Voix d'Afrique N° 56

Pemba , la troisième étape d'Etienne Renaud


Pemba : construction d'un bateau.

Dans le numéro 54, nous avions découvert le cheminement missionnaire
du Père Etienne ;
Dans mon précédent article, nous nous étions arrêtés à Zanzibar ; mais notre destination définitive était l'île de Pemba, à une cinquantaine de kilomètres plus au nord. Quoique faisant partie de la même entité politique, Zanzibar et Pemba sont assez différentes.

Pemba est beaucoup plus rurale et dans les rues de Wete, notre petite bourgade, les transports de marchandise se font surtout dans des charrettes à bœufs, portant curieusement le nom de " taxis ". Si Zanzibar est plate, Pemba est toute entière en collines verdoyantes. Si dans la première, comme on l'a vu, l'Islam connaissait une grande diversité, il n'en est pas de même à Pemba où les musulmans qui la composent appartiennent tous à la branche sunnite. La pratique religieuse y atteint des proportions record : on a parfois l'impression de se trouver dans un vaste couvent. La vie est réglée par les appels à la prière, aux décibels prodigués généreusement par des dizaines de mosquées. Le soir surtout, l'assistance à la prière est impressionnante. Le ramadan est pratiqué à 100%. Les femmes portent toutes le voile, noir pour les citadines, blanc pour les écolières depuis leur plus jeune âge, bariolé aux couleurs vives pour les autres. Pour aller à l'école coranique, complément obligé de l'école d'Etat, beaucoup de garçons portent le kanzu, la robe blanche du Prophète, avec une inévitable petite toque pour couvre-chef.

Dans ce contexte très peu ouvert au pluralisme, les chrétiens sont extrêmement minoritaires, quelques centaines peut-être, disséminés dans l'île, sur une population de 300.000 habitants. Il s'agit essentiellement de gens originaires du continent : fonctionnaires, policiers ou soldats, venus parfois pour une mission de quelques années. Plusieurs familles de type patriarcal sont là depuis plus longtemps. Notre première tâche en tant que Pères Blancs est évidemment d'aider ces chrétiens à tenir sur leurs pieds et à être fiers de leur foi, perdus qu'ils sont dans la mer de l'Islam. Nous ne sommes pas les premiers : déjà à la fin du XIXème siècle , Pemba avait connu une présence chrétienne, constituée par des esclaves rachetés par les missionnaires du Saint-Esprit. Depuis lors, bon an mal an, l'île a toujours gardé un noyau chrétien, fragile petit troupeau qui a besoin de pasteurs.

Mais bien sûr, notre mission ne se limite pas à l'animation de la communauté chrétienne. Depuis notre arrivée, il y a un an, nous cherchons à établir des liens avec l'ensemble de la population. Nous sommes toujours dans une phase d'apprivoisement, en donnant à ce mot le sens qu'il a dans Le Petit Prince. A coup sûr, notre présence rencontre la sympathie d'une partie de la population, désireuse d'ouverture. Les jeunes en particulier sont demandeurs. Mais il y a aussi des réactions négatives, exprimées au micro des homélies du vendredi, ou même une fois par une fausse alerte à la bombe, lancée au téléphone pendant la messe dominicale.


Pemba: séchage des clous de girofle

Pour nous, tous les moyens sont bons pour montrer que nous voulons être au service de tous, le " bonne odeur du Christ " selon l'expression de St.Paul. Nous donnons des cours d'anglais à divers niveaux. Il m'est arrivé de donner des cours d'arabe, ma connaissance de la langue du Prophète étant tout à la fois une source de prestige et de suspicion. Dernièrement, nous avons construit près de l'église un terrain de basket et de volley pour créer un carrefour d'amitié pour la jeunesse. Face au SIDA qui sévit en Tanzanie, nous avons organisé, avec l'aide d'un mouvement intitulé Youth alive, (introduit en Tanzanie par le Père Georges Loir, un père blanc), une session sur le changement de comportement face à la promiscuité sexuelle, et nous espérons un jour attirer aussi les musulmans à ce genre de sessions.

Une communauté de sœurs tanzaniennes participe à notre apostolat ; elles tiennent un jardin d'enfants et animent des groupes de femmes désireuses de développement. Comme partout dans le monde musulman, les sœurs ont un accès plus aisé au cœur de la cellule familiale. Pour nous, il est plus difficile d'avoir accès à la maison. Il faut dire que le contexte de grande pauvreté des gens ne permet pas facilement de pratiquer l'hospitalité.

Fidèle à mon désir d'établir des liens d'amitié, j'ai pu construire quelques relations durables. C'est tout d'abord la langue qui a été une bonne occasion : je cherchais quelqu'un avec qui faire la conversation pour exercer mon kiswahili hésitant. J'ai eu l'idée de contacter l'association des aveugles, pensant qu'un aveugle serait peut-être heureux d'avoir ainsi un petit job. En fait, quand je me suis adressé à la secrétaire, elle-même mal voyante, elle s'est tout de suite proposée elle-même. C'est ainsi que deux fois par semaine je me rends au bureau de l'association pour une heure de conversation. Cette Fatima m'a appris beaucoup de choses sur les habitudes de Pemba, la vie familiale, l'éducation, les fêtes religieuses … Elle m'a peu à peu fait connaître sa famille.

Je me suis également lié d'amitié avec le libraire. Un bien grand mot si l'on voit la librairie dont il s'agit : une petite baraque en tôle à l'entrée du marché, où quelques livres se courent après. Mon ami Kombo y exerce aussi le métier de tailleur. Il a pris l'habitude de venir chaque vendredi après midi à la mission, pour discuter. Il aime bien le faire en arabe, qu'il pratique aisément. J'ai découvert en lui un jeune shaykh assez instruit et surtout désireux de connaissances, me posant beaucoup de questions. Il enseigne un peu l'arabe, mais aussi le Coran, tant à des groupes de jeunes qu'à un cercle de mères de famille. Comme je devais organiser pour le diocèse une session sur l'islam, j'ai beaucoup profité des renseignements qu'il m'a donnés sur l'organisation de la communauté musulmane locale. Et, qui mieux est, sur la façon dont , personnellement, il vivait son islam. J'avais même songé à l'inviter à venir lui-même parler à cette session, mais comme elle avait lieu à Zanzibar, j'ai finalement trouvé d'autres intervenants sur place, qui ont su donner un beau témoignage.

Et dans un tout autre genre, j'ai découvert, au hasard d'une promenade, un hospice de vieillards. Il y avait là une jeune femme paralysée dans une chaise roulante. Cette Aïcha a eu beaucoup de malheurs dans sa vie : elle a perdu tous ses enfants très jeunes, son mari et sa famille l'ont lâchée. Elle vit maintenant dans une assez grande solitude au milieu de quelques vieillards dont personne ne s'occupe. Mais malgré tout, grâce à sa foi et son optimisme, elle a su garder confiance dans la vie. Au fil des rencontres, nous sommes devenus très amis et elle m'accueille chaque semaine avec un large sourire. Les Pères Blancs ont participé à un projet pour lui offrir une télé.

Voici quelques contacts qui, au fil des échanges, sont devenus de vraies amitiés. Bien sûr, il y a aussi les étudiants - j'ai moi-même un groupe d'adultes - les rencontres de voisinage, de marché, qui s'approfondissent au fil des jours, tout ce monde nouveau pour moi et que j'apprends à connaître et à aimer.

Mais en fait, mon expérience tanzanienne touche déjà à sa fin. En quittant Rome, je savais déjà qu'elle serait de courte durée. J'ai reçu ma feuille de route pour le Soudan, où il y a un appel pressant ; je dois avouer que, malgré mes efforts en langue swahili, je serai plus à mon aise dans un milieu arabophone. Je reprendrai donc mon bâton de pèlerin, heureux d'avoir pu donner une petite contribution à une fondations des Pères Blancs dans ce coin de la vigne du Seigneur.

Etienne Renaud, M.Afr.



Drapeau de Zanzibar
L'Archipel de Zanzibar, dans l'océan Indien, proche de la Tanzanie est formé de 2 îles principales: Zanzibar et Pemba. la présence des Arabes date du VIII siècle. 2400 km2; 600.000 hab, de majorité musulmane. Après son indépendance en 1964, elle forme avec le territoire du Tanganyika la Fédération de Tanzanie