
Axe de la pensée
- La marque de Lavigerie sur l'Oeuvre des Ecoles d'Orient
- La marque de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient sur Lavigerie
I. Marque de Lavigerie sur l'Oeuvre
des Ecoles d'Orient
1. Origine de l'Oeuvre
Circonstances de sa création
But de l'Oeuvre
Personnalités du début
" La création de l'uvre d'Orient
s'inscrit dans un contexte historique connu
C'est à la
suite de la guerre de Crimée que l'uvre vit le jour.
La ville de Sébastopol était tombée, la guerre
de Crimée s'achevait. Le traité de Paris fut signé
le 30 mars 1856. Dans ce traité, il avait été
obtenu de l'Empire Ottoman la proclamation de la liberté religieuse
dans ses territoires (le Hatti Hamayoun). D'autre part, la question
de l'Orient et des lieux saints retenaient l'attention des pays occidentaux
,
du côté français, un fort courant de sympathie
et d'intérêt se développait parmi les chrétiens
et surtout parmi les catholiques, envers les populations du Proche-Orient.
Le rôle traditionnel de la France n'était
pas nouveau
Par le traité de 1536, dit des Capitulations,
la France obtint le droit pour ses consuls dans l'empire Ottoman,
d'assurer la protection des catholiques de toutes nationalités
vivant dans cet empire. Cet accord fut renouvelé en 1740, sous
Louis XV.
C'est à la suite du traité de
Paris et dans cet élan de sympathie française qu'un
groupe d'intellectuels décida de fonder l'uvre des Ecoles
d'Orient, avec le souci :
- de témoigner leur foi en Jésus
Christ.
- de travailler à refaire l'unité des chrétiens.
- de les aider matériellement.
L'initiateur de l'uvre fut le baron Augustin
Cauchy (mathématicien, membre de l'Institut), ainsi que de
M. Falloux, et de M. de Montalembert. Ils furent rejoint également
par M. Charles Lenormant (helléniste, ancien professeur au
collège Stanislas), et le père de Ravignan.
La première réunion eut lieu
le 4 avril 1856 chez M. Mandaroux-Vertamy. Ce premier groupe de laïcs
fut rejoint par d'autres personnalités tel que des membres
des académies, des militaires et des ecclésiastiques.
L'uvre sera reconnue par le bienheureux Pie IX, pape, le 29
janvier 1858. " (page
web : uvre d'Orient. Historique)
Le P. F. Renault dans son livre " Le cardinal Lavigerie "
édité par Fayard en 1992, précise le but de l'Oeuvre
en soulignant le soutient qu'elle voulait apporter aux écoles
chrétiennes que plusieurs congrégations religieuses avaient
ouvertes dans différents endroits de l'empire Ottoman. Cette
action centrée sur l'instruction devenait une urgence du fait
de la situation nouvellement crée par la loi qui donnait, en
principe, l'égalité des droits civils aux fidèles
des religions autres que l'Islam. Les chrétiens se devaient d'être
prêts à assumer des postes de responsabilité.
" Leur fragmentation (des chrétiens),
le manque de formation approfondie du clergé, une instruction
trop rudimentaire des jeunes : ces graves éléments de
faiblesse réservaient des lendemains désastreux dans
l'éventualité d'un brassage qui les confronteraient,
désarmés, avec tout autres courants religieux et intellectuels.
C'est pour leur fournir les instruments d'un renouveau que des congrégations
religieuses fondèrent des écoles et un séminaire,
et que l'uvre des Ecoles d'Orient se constitua pour leur fournir
l'aide financière indispensable
(Le Cardinal Lavigerie.
F. Renault, p 50).
2. Le choix de Lavigerie à la Direction de l'Oeuvre
Motifs du choix
Circonstances concrètes
Premiers pas (résultats et politique financière)
Le père F. Renault écrit :
" L'uvre des Ecole d'Orient se fixait
un programme précis : susciter l'intérêt de l'opinion
et recueillir des fonds. Or le bilan du premier exercice d'activité
en 1855-1856 se révéla fort maigre, puisque les sommes
recueillies ne dépassaient pas les seize mille francs. Le rang
social des membres leur assurait une certaine influence, mais ne les
disposait guère à se remuer beaucoup pour toucher des
milieux divers dans différentes régions du pays. Ils
s'enquirent donc d'un directeur capable de remplir cette tâche,
c'est à dire un homme entreprenant, doté d'une formation
intellectuelle solide et convaincu de la nécessité,
pour le développement d'un peuple, de diffuser l'instruction.
La qualité de prête semblait en outre indispensable pour
pouvoir prêcher dans les églises et toucher aisément
un public nombreux. Lavigerie, professeur en Sorbonne, encore jeune
et de tempérament actif, correspondait à ce 'profil'.
Le P. Gagarine en parla à son confesseur, le P. de Ravignan,
qui lui conseilla d'accepter la proposition et, à la fin de
l'année 1856, il se trouva investi dans cette charge. "
(F. Renault, o.c. p 51-52).
Le P. J. Mazé, dans son livre " Le Cardinal Lavigerie et
son Action apostolique ", s'exprime de façon plus vivante
:
" Cette grande uvre (des Ecoles
d'Orient), fondée, en 1855, par le baron Cauchy, végétait
péniblement. Convaincus, après une première année
d'expérience, qu'il n'est pas suffisant d'être illustres
par la naissance, la science, ni même par le dévouement,
lorsqu'il s'agit de faire appel à la générosité
des fidèles, les membres du Conseil, vers la fin de 1856, députèrent
le Père de Ravignan, auprès de l'abbé Lavigerie,
pour le persuader d'accepter la direction de leur uvre. Le Père
de Ravignan était son confesseur. 'Si vous croyez que ce soit
la volonté de Dieu, je suis prêt', lui déclara
le jeune prêtre. ' Je le crois' dit le Père. Désormais
l'uvre était assurée de prendre son essor. Son
premier directeur se chargeait de la faire adopter par les catholiques
de France " (J. Mazé, o.c. p 7-8).
L'appartement qu'il occupait rue du Regard devint le siège
de l'uvre.

" Le nouveau directeur entama aussitôt
une tournée dans de nombreux diocèses pour expliquer
les buts de l'uvre, recueillir des ressources et mettre en place
des comités chargés de poursuivre, sur le plan local,
l'action entreprise. L'accueil des évêques et du clergé
fut variable. Les uns apportaient leur coopération et facilitaient
le séjour du visiteur. D'autres le regardaient comme un concourrant
dans l'appel à une générosité qu'ils sollicitaient
eux-mêmes pour leurs propres institutions. Lavigerie racontera
avec humour les 'douches glacées' parfois reçues en
se présentant, et certaines astuces auxquelles il recourut
pour surmonter ces embûches. 'Oh ! quels souvenir ! écrivait-il
plus tard. Et combien, depuis ce temps, je prends pitié des
quêteurs !' Il n'était pas homme à se décourager
pour autant. Le lancement d'un bulletin et deux brefs successifs du
pape, en 1857 et 1858, encourageant les membres de l'Oeuvre, lui donnèrent
une certaine audience, et il suscita même la création
de comités dans quelques diocèses de pays étrangers,
Belgique, Irlande et Italie. Après quelques années,
il pouvait faire état, pour l'exercice 1859-1860, d'une rentrée
de plus de soixante mille francs : l'uvre des Ecoles d'Orient
prenait véritablement consistance. " (F. Renault,
o.c. p 52)
Et J Mercui précise davantage:
" Nous ne dirons pas non plus ce qu'il
fit pour développer l'uvre et augmenter ses moyens d'action.
Il faudrait le suivre à travers la France et même en
dehors, parler de sermons et des quêtes, de Conseils locaux
et de Comités de zélatrices, de publications, etc. Mentionnons
cependant qu'il sut obtenir un Bref élogieux du Pape et la
reconnaissance légale de l'uvre par le Gouvernement.
Du reste il suffira de constater que les recettes montèrent
à 46 000 francs dès 1858, à 60 000 en 1859 et
ce fut bien autre chose après les massacres qui ensanglantèrent
le Liban en mai 1860. " (J. Mercui, 'Les Origines de la
Société des Missionnaires d'Afrique', Maison-Carrée
1929, p 8)
" Il devenait alors nécessaire
de définir une politique, et le directeur l'exposa devant l'assemblée
générale. Les établissement bénéficiaires
des allocations, expliqua-t-il, n'assureront jamais leur existence
s'ils continuent à dépendre des sommes reçues
chaque année de l'Europe. Cette situation de dépendance,
normale au début, n'est pas saine à long terme, et elle
entretient une précarité qui peut se révéler
désastreuse en cas d'événement graves qui tariraient
la source des dons ou rendraient leur acheminement impossible : écoles
et séminaires d'Orient devraient alors fermer leurs portes.
Plutôt que d'opérer un saupoudrage de subventions en
leur assurant les seuls besoins du moment, il est préférable
d'en concentrer une partie pour les doter progressivement de fonds
de réserve qui leur permettent d'acquérir l'indépendance
financière. Assurer, dans l'avenir, la solidité d'une
uvre entreprise : telle était la préoccupation
de Lavigerie et elle restera toujours chez lui un impératif
" (F. Renault, o.c. p 52-53)
Le père Mazé, pour sa part, décrivant les premiers
pas de Lavigerie à la tête de l'Oeuvre, souligne le caractère
décidé de celui-ci, son engagement sans réserve
à sa nouvelle tâche ainsi que le secret de sa réussite
:
" 'Je suis basque, et, à ce titre,
entêté lorsqu'il le faut'. Son active propagande, en
effet, fit quadrupler, en trois ans, les recettes de l'uvre,
car 'elle était rentrée dans le courant de la vie catholique,
et il ne lui manquait plus d'autre recommandation que celle des services
rendus'. " (J. Mazé, o.c. p, 8)
3. Le massacre des chrétiens par les Druzes
Les causes (lointaines et immédiates)
Les faits
L'action de Lavigerie en France
" L'année 1860 fut décisive
pour l'Oeuvre d'Orient. Au Liban, il y eut le massacres de chrétiens
par les Druzes aidés par les Turcs. L'uvre connut alors
un important développement en remuant l'opinion publique pour
porter secours aux chrétiens. C'est à partir de ce moment
que l'organisation prit le nom définitif d'uvre d'Orient.
" (page
web).
Une histoire indécise et agitée par rapport à
la conception même du pays de la part des autorités de
l'Empire, une situation politique complexe et difficile à gérer
du fait de l'origine et des credo religieux différents des populations,
le ressentiment contre une loi d'égalité des droits civiques
donnée par les autorités de l'empire un peu à la
force et jamais acceptée par la population musulmane, un sentiment
de vengeance contre des actions violentes accomplies quelque peu auparavant
par les Maronites et une situation économique malheureuse qui
maintenait le paysannat maronite dans un état de pauvreté
difficile à supporter et qui déboucha dans une révolution
agraire s'allièrent pour déclencher une énorme
tragédie humaine dont les victimes furent les chrétiens.
" L'explosion se produisit le 26 mai 1860.
En quelques jours, six mille chrétiens furent massacrés
dans la Kaimacanat druze (le pays avait été divisé
en deux districts -kaimacanat- : un au nord, administré par
les Maronites, un autre au sud, administré par les Druzes),
puis le carnage se poursuivit avec des incursions en secteur maronite
et se propagea jusqu'à la ville de Damas : le nombre total
de victimes fut évalué à vingt-deux mille, et
la sécheresse du chiffre ne put encore rendre compte des scènes
de cruauté, des villages brûlés, de l'exode de
survivants fuyant en foule vers la côte. Un tel massacre fut
rendu possible par la complicité des autorités turques.
Des chrétiens venant se réfugier auprès d'elles
furent désarmés sous promesse de protection, puis livrés
à leurs ennemis ou aux irréguliers bachi-bouzouks "
(F. Renault, o.c. p 55).

" Les premières informations précises
parvinrent en France au mois de juillet et causèrent une émotion
considérable. Des liens traditionnels existaient de longue
date avec les Maronites, et ceux-ci avaient l'habitude d'envoyer des
étudiants dans les collèges et séminaires de
Rome et de Paris. L'Oeuvre des Ecoles d'Orient se trouvait concernée
au premier chef pour la collecte et l'expédition de secours
à envoyer aux victimes. Pour les obtenir, Lavigerie déploya
une grande activité en adressant des circulaires au clergé
et aux journaux catholiques, et en se rendant de ville en ville pour
exposer la situation. " (F.Renault, o.c. p 56)
A cette tâche Lavigerie employa tout son savoir faire et les
recours de son éloquence et de sa plume pour toucher le cur
des chrétiens et de ses responsables.
" 'Il faut qu'on donne, qu'on se hâte,
car demain ce serait le désespoir, l'anéantissement'
et il alla à travers tout le pays, 'enrôlant les évêques,
le clergé, les familles, les journaux, les écoles. Il
s'adressa de même aux évêques d'Irlande, d'Angleterre,
d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne.' Il bourrait le Bulletin de l'uvre
de récits atroces, de statistiques douloureuses qui lui venaient
des missionnaires. En un mois, la souscription avait atteint le premier
million, dont 300 000 francs de l'étranger, que les missions
d'Orient recevaient et employaient à soulager les misères
de toutes sortes, les veuves et les orphelins, les familles sans abri,
les paysans ruinés. " (J. Mazé, o.c. p 10)

Abd
el-Kader
Voici comment Lavigerie écrit de s'être exprimé
à l'époque :
"Votre cur, disais-je à mes
Confrères (les membres du Clergé de France) aura été
douloureusement ému des cris de détresse qui nous arrivent
de l'Orient. Des milliers de Chrétiens, nos frères,
impitoyablement massacrés par des hordes fanatiques; des femmes
odieusement outragées; des prêtres, des religieux, des
religieuses, mis à mort dans les supplices et abandonnés
sans sépulture; partout le pillage, l'incendie, la violence,
tel est le résumé des tristes nouvelles que chaque jour
nous apporte de la Syrie. Depuis près de deux mois, des troupes
fugitives de Maronites errent dans les montagnes, chassés de
leurs demeures et partagés entre les tortures de la faim et
la crainte du sabre qu'un chef de ces barbares a juré de ne
remettre au fourreau que lorsqu'il aurait tranché la tête
du dernier homme qui fait le signe de la croix! Des multitudes de
blessés, des femmes, des enfants, échappés au
meurtre et aux flammes, se réfugient dans les villes que cette
troupe sanguinaire a respectées, et assiègent, pour
éviter le déshonneur ou la mort, les maisons de nos
Pères et de nos Surs" ("Mémoire
sur la Mission remplie, en 1860..." Oeuvres Choisies. Paris 1884,
p.142).
Abd el-Kader arrive au secours des chrétiens à Damas,
en 1860
image
dEpinal - 1870
Et ce qu'il rapportait, comme nouvelles arrivant de la Syrie, il dit
les avoir vu lui-même lors de son voyage en Syrie-Liban, et d'en
avoir été profondément bouleversé :
"Figurez-vous une ville toute remplie
de malheureux habitants de la campagne, sans pain, sans vêtements...
Ces pauvres gens s'entassant pèle-mêle, au nombre de
dix, quinze, vingt et jusqu'à trente, dans une misérable
chambre, ou bien réduits à coucher en plein air, dans
les rues et dans les jardins de mûriers; des visages portant
l'empreinte des ravages de la faim et de la maladie, ceux des petits
enfants surtout. J'en ai vu aux bras de leurs mères, ressemblant
plutôt à des squelettes qu'à des êtres vivants.
De pauvres mères sont mortes aussi auprès de leurs nourrissons;
et on en a trouvé une, au cadavre de laquelle l'enfant était
encore attaché, suçant la mort là où jusqu'alors
il avait puisé la vie" (Lettre écrite de
Beyrouth et citée par lui même. Ibidem, p.165).
Le fruit de tant de zèle ne se fit pas attendre :
" Trente évêques publièrent
des mandements spécialement consacrés à ce sujet,
et la grande majorité d'entre eux fournit une coopération
effective, puisque les souscriptions faites dans leurs diocèses
rapportèrent un total de 1 800 000 francs de l'époque.
A cette somme s'ajoutèrent 800 000 francs de dons en nature,
et 300 000 fournis par les diocèses de pays étrangers
dans lesquels se trouvaient des comités de l'uvre des
Ecoles d'Orient. Quelques semaines après le premier appel,
deux cent mille francs avaient été rassemblés
et furent aussitôt envoyés aux destinataires, mais l'afflux
des dons parvenus ensuite fut tel qu'il imposait l'organisation sur
place de leur distribution. Aussi Lavigerie décida-t-il de
se rendre au Liban. Il dut interrompre ses activités pendant
quelques jours pour se rendre au chevet de son père mourant,
qui expira à Saumur le 15 septembre. Puis, le 30, il s'embarquait
à Marseille. " (F.Renault, o.c. p 56-57)

Abd
el-Kader
4. Voyage en Syrie-Liban
Visites
Actions (distributions, coordination, principes de gestion)
Oeuvres (orphelinats)

(Parti
de Marseille le 30 septembre 1860, arrivera à Jérusalem
le 21-25 Novembre, passera par Beyrouth pour se rendre à Damas
où il saluera Abd-el-Kader qui avait protéger des chrétiens,
et se réembarque le 21 décembre pour Rome, rencontrer
Pie IX, puis rentre en janvier en France.)
" Lavigerie débarqua à Beyrouth
le 11 octobre en compagnie d'un adjoint, le docteur Jaulery, amis
d'enfance Il était porteur de sommes considérables destinées
à la fourniture de vêtements et de vivres pour les réfugiés,
de matériel pour la reconstruction des maisons ruinées,
et de semences pour la reprise des cultures sur les terres dévastées.
" (F. Renault, o.c. p 59)
Arrivé sur place, Lavigerie ne se contenta pas d'écouter
des témoignages et de lire des rapports. Il voulu voir de ses
propres yeux et être en contacte directe avec les victimes du
désastre :
" Homme de contact, il était venu
pour rencontrer des gens de toute conditions sociale, voir la réalité
de ses yeux. La première vision lui fut offerte avant même
d'aborder la terre du Liban, lors d'une escale à Alexandrie
où il visita les nombreux chrétiens ayant trouvé
refuge chez les Surs de Saint-Vincent-de-Paul. A Beyrouth, la
nouvelle de son arrivée se répandit comme une traînée
de poudre. On connaissait le but de sa mission, et il se vit aussitôt
assailli par d'innombrables réfugiés, démunis
de tout, au point de pouvoir à peine circuler dans la rue.
Il resta dans la ville une quinzaine de jours pour régler les
principales affaires, puis entama une tournée à l'intérieur
du pays, dans des villages victimes de dévastation. Ses lettres
de l'époque et le rapport adressé l'année suivante
aux membres de l'uvre des Ecoles d'Orient décrivent logement
les spectacles sinistres de ruines et de traînées de
sang encore visibles, et les scènes d'horreur, de meurtres
et de pillage, racontées par les survivants. " (F.
Renault, o.c. p 60)

Lavigerie en Syrie
" Il procéda à la mise en
place des sous-comités chargés de répartir les
secours : le typhus s'était déjà déclaré
en plusieurs endroits, et des mesures d'urgence devaient être
prises pour enrayer l'épidémie. Il circulait à
cheval dans ces régions montagneuses, et une chute brutale
sur un rocher, qui lui causa de vives douleurs, le contraignit à
regagner Beyrouth. " (Ibidem)
" Le Gouvernement français avait
également lancé une souscription qui rapporta un million
de francs. Une coordination s'imposait entre les donateurs. Comme
le consul à Beyrouth avait créé une commission
chargée de répartir les fonds gouvernementaux, il proposa
à Lavigerie d'en faire partie. Celui-ci hésita dans
la crainte d'une confusion entre une uvre privée qui
se voulait purement humanitaire, sans but politique, et une action
officielle des représentants de l'Etat.

A Beyrouth
Il accepta néanmoins pour une meilleure
efficacité et, outre la commission centrale, six sous-comités
furent établis dans les zones davantage affectées par
les besoins à pourvoir. Ils étaient mixtes, composés
d'agents consulaires et de religieux ou évêques orientaux,
et recevaient les fonds de provenance soit publique, soit privée,
pour apporter des secours d'urgence. Lavigerie réserva une
partie de ceux dont il disposait, pour assurer des fondations durables
et en premier lieu des orphelins. " (F. Renault, o.c.
p 59-60).
Avant de quitter Beyrouth, " il s'occupa
tout spécialement de la fondation de deux orphelinats, l'un pour
les garçons et l'autre pour les filles, capables de recevoir
six cents enfants, tandis que d'autres étaient placés
dans des collèges ou des familles " (F. Renault,
o.c. p 62).
Selon le bulletin de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient de juillet 1861,
le nombre d'orphelins dépassait déjà les 1 500
et pour leur venir en aide il fallait 300 mille francs par année.
En effet, pour des motifs que nous citons plus loin, Lavigerie ne voulait
pas que les orphelins quittent leur pays.

Djelabah blanche qu'avait revêtue Lavigerie. Propriété
de Mme Veuve Jaulerey.
Elle avait été donnée au Docteur Jaulerey pour
le remercier de l'assistance qu'il avait portée à Lavigerie
lors de l'accident survenu au Liban. Quand l'abbé Lavigerie était
tombé de cheval, il portait cette djelabah
5. Jugement sur son action
Politisation de l'aide par Le Manifeste
Réaction de Rome (le Pape, les Eglises locales et la Congrégation
de la Propagande)
Une action de grande ampleur, animée de nobles sentiments et
organisée avec précision à partir de principes
clairs et prudents fut souillée par une présentation tendancieuse
de la part du journal Le Moniteur. Dans la distribution des subsides
en faveur des victimes, le journal ne mentionnait pas les fonds apportés
par l'Oeuvre des Ecoles d'Orient, laissant entendre que l'ensemble des
subsides venait du Gouvernement. De ce fait, Lavigerie fut accusé
auprès du pape de compromission et de manque de clarté
dans la gestion des biens confiés par les chrétiens.

Chèche que le directeur de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient portait
quand il se présenta devant le patriarche de Jérusalem.
Rentré à Rome, Lavigerie voulut justifier sa gestion
auprès de Pie IX. Celui-ci, mal informé, après
lui avoir imposé une attente de plusieurs heures, le reçu
bien froidement et seulement pour l'espace de deux minutes. Il lui refusa
d'ailleurs les faveurs spirituelles qu'il demandait.

" Cette réception pire que prévue
l'affecta profondément alors qu'il venait d'accomplir une mission
bénéfique dans des circonstances difficiles. Il rentra
en France mais, à Rome, une évolution se produisit en
sa faveur. Le cardinal Barnabò, préfet de la congrégation
'De Propaganda Fide', dont dépendaient les diocèses
orientaux, recevait des informations plus précises et plus
fiables de la part de témoins directs qui exprimaient, sur
l'attitude de Lavigerie, une opinion toute différente de celle
formulée à Paris par le nonce Sacconi. Il en parla au
pape qui modifia son jugement et accorda, en février 1861,
les faveurs spirituelles refusées le mois précédant.
" (F. Renault, o.c. p 63).
6. Désengagement progressif de Lavigerie
Grâce à l'intervention du cardinal Préfet de la
Propagande et du Général des Jésuites, la proposition
de Lavigerie comme auditeur de la Rote fut acceptée par la pape.
Lavigerie devra partir pour Rome mais il n'abandonnera pas pour autant
la direction de l'Oeuvre quoiqu'il charge l'abbé Soubiranne de
son administration. Le bulletin de l'Oeuvre de novembre 1861 s'ouvre
avec une lettre du 25 octobre 1861où il écrit :
" J'avais espéré pouvoir
désormais consacrer sans partage, à notre uvre,
à nos pauvres orphelins de Syrie, mon temps et mes forces.
Je me préparait à continuer, dans la France entière,
la prédication de cette croisade de charité, dont j'avais
déjà fait entendre l'appel dans plusieurs de nos diocèses
La Providence en a disposé autrement
L'éloignement
ne me fait pas néanmoins abandonner notre uvre. J'en
conserve toujours la direction générale, et je lui consacrerai,
de loin, comme de près, lorsque je viendrai en France, tous
mes loisirs. Seulement, comme il me sera impossible de m'occuper des
détails de la correspondance et de la propagande, j'ai demandé
su conseil d'administration, qui a bien voulu accueillir ma proposition,
de m'associer dans la direction générale M. l'abbé
Soubiranne " (uvre des Ecoles d'Orient, novembre
1861)
A partir de cette date, l'abbé Soubiranne signera comme Directeur
de l'Oeuvre et c'est à lui qui sera envoyée toute la correspondance
adressée au Directeur, comme Lavigerie lui-même d'ailleurs
précisait dans sa lettre :
" C'est donc désormais l'adresse
suivante que devront porter les lettres destinées à
l'uvre : Monsieur l'abbé Soubiranne, Directeur de l'uvre
des Ecoles d'Orient "
A Rome, cependant Lavigerie n'abandonna pas son activité en
faveur de l'Oeuvre. Il créa même un second conseil et continua
à prêcher sa cause. Dans la rubrique " Chronique du
bulletin de février 1862, on lit :
" Avant d'aller à Rome remplir
les hautes fonctions auxquelles il a été appelé,
Mgr Lavigerie s'était promis de consacrer encore à l'Oeuvre
des Ecoles d'Orient son temps et ses travaux. Cette promesse ne devait
pas tarder de se réaliser. Nous sommes heureux d'annoncer à
nos collaborateurs que Mgr Lavigerie vient d'établir à
Rome l'uvre des Ecoles d'Orient sous l'autorisation bienveillante
et avec la bénédiction particulière du Souverain
Pontife. - Nos lecteurs reconnaîtront ici le zèle de
Mgr Lavigerie, qui a tant fait pour l'uvre des Ecoles d'Orient,
et qui poursuit sa mission avec une infatigable persévérance
"
En plus, toujours marqué par les contacts qu'il avait eu avec
les Eglises d'Orient, il interviendra en faveur de la création
d'une section spéciale pour les affaires orientales au sein de
la Propagation de la foi dont lui même fut nommé consulteur.
Ce n'est que la charge d'un siège épiscopal, d'abord
Nancy, puis Alger qui l'obligera à laisser sa charge mais non
pas à couper les liens solides avec l'uvre qu'il gardera
toujours.
*
* * *
II. Marque de l'Oeuvre des Ecoles
d'Orient sur Lavigerie
Si par le dynamisme de sa jeunesse, par la générosité
de son cur et par le génie de son esprit, Lavigerie marqua
l'Oeuvre des Ecoles d'Orient, celle-ci à son tours le marqua
aussi, et bien profondément. Ces marques sont nombreuses : les
quelques années passées à la direction de l'Oeuvre
ont fait connaître Lavigerie et ses qualités à l'opinion
publique tant dans les milieux d'Eglise et dans celui de l'Etat ; elles
ont été l'occasion pour lui-même de découvrir
et d'exercer plusieurs de ses qualités innées ; elles
lui ont permit de rentrer en contact avec les Eglises d'Orient et d'en
apprécier leurs richesses et leurs problèmes et finalement,
et non certainement pas la moindre influence, d'entrevoir sa future
vocation missionnaire et de discerner plusieurs de ses principes fondamentaux.
Son activité dans l'Oeuvre, surtout son voyage au Liban, fit
sortir Lavigerie de l'univers des livres dans lequel il ne se sentait
pas trop à son aise et le mit en contact avec la vie réelle
le plongeant en plein dans la souffrance humaine et donnant des nouvelles
dimensions à son cur d'apôtre. La rencontre avec
l'Islam dans quelques-uns de ses aspects positifs (sa rencontre avec
Abd El Kader) mais surtout dans ses aspects négatifs, vues
les circonstances, laisseront chez lui une trace profonde qui se réveillera
avec force le moment venu. Ses relations avec les Eglises d'Orient lui
feront découvrir la richesse de celles-ci et l'aideront à
le convaincre, si besoin en était, de la valeur des principes
apostoliques de respect des cultures et d'ouverture d'esprit. La gestion
d'une grave situation d'émergence le fera, en plus, expérimenter
la force des relations directes, l'importance de la presse et le besoin
d'une organisation précise mais aussi la nécessité
de découvrir et de s'attaquer aux vraies racines des problèmes
si on veut leur trouver des solutions solides et durables.
Lavigerie sera appelé à des plus larges horizons mais
c'est à l'Oeuvre des Ecoles d'Orient qu'il fit son noviciat.
Le père Mazé le dit sans ambages :
" Qu'on supprime, de sa vie, les dix semaines
du Liban, il faut presque renoncer à la comprendre. On a dit
que sa jeûneuse cléricale, son professorat à la
Sorbonne, son stage romain, son épiscopat de Nancy ont été
une préparation continue à son grand rôle africain.
Eh ! sans doute, mais bien de le conduire en Afrique, tout cela semblait,
au contraire, devoir l'en détourner. S'il comprit que Dieu
le voulait à Alger, et s'il obéit, c'est qu'en Syrie,
et non pas à Paris, ni à Rome, ni à Nancy, il
avait reçu du ciel la flamme de l'apostolat missionnaire. A
la lueur de cette flamme, il entrevit la " grande perspective
" qui l'attira en Afrique
" (J. Mazé,
o.c. p 14-15)
1. Le contact avec le réel humain
L'Oeuvre des Ecole d'Orient lui élargi le cur
Favorisa l'éclosion de ses dons d'organisateur
" Sans descendre encore de cette chaire
(enseignement à la Sorbonne) il allait s'initier, dans l'Oeuvre
des Ecoles d'Orient, à une vie de charité et d'apostolat
qui lui fit trouver bientôt ce qu'il appela son chemin de Damas.
" (J. Mazé, o.c. p 7)
" Pendant trois ans, il parcourut plus
de vingt diocèses, prêchant dans les villes importantes,
utilisant la presse, fondant partout des comités. Il apprenait
comment on lance une grande uvre et comment on l'organise. Il
fit alors aussi l'apprentissage d'un métier qui sera un jour
l'une des bases de son action africaine, un métier ingrat,
mortifiant, le plus dur, le dernier des métiers : la quête,
non pas tant celle qu'on fait dans une église après
avoir, à loisir, conquis son auditoire, mais la quête
à domicile, celle où il faut savoir s'expliquer avec
calme quand on est pris pour un escroc, et sourire à ceux qui
enveloppent leur aumône dans de mauvais compliments
"
(J. Mazé, o.c. p 8)
2. Son attachement aux Eglises d'Orient
Sa
rencontre vivante avec les Eglises d'Orient lors de son époque
comme Directeur de l'Oeuvre l'attacha à celles-ci de manière
définitive. Cette fidélité se maintiendra chez
lui jusqu'à la fin de sa vie. Non seulement il les aidera économiquement,
qu'il soutiendra aussi leur cause à Rome. L'occasion venue,
il poussera son à peine née Société des
Missionnaires d'Afrique, pourtant destinée exclusivement à
ce continent, a accepter la garde du Sanctuaire de Sainte
Anne à Jérusalem et y à établir une
uvre en faveur de l'Eglise d'Orient.
Lui même, se présenta disponible au Pape pour succéder
à Mgr Valerga sur le siège du patriarcat latin de Jérusalem.
Il avait identifié dès le début les freins et
les obstacles d'une mauvaise approche de la question orientale : il
voulait aider à y porter remède.
" Dans ses entreprises africaines, écrit
le P. de Montclos, Lavigerie ne cessait de songer à l 'Orient.
Sans doute désirait-il revenir aux sources de sa vocation missionnaire,
mais il y avait bien davantage que cette aspiration intime. Comme
directeur de l'uvre des Ecoles d'Orient, puis consulteur de
la Commission de la Propagande pour les Affaires orientales et membre
en 1870 de la commission conciliaire des Rites orientaux et des Missions,
il savait parfaitement que l'action des missionnaires latins du Proche-Orient
ne servait généralement pas la cause de la réunion
des Eglises
Dès l'origine Lavigerie fut persuadé
que seuls la plus grande estime pour le génie des peuples orientaux
et le plus grand respect pour leurs traditions théologiques,
canoniques et liturgiques, pouvaient préparer la réunion
des Eglises " (Le cardinal Lavigerie, Foi Vivante, p,
38. 40)
3. Sa vocation missionnaire
Ouverture face à l'Islam et au contient Africain
Découverte de quelques principes fondamentaux :
- la fidélité au milieu,
- le respect des cultures,
- l'efficacité naturel du bienfait
- l'autosuffisance économique
- le respect des fonds confiés
Devant les évêques de France qui s'étonnaient de
son acceptation rapide du siège d'Alger, alors que des meilleures
perspectives l'attendaient dans la métropole, Lavigerie fait
connaître les raisons qui l'ont poussé au choix. C'est
sa perspective missionnaire qui est à la base, face à
l'Islam et, au delà lui, face au continent Africain dans sa totalité.
Dans l'explication qu'il donne à son confrère et ami Mgr
Maret, l'influence de son expérience à la direction de
l'Oeuvre des Ecoles d'Orient est vivante et clairement évoquée.
Il écrit :
" Puisque vous partagez l'étonnement
de nos amis sur ma résolution de quitter Nancy pour accepter
Alger, permettez-moi, Monseigneur, avant que vous ne me jugiez d'une
manière définitive, de vous expliquer en deux mots,
les raisons d'une décision humainement, paraît-il, si
inexplicable.
Depuis que, comme Directeur de l'Oeuvre
des Ecole d'Orient, j'ai étudié de près, en Egypte
et en Syrie, ce qu'il est possible de faire, au milieu des populations
musulmanes, je ne puis comprendre comment, depuis plus de trente ans,
nous donnons, en Afrique un si triste spectacle d'aveuglement et d'impuissance
; ou plutôt je ne le comprends que par l'absence calculée
de toute pensée chrétienne dans l'administration de
l'Algérie
Je pense qu'il est nécessaire de réagir
enfin par une parole virile et par l'exemple, contre des préjugés
aussi néfastes. C'est à un évêque de le
tenter. Or, je m'en sens le courage, avec la grâce de Dieu
Je
pense que deux moyens d'assimilation, très praticables et très
efficaces, sont possibles dès maintenant : les uvres
de charité pour tous, et les écoles françaises
pour les enfants.
Voilà la première partie de
la tâche d'un archevêque d'Alger, telle que je la vois.
Mais ce n'est pas tout. L'Algérie n'est qu'une porte ouverte
par la Providence sur un continent barbare de deux cent millions d'âmes.
C'est là, surtout, qu'il faut porter l'uvre de l'apostolat
catholique. On n'a à y craindre ni la politique des bureaux
arabes, ni l'opposition violente de la libre pensée. Tout dépend
de la grâce de Dieu et du zèle des missionnaires. "
" Cher Monseigneur, il est bien probable,
qu'il ferait plus doux vivre à Lyon, mais il sera certainement
moins dur de mourir à Alger, même, et surtout, s'il y
a, comme on me l'assure, beaucoup à souffrir. "
( J. Mazé, o.c. p 35-39)
Le père Xavier de Montclos a raison de dire à propos
de son voyage au Liban que :
" Dans le don de soi le plus généreux
et dans l'amicale reconnaissance de ceux qu'il avait secourus, il
avait éprouvé, et pour ne pas l'oublier, la joie de
la vie missionnaire. " (Le cardinal Lavigerie, Foi Vivante,
p 17)
Avec sa vocation, il a découvert aussi et appliqué quelques
principes important :
Le principe de la fidélité au milieu auquel il tiendra
toujours. Il l'avait formulé à propos des orphelins du
Liban.
" Sa pensée s'exprima nettement
sur la méthode à suivre. De nombreuses familles en France
s'étaient proposées pour accueillir chez elles les plus
jeunes : il s'y refusa. Ce serait, expliqua-t-il affaiblir la population
du Liban et déraciner les enfants de leur cadre originel de
vie sans aucun profit réel pour eux-mêmes. On ne pourrait
prévoir leur expatriation qu'en un seul cas : un nouveau danger
de massacre. Sauf une telle situation d'urgence, les familles françaises
se voyaient invitées à adopter des orphelins et pourvoir
aux frais de leur éducation, mais de loin, en acceptant qu'ils
restent dans leur propre pays et deviennent membres à part
entière de leur propre peuple. Lavigerie exprimait pour la
première fois cette pensée, que nous retrouverons, du
respect des différences culturelles. " (F. Renault,
o.c. p 64)
Le principe du respect des cultures et donc de l'inculturation pour
l'apôtre :
" Ses fonctions à l'uvre
des Ecoles d'Orient et surtout son voyage au Liban lui firent découvrir
d'autres traditions. Il se convainquit alors de la nécessité
de maintenir pleinement les rites orientaux, contrairement à
la pratique de latinisation de ceux qui confondaient l'uniformité
de la liturgie avec l'unité catholique. A Rome, ses efforts
tendirent dans la mesure du possible à faire passer cette doctrine
" (F. Renault, o.c. p 78)
Plus tard, alors que la théorie de l'assimilation des autres
était en vogue, lui, il parle de l'assimilation de l'apôtre,
du principe du tout à tous ; aussi il écrira à
ses missionnaires :
" Il y a deux manières de faire
les hommes à notre ressemblance. La première est de
les rendre semblables à nous par le dehors. C'est la manière
humaine, celle des civilisateurs philanthropes, de ceux qui disent,
comme on l'a répété à la Conférence
de Bruxelles, que pour changer les Africains, il suffit de leur enseigner
les arts et les métiers de l'Europe. C'est croire que, lorsqu'ils
seront logés, vêtus, nourris comme nous, ils auront changé
de nature. Ils n'auront changé que d'habit...
La manière divine est tout autre. C'est saint Paul qui l'a
définie en disant : 'Se faire tout à tous pour les gagner
tous à Jésus-Christ'. L'apôtre, en effet, s'adresse
à l'âme, c'est l'âme qu'il change, sachant que
tout le reste viendra par surcroît, et que pour gagner l'âme
il se condamne lui-même, s'il le faut, à abandonner toutes
les habitudes extérieures de la vie. Il se fait barbare avec
les Barbares, comme il est grec avec les Grecs. C'est là ce
qu'on fait les Apôtres, et nous ne voyons pas qu'aucun d'eux
ait cherché à changer d'abord les habitudes matérielles
des peuples... " (Instr. p, 104-105)
Le principe de l'efficacité apostolique du bienfait en lui-même.
Lavigerie dit avoir expérimenté à l'occasion de
son action au Liban. Il le choisi donc comme principe universel d'apostolat
:
" Je pense que deux moyens, très
praticables et très efficaces, sont possibles dès maintenant
: les uvres de charité pour tous, et les écoles
françaises pour les enfants " (cité plus haut)
" Durant tout le temps nécessaire,
on s'en tiendra là (gagner les curs infidèles
par les oeuvres de charité avant de s'occuper de conversion).
L'expérience a montré que si l'on baptisait tel ou tel
individu en particulier, il se trouverait dans un milieu tel que sa
persévérance serait impossible et que tôt ou tard
il reviendrait à son ancienne vie. " (Lettre au
P. Deguerry, avril 1873. Instr. p, 29).
" Ce n'est pas le moment de convertir,
c'est le moment de gagner le cur et la confiance des Kabyles
par la charité et la bonté. Vous ne devez pas viser
à autre chose. Tout ce que vous ferez en dehors perdra l'uvre.
" (Ibid. p. 31).
" Gardez-vous bien de faire du prosélytisme.
Contentez-vous de gagner leur cur par les bienfaits et la charité
et laissez faire le temps. Avec la grâce de Dieu tout s'arrangera
peu à peu et les fruits seront d'autant meilleurs qu'on les
aura laissés mûrir. " (Instr. p. 32).
Nous avons trouvé déjà son principe d'autonomie
économique en vue de chercher des solutions stables et solides
aux problèmes. Il l'avait découvert dans l'organisation
de son action au Liban comme Directeur de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient.
" Plutôt que d'opérer un
saupoudrage de subventions en leur assurant les seuls besoins du moment,
il est préférable d'en concentrer une partie pour les
doter progressivement de fonds de réserve qui leur permettent
d'acquérir l'indépendance financière. Assurer,
dans l'avenir, la solidité d'une uvre entreprise : telle
était la préoccupation de Lavigerie et elle restera
toujours chez lui un impératif " (cf. F. Renault,
cité plus haut).
Il adoptera ce principe pour toutes ses uvres, et spécialement
pour les missions en Afrique :
" Ce à quoi il faut arriver le
plus rapidement possible, c'est à se suffire dans les stations,
dès qu'elles seront installées. On prendra donc des
précautions sérieuses pour arriver à trouver
sur place les vivres indispensables; sans cela on serait exposé
à la famine pour le cas, qui malheureusement n'est pas improbable,
où les relations avec l'Europe seraient interrompues, et pour
celui plus probable où l'Oeuvre de la Propagation de la Foi
viendrait à manquer par suite des perturbations européennes.
" (Instr. P 93)
Le respect de l'argent confié par les fidèles par une
gestion responsable
Lavigerie connaissait la valeur de l'argent. Ses premières quêtes,
il les avait faites au nom de l'Oeuvre des Écoles d'Orient. Il
savait que c'était surtout les fidèles, et souvent c'étaient
les plus pauvres qui s'étaient montré les plus généreux.
L'argent recueilli était pour lui sacré. Sa gestion devait
se faire avec grand rigueur et honnêteté. Voilà
un autre principe auquel il restera toujours fidèle et pour lui
et pour ses missionnaires.
Dans cet esprit, il dira demandera la pauvreté aux missionnaires.
selon Lavigerie, ils " doivent pratiquer cette vertu toute apostolique
plus strictement que des religieux. "
" L'argent inutilement dépensé
est autant d'enlevé aux oeuvres de la Mission, et par conséquent
au rachat des âmes. " (Règles de 1872, p.
17)
" Les missionnaires se souviendront qu'ils
vivent d'aumônes, et que le pain qu'ils mangent leur est donné
par de pauvres catholiques qui prennent pour cela sur leur nécessaire.
" (Règles de 1872, p. 15)

Texte de Jesús Salas M.Afr.
Crédit Photos Nos archives et notre
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