé au travail dans diverses imprimeries, au Congo, au Burkina Faso et en Uganda. Mais surtout pour la formation des Africains, à qui, je crois, j'ai beaucoup apporté de mon savoir.


Envoyé dans tous les coins de l'Afrique, le Frère Karl est
à l'écoute des besoins locaux et donne ses avis très appréciés sur l'organisation des travaux de finances et d'imprimerie

En 1984, c'est à Aix-la-Chapelle qu'on m'a envoyé, où il y avait grand besoin d'un conseiller technique dans les organisations non-gouvernementales. J'y suis resté à la tâche pendant dix ans, Mais pas sur place ! Non ! Environ tous les deux mois, on me demandait de jouer au globe-trotter, en Afrique bien sûr, mais aussi en Asie ou même de l'autre côté du rideau de fer. Pourquoi ? Pour y apporter mon expérience dans la machinerie, dans la planification du travail, la mise en train et l'accompagnement de nouvelles installations. Sans oublier évidemment, la formation du personnel dirigeant et des employés…
J'ai énormément voyagé. J'ai quatre passeports tout remplis de visas de toutes sortes, et je rêve parfois en les regardant…Je rêve, parce que, maintenant, je suis assis dans un bureau, à Fribourg, où les comptes de la Province suisse m'ont été confiés depuis six ans ! Cela a été un changement notable dans ma vie, car, du coup, ce sont les problèmes de taxation, de construction, de nourriture, d'aide aux missions qui ont rempli mes journées…Heureusement, ma nostalgie des voyages s'est trouvée tempérée par mon activité auprès de la Fondation " Solidarité Tiers-Monde ", qui m'envoie à travers l'Afrique pour l'évaluation et le contrôle des projets qui demandent un appui financier.


Ecouter avant de parler est une nécessité si l'on veut bien
comprendre les difficultés locales et être bien compris

Ai-je fait de ma vie, une bonne impression ? Je n'en sais rien. Je l'espère. J'attends avec confiance le moment où le Grand Imprimeur mettra son " Imprimatur " sur la dernière page !

TUTTI FRUTTI !

TEMOIGNAGE
Sœur Denise AUGSBURGER
Sœur Missionnaire de Notre-Dame d'Afrique,
originaire de Langnau.

Tutti frutti ! J'aime ça ! C'est rafraîchissant comme titre pour dire un petit mot de ma vie ! Dans un " tutti frutti ", on trouve un tas de fruits délicieux, un joyeux mélange qui fait du bien à l'estomac et au moral…Et ma prime jeunesse a été tout cela !
Je m'explique : Je suis originaire de Langnau (BE). Mes parents étaient catholiques et protestants. Jusqu'à l'âge de 12 ans, j'ai vécu à Chamonix en France, puis, de retour au pays, j'ai étudié à Dagmersellen (LU), puis j'ai vécu aussi à Reiden (LU), pour finalement achever mon adolescence à Fribourg.


Sœur Denise a mis tout son sourire et son enthousiasme
dans la formation des Sœurs Banabikira. Elle les entraine à la danse

J'ai donc fait de l'œcuménisme sans le savoir, passant de l'école du dimanche aux classes de catéchisme, je suis naturellement bilingue et les passages de frontières, ça me connaît ! Oui, ma jeunesse est un vrai " tutti frutti " ! Et ce n'est là que le début ! Car ma route m'a conduit encore plus loin : En Ouganda, au fin cœur de l'Afrique. Pourquoi ? Parce que le Bon Dieu m'a fait signe, un jour, d'aller là-bas pour y porter sa Bonne Nouvelle. En fait, il a commencé par corser mon " tutti frutti ",en me demandant d'apprendre l'anglais, puis la langue des Batooro au parfum délicatement tropical. Et enfin, plus tard, les douceurs du Rhukonzo et les finesses du Luganda.
Mais, dès mon arrivée dans ce pays aux belles montagnes ténébreuses, on m'a demandé d'expliquer l'Evangile à des postulantes religieuses. Tâche aisée, m'a-t-on dit ! J'en doute fort, mais j'y ai au moins appris l'humilité et l'art d'employer une vingtaine de mots pour parler des heures durant !


Sœur Denise sait enseigner dans les villages les secrets de la comptabilité
et du petit commerce. Les femmes sont très friandes de conseils.

 

Ensuite, comme le St Esprit m'avait donné, paraît-il, le don de la parole et du contact facile, on a étendu mon apostolat à la jeunesse du pays…en compagnie d'une missionnaire anglicane…(Bonjour, l'œcuménisme de mon enfance !)…On en a fait, à nous deux, des kilomètres de paroisses en écoles , en vue d'éveiller chez les enfants du pays une lueur d'intérêt pour le Message de l'Evangile ! Que de pieux stratagèmes n'avons-nous pas inventés pour retenir leur attention et leur faire comprendre la présence de Dieu dans leur vie de chaque jour !…
L'étape suivante, toute logique pour moi, fut, non pas l'enseignement direct aux enfants, mais la formation des catéchistes, et surtout des mamans catéchistes. Là, le travail est plus délicat, car il s'agit d'éveiller les convictions profondes d'adultes pour qu'ils soient de vrais témoins devant leurs enfants. En pensant aux années passées dans cette tâche où on est, pour ainsi dire, le bras gauche du St Esprit, je sens encore maintenant mes insuffisances, mais je suis certaine que, grâce à lui, je n'ai pas travaillé en vain.
J'ai planté, avec bien d'autres, des jalons de lumière, marquant la route à suivre pour les croyants ougandais. Maintenant que je suis revenu au pays natal et que je peux regarder la trace des pas que j'ai laissée derrière moi, je suis sûr que tout cela n'a pas été en vain. C'était là une œuvre d'amour, accomplie la main dans la main avec le Christ, pour ses frères africains

L'AFRIQUE? BEAUCOUP DANS LE COEUR?
TROP PEU SOUS LES PIEDS!

TEMOIGNAGE:
Père Wendelin HENGARTNER
Père Blanc originaire de Kobelwald/Oberriet St Gall
Résidant à Lucerne, il est supérieur de la communauté.

Est-ce la guigne qui me poursuit ? La poisse qui me retient ? Les dispositions de mon caractère qui me guident ?…Je n'en sais rien ! Mais je préfère croire que c'est la volonté de Dieu qui a tracé le chemin de ma vie et qui m'a gardé pendant tant d'années au service des missions d'Afrique…en Europe !
Oui, comme tout jeune missionnaire en partance, j'ai rêvé de " là-bas ", mais mon premier envol s'est terminé au milieu des montagnes valaisannes, à St Maurice ! Pendant trois ans, il m'a fallu jouer au professeur avec des gamins qui, eux aussi, rêvaient d'horizons africains. Sans compter qu'il me fallait les nourrir et veiller sur leurs petites santés !…Oui, pendant trois ans ! Et puis, départ pour une autre école apostolique dans la vallée du Rhin, avant de faire une autre escale à Fribourg, cette fois, pour que je me replonge dans les études à l'Université.
Ayant rempli mes valises de philosophie et de pédagogie, enfin ! c'est l'embarquement pour l'Afrique, ou plus précisément pour le grand séminaire de Koumi au Burkina-Faso. Et me voici à nouveau, professeur auprès de futurs prêtres, dans un milieu tout à fait inconnu de moi et dont je ne connaissais même pas la langue. Heureusement, ces jeunes maniaient très bien le français et je n'avais aucune difficulté à communiquer avec eux. Ce qui n'était pas le cas du reste de la population, et dans les moments que je pouvais consacrer au ministère paroissial, je devais être suivi d'un interprète…Et cela, bien sûr, posait des problèmes !
Va-t-on un peu m'oublier dans ce pays et cette fonction que j'ai vite appris à aimer ? Erreur ! On me nomme directeur d'un nouvel institut appelé CESAO, en clair : Centre de formation pour les études économiques et sociales. Un beau titre ronflant qui m'oblige à avoir une heure d'avance sur les étudiants que je dois guider ! Et là, j'en ai pour sept ans de travaux en tous genres !… Quand tout semble devenir plus aisé, hop ! changement de décor et départ pour la Suisse où les Pères Blancs me confie la responsabilité d'un bureau " Mission et Développement ". Et puis, de nouveau, hop ! cette fois pour Aix-La-Chapelle au centre " Missio ", pour la préparation de projets concernant l'Afrique et le Proche-Orient. Et finalement, hop ! à Fribourg sur Sarine comme supérieur provincial de Suisse ! C'est une " condamnation " à six ans d'administration interne au cours desquels il faut avoir l'œil sur les quatre maisons de la Province et sur les missionnaires partant ou rentrant d'Afrique.
Là, je dois l'avouer, le contact avec tous mes confrères, qu'ils travaillent en Suisse ou reviennent en congé, m'a toujours paru un enrichissement personnel et une occasion d'exprimer la reconnaissance à Dieu.
Après six années, un confrère plus jeune est venu prendre ma place, et je suis allé m'installer à Widnau, dans ma région natale, pour y assurer la présence Pères Blancs et pour faire un brin de ministère à la mesure de mes forces et de ma santé…Maintenant, je suis à Lucerne, et j'ai un peu de loisir pour méditer sur les curieux zigzags de ma vie. Drôle de parcours en effet que la volonté de Dieu m'a tracé !…
Allons, ne nous attardons pas à cela. Dieu fera les calculs nécessaires. Moi, comme dit l'Apôtre Paul, " je me tourne vers qui se trouve devant moi ".

J'AI LES DOIGTS PLEINS D'ENCRE,
MAIS LES MAINS VIDES !

Frère Eugen ZOLLER
Père Blanc originaire de Au, Saint-Gall. Il travaille à BUKAVU au CONGO

J'avais tout juste 16 ans quand j'ai mis, pour la première fois, mes doigts dans de l'encre d'imprimerie ! C'était au service d'un journal publié dans la vallée du Rhin. En toute franchise, je serais peut-être encore là-bas, si je n'avais pas été frappé, de plein fouet, par l'importance de la presse écrite pour la diffusion des idées, du progrès et surtout de la Parole de Dieu. Enthousiasmé par cette idée, c'est par elle que j'ai découvert ma vocation religieuse. J'ai voulu être, dès le début, un porteur efficace de cette Parole dans le monde.
C'est ainsi que je suis entré chez les Pères Blancs, ces Missionnaires entièrement tournés vers l'Afrique, qui avaient grand besoin de porter leur vaste apostolat par des moyens modernes.
Avec eux, j'ai appris ce que Dieu attendait de moi, et, dès 1955, je lui ai dit " oui ", un oui définitif que je ne regrette certainement pas aujourd'hui.


Le Frère Eugen Zoller examine les épreuves qui sortent des
rotatives, en collaboration étroite avec le chef du personnel.
La précision du travail accompli reste la règle du succès


J'ai tout de suite compris " qu'imprimeur j'étais, qu'imprimeur je resterai "au service du Seigneur. Et riche de cette certitude, je suis parti en Afrique. C'était en 1960 !
Mon itinéraire ? Alger, pour 16 ans. Au Burundi, pour 10 ans. Au Burkina Faso, pour 5 ans. A l'Est du Congo, pour 11 ans ! Si vous avez compté avec moi, cela fait 42 ans. Une jolie petit carrière, qui n'a, du reste, pas encore atteint son terme ! Cela fait aussi un impressionnant tas de brochures, de livres, de journaux, tous tournés vers la diffusion de l'Évangile. Un bel apostolat, ma foi ! Et puis, il y a les autres publications : Les livres d'école, par exemple ! Les dossiers techniques du développement ! Ça aussi, ça compte pour des pays qui sont à la recherche du progrès.
Vous pensez peut-être que 42 ans dans le même travail, cela a dû être monotone ! Erreur ! Il faut se souvenir que, durant toute cette période, les techniques se sont énormément améliorées, et que pour rester dans le coup, il a fallu passer de la composition manuelle à l'électronique la plus avancée ! Et puis, je dois bien le dire, avec mon expérience grandissante d'année en année, je ne suis pas resté planté devant une machine. Mes responsabilités ont augmenté dans l'édition, le marketing, le social, la formation de la main d'œuvre africaine, et finalement dans la direction des affaires…Là, le mot " affaires " me fait sourire. On imprimait, on éditait, on publiait, mais les rentrées en liquide étaient quasiment nulles. Voilà pourquoi j'ai parlé de mains vides ! On faisait de la corde lisse pour la bonne cause. On tenait le coup par bienfaiteurs interposés. Et cela a duré et dure encore ! Au fond, c'est cela notre apostolat !
La seule chose qui ait pu nous enrichir, c'est la certitude que, par nous, la Parole de Dieu a été mieux reçue dans le monde africain.