Voix d'Afrique N°83.

Témoignage

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Maggy et la Maison Shalom

A Ruyigi, au Burundi, la Maison Shalom s’est constituée autour d’une femme d’exception, Marguerite Barankitse qui se bat pour protéger les enfants des ravages de la guerre et du Sida. Son rêve est d’offrir à ces milliers d’enfants un avenir meilleur. Après environ qua-torze ans d’intervention sanitaire, sociale et psychologique pendant les massacres interethniques et la guerre civile, ses actions sont reconnues dans le monde et de nombreux prix lui ont été décernés.

De nombreuses institutions et personnes privées accompagnent le développement de la Maison Shalom qui s’accélère grâce à l’établissement progressif de la paix qui favorise la communication et l’accès facile sur le terrain de travail.

De nombreux programmes et projets ont été réalisés : le centre de la petite enfance, la mise en place des fratries et la construction de leurs maisons, la réinsertion et la réinstallation des enfants dans leurs familles, les activités génératrices d’emplois et de revenus (le Garage des Anges, la Villa des Anges, le Guest House Frieden et la Cité des Anges). La Maison Shalom a choisi de participer à la démobilisation et à la réinsertion des filles et femmes ex-combattantes. Un grand projet de la construction de l’Hôpital Rema est en cours de réalisation. Une première partie a été inaugurée le 22 janvier 2008 et la phase finale est prévue en fin 2008.

La Maison Shalom milite aussi pour les droits des enfants à l’éducation, à la connaissance et à la culture, car pour Maggy seul le respect de ces droits essentiels peut garantir l’avenir de ces enfants.


La seule chose qui lui importe, c’est l’avenir de « ses enfants

Pays d’Afrique qui figure parmi les trois États les plus pauvres du monde, où l’espérance de vie ne dépasse pas trente-neuf ans, le Burundi a été déchiré par des massacres interethniques entre les Hutus majoritaires (85 % de la population), les Tutsis privilégiés longtemps par l’ex-colonisateur belge (14 %) et les Twas longtemps méprisés de tous (1 %). Si au Rwanda, l’horreur a culminé avec le génocide de 1994, au Burundi, ce furent plusieurs vagues de tueries mutuelles, puis une guerre civile de dix ans qui fit au moins deux cent mille morts et meurtrit le pays.

Au cœur de cet enfer auquel s’ajoutent la misère et le sida, celle que tous, aujourd’hui, appellent « Maggy » a réussi à créer, dans la région de Ruyigi proche de la frontière tanzanienne, une nouvelle génération de jeunes citoyens qui placent leur humanité au delà de toute généalogie, de toute appartenance ethnique et de toute haine.

Marguerite Barankitsé ne correspond à aucune des images toutes faites que l’on peut se faire d’une chrétienne engagée dans l’action humanitaire. Pétulante, resplendissante d’humour et de beauté, son franc-parler étonne parfois les religieux, et elle ne cesse d’interpeller, souvent à ses risques et périls, les politiques, officiels comme rebelles, du Burundi. Même avec les nombreuses ONG qui ont reconnu son travail et collaborent avec elle, elle refuse tout assistanat et n’a cure des conventions de langage. La seule chose qui lui importe, c’est l’avenir de « ses enfants » : des orphelins abandonnés de tous qui retrouvent un avenir et un métier, des femmes violées qui retrouvent leur dignité, des jeunes portant encore les traces des coups de machettes qui se font les protecteurs de leurs cadets issus d’une autre ethnie, d’anciens massacreurs qui apprennent à se réintégrer dans une société où ils côtoient parfois les enfants de leurs victimes…

Au vu des résultats obtenus par Maggy, des difficultés matérielles et psychologiques qu’elle affronte tous les jours, au vu des menaces physiques très concrètes qui pèsent quotidiennement sur elle, on se demande comment ce miracle social peut perdurer…


« Ils bénéficient d’une éducation à la paix et à la réconciliation, d’un apprentissage et d’un début d’insertion sociale. »

Reconstruire l’humain
La réponse réside dans l’expérience traumatique – et paradoxalement fondatrice – qu’a vécue Maggy un certain jour d’octobre 1993. Après l’assassinat de Melchior Ndadaye, premier président (hutu) élu démocratiquement, les massacres alors se multiplient dans tout le pays. À Ruyigi, ce sont des Tutsis qui débarquent pour liquider des Hutus réfugiés dans l’évêché. Maggy, tutsi, est de la même ethnie que les tueurs, elle reconnaît plusieurs de ses anciens élèves, elle tente de s’interposer… On l’humilie, on la torture, on assassine soixante-douze personnes, hommes, femmes et enfants, devant ses yeux, à deux mètres d’elle, pour la punir d’avoir « trahi » les siens. Elle parviendra malgré tout à sauver des flammes et de cette tuerie vingt-cinq enfants, et à se réfugier, plus tard, chez un coopérant. En quelques semaines, ces vingt-cinq deviendront des centaines…

C’est ainsi que commence l’aventure à peine croyable de l’ONG Maison Shalom (ainsi baptisée par les enfants, en souvenir d’une chanson entendue à la radio pendant ces jours terribles, et parce que le mot « paix », en kirundi, avait été lui-même instrumentalisé et souillé par les massacreurs des deux bords). Ils sont maintenant des milliers à vivre dans cette pépinière d’espérance où ils peuvent manger à leur faim, retrouver leur dignité, bénéficier d’une éducation à la paix et à la réconciliation, d’un apprentissage et d’un début d’insertion sociale.

« Nous devons devenir acteurs de notre propre développement », voici le leitmotiv qui préside à toutes les réalisations de Maggy. La Maison Shalom est moins une institution qu’un lieu, un seuil, un tremplin, un passage. L’enfant qui y grandit n’est coupé ni de son passé, ni de son milieu d’origine, ni des siens - quels qu’ils soient. Au plus tôt, Maggy tient à lui faire quitter les grands locaux impersonnels où l’ont précipité les secours d’urgence pour l’installer dans une famille, dans une maison et un jardin, dans sa région et dans sa ville. Les enfants perdus font l’objet d’une enquête pour retrouver leur identité et leur famille. Lorsque la réinsertion dans leurs familles n’est plus possible, la Maison Shalom récupère des terrains pour construire des habitations, et les enfants participent au choix de cette nouvelle vie, s’en sentent acteurs et non plus assistés. Une fois adultes, les enfants deviendront propriétaires de leur maison.

Les défigurés sont envoyés en Europe pour des opérations réparatrices, les traumatisés sont suivis par des psychologues. La tâche est incommensurable : 660.000 orphelins (dont 230.000 du sida).

Mais avec son équipe d’une centaine de personnes (assistantes sociales, infirmières, éducatrices, psychologues), avec l’aide d’amis européens et d’organisations internationales telles que la Caritas (Allemagne et Luxembourg), l’UNICEF, le PAM et le HCR, les services de coopération belge, allemande et suisse, ... Maggy relève le défi de ce travail de Sisyphe. Son action s’étend même au-delà de sa région de Ruyigi, puisqu’elle a ouvert, à Bujumbura, une maison d’étudiants, un service de soutien (frais scolaires, habillement, nourriture) pour 10 000 enfants du pays, deux antennes de la Maison Shalom, dont l’une près de la frontière tanzanienne, pour répondre aux besoins urgents des réfugiés rentrant au pays, et des personnes déplacées à l’intérieur du Burundi qui sont dans le dénuement le plus total…

La Cité des anges
Aujourd’hui, après dix années de guerre civile, de fragiles accords de paix ont été signés fin 2003 entre le gouvernement légal et les rebelles burundais – accords initiés avec l’aide de Nelson Mandela, un homme dont l’action demeure pour Maggy un modèle. Mais cette trêve n’a pas empêché de nouveaux massacres (16 aout 2004 : 160 réfugiés congolais), la poursuite de combats autour de la capitale (jusqu’en mai 2005), des retards pour l’adoption de la nouvelle constitution et pour les élections (juillet-aout 2005). En septembre 2005, face aux problèmes de la région des Grands Lacs, la situation du Burundi est porteuse d’espoir de stabilité, mais révèle une misère insoupçonnée.(1)
Les réalisations sociales et humaines de Maggy sont remises quotidiennement en question par ces turbulences qui font sans cesse réapparaître les spectres de la peur et de l’horreur.

Croyante fervente, se ressourçant quotidiennement à l’Évangile et au regard plein d’espérance de « ses » enfants, Maggy porte à bout de bras cette ONG qu’elle a créée au milieu de l’enfer. Et elle parcourt le monde pour trouver les moyens de son action, établir des échanges, crier l’urgence d’un vrai partenariat entre l’Europe et ces îlots d’humanité qui, malgré tout, éclosent en Afrique, portés par des Africains (et surtout des Africaines).

Femme du peuple qui ne se sent jamais aussi bien que lorsqu’elle danse et chante des comptines avec ses enfants, Maggy n’a jamais cherché les honneurs. Mais la reconnaissance internationale est venue petit à petit, qu’elle ne refuse pas, car elle l’aide à être plus efficace.

Avec l’autorisation
de la Maison Shalom

(1) Il a fallu attendre fin 2008 pour que le processus de paix soit fermement établi. (Ndlr)

La Haine n’aura pas le dernier mot
Maggy, la femme aux 10.000 enfants
Christel Martin
Editeur : Albin Michel 2005 16,50  



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