Voix d'Afrique N°79.....

Me reconnais-tu ?

De nombreux immigrés viennent du monde africain, asiatique ou latino-américain et appartiennent aux populations auprès desquelles ont travaillé les missionnaires. Un de ces immigrés a pris un stylo et du papier et a décidé d’écrire à son ancien curé : « Ma mémoire est pleine de toi…Mais maintenant que je suis arrivé dans ta patrie, je ne te vois pas. Je voudrais tant te rencontrer. » Et il le défie : « Fais-toi trouver ! »

Je t’écris cette lettre pour te demander de te rendre présent sur ma route d’étranger. Je viens d’Afri-que, d’Asie, d’Amérique du Sud, d’Océanie où tu as travaillé comme missionnaire et où tu m’as connu.
Il y a quelques années, je n’aurais jamais pensé qu’un jour je me serais trouvé ici, chez toi, dans ton pays. Les événements tragiques, l’appauvrissement, dont mes frères et moi sommes victimes, et tant d’autres facteurs, m’ont poussé à défier la mer et beaucoup de dangers pour venir ici.

Je suis à ta recherche pour deux raisons. D’abord parce que ma mémoire est pleine de ton souvenir. Là-bas, dans mon pays, tu comptais beaucoup pour moi, et je comptais beaucoup pour toi. Tu connaissais mon nom. Grâce aux écoles que tu as construites à la mission et dans les villages, j’ai appris à écrire, à lire, à saisir un peu mieux certains de mes droits… Au Centre de promotion sociale tenu par les Sœurs, ma mère, mes sœurs, mes tantes et d’autres femmes (privilégiées de pouvoir vivre aux alentours de la mission) ont appris à lire, à cuisiner, ont reçu d’importantes notions sur les valeurs nutritives des aliments et sur l’hygiène…

Fais-moi connaître
aux tiens

Ensuite, je te cherche parce que, à travers les enseignements offerts aux petites communautés ecclésiales de base, tu as aidé mes concitoyens à se rendre compte que l’Evangile est un levain qui libère l’homme dans toutes ses dimensions - “tout l’homme”. Partant de ces convictions, quel-ques-uns uns de mes proches et amis se sont intéressés au développement, ils ont commencé à faire seuls des briques d’argile, à construire des maisons un peu plus dignes ; je les ai vus débuter à revendiquer leurs droits, à se constituer en associations…

Je te remercie beaucoup pour tout ce que tu as fait dans mon pays. Je remercie aussi tes confrè-res et tes consœurs qui sont là-bas et continuent ton ouvrage. Je remercie enfin ta famille et ta paroisse d’origine qui se dépensent pour nous aider par l’intermédiaire d’autres missionnaires. Mais, maintenant…
Je ressens le grand désir de te retrouver sur ma route d’immigrant, ici, dans ton pays. Je suis sûr que les gens et tes concitoyens comprendront que, derrière mon étiquette de mendiant, de prostituée, de pauvre auquel sont jetés dix centimes sans le regarder en face, ou de trafiquant… il y a une dignité humaine, avec beaucoup de valeurs inhibées par les souffrances, les frustrations, la précarité ou le désespoir, devant le paradis perdu que, venant ici, j’espérais trouver.

Tu peux leur expliquer que, là-bas, je n’avais pas beaucoup d’opportunités, mais que j’avais ma dignité. Tu connais ma joie de vivre, ma danse, le soir, au rythme du tambour qui rassemblait tout le village pour la fête au clair de lune, le partage quand tu venais au village. Je vois encore la joie des miens : quelques-uns uns t’apportaient le meilleur de ce qu’ils avaient pour bien t’accueillir. Ta personne comptait beaucoup pour nous.

Sur ma route d’étranger, je rencontre beaucoup de gens, beaucoup d’associations, qui prétendent défendre les droits des immigrés. Quelques-uns font quelque chose ; beaucoup, au contraire, encaissent l’argent d’or-ganismes publics en mon nom et ne me donnent rien, ou quasiment rien. Ma situation ne change pas.
Mais je suis sûr que si c’est toi qui es là à défendre ma cause, à m’expliquer - dans ma langue que tu connais bien - comment on vit ici chez toi, ma condition de vie sera différente. Je ne serai plus sur les routes à mendier ou à me prostituer. Beaucoup me donneront ce qui me convient, parce qu’ils pourront comprendre que je suis un être humain comme eux. Et moi, une fois sorti de l’exclusion et de la frustration, je comprendrai mieux comment me comporter, et sûrement je découvrirai la profonde humanité de tes concitoyens, mas-quée par le “trop de bien-être”. Alors, notre “commune humanité” et notre identité propre se rencontreront.

Aide-moi à garder la foi
De ce que tu me disais, j’étais convaincu que la foi était mieux vécue dans ton pays : la fraternité, la solidarité, l’hospitalité, le dialogue, le pardon, le respect des valeurs morales, l’unité de la famille… Mais maintenant, parfois, je suis déçu par certaines situations. Il y a des gens qui me disent que Dieu n’existe pas et que croire en Dieu est bon pour les faibles, les pauvres ou les moins libres. Certains de mes frères – même s’ils sont désorientés - sont tentés de chercher la sécurité dans les croyances traditionnelles.


Dans les difficultés, ils portent des amulettes ou consultent les cartomanciens. Jusqu’à maintenant j’ai résisté. Mais jusqu’à quand réussirai-je ? Tu peux m’aider à reprendre notre chemin de foi dans ces nouvelles conditions de vie. J’ai besoin de toi pour garder ma foi de chrétien.

J’aurais beaucoup d’autres choses à te dire, mais c’est mieux que nous nous rencontrions face à face.
Je voudrais juste ajouter une chose, que tu connais déjà mieux que moi : les temps ont changé et, avec eux, la réalité missionnaire. Avec le flux migratoire, que seulement un peu plus de justice au niveau international peut arrêter, les “églises-mères” (parmi lesquelles l’église française) sont devenues, elles aussi, “terre de mission”. Et puisqu’un serviteur de Dieu n’est jamais en retraite, toi aussi tu as quelque chose à faire ici, chez toi… Comme tu le faisais dans mon pays, sors, viens nous retrouver dans nos “cabanes” à côté des palais et des gratte-ciel. Comme tu faisais là-bas, ouvre-nous la porte. Comme cela, nous nous sentirons chez nous.n

Avec amitié.
Faustin

Texte paru dans la revue “Nigrizia” d’avril 2007. Traduit de l’italien par le P. Guy Vuillemin

A Lourdes, M. le Cardinal André Vingt-Trois, Président de la Conférence des évêques de France, parle de l’immigration


Le Cardinal André Vingt-Trois avec la Communauté Africaine Catholique de Paris
en compagnie de Louis Vernhet Provincial de France des Pères Blancs

[…] Avec son élargissement, notre Europe se trouve confrontée à une question […] déjà posée. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour l’établissement et l’affermissement de la paix ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans le partage de la prospérité ? Déjà, dans nos pays très développés de l’Ouest européen, la question de l’accueil des migrants est récurrente.

Voulons-nous une Europe ouverte ou une Europe close devant les risques de perdre notre sécurité économique, dont la fragilité financière provoque les soubresauts que l’on sait ?
L’histoire a montré qu’il n’est pas de clôture qui résiste aux besoins élémentaires qui s’expriment au dehors. […] La France, pays de migrations an-ciennes, qui s’enorgueillit d’être le « pays des droits de l’homme » va-t-elle aider l’Europe à progresser dans une politique d’ouverture devant les migrations ? Va-t-elle elle-même progresser dans la mise en oeuvre d’une politique d’aide au développement ? Va-t-elle progresser dans les procédures de traitement des demandes d’asile, dans leur durée comme dans les critères mis en oeuvre et la manière de traiter les demandeurs ?

Une politique raisonnée de l’immigration est indissociable des moyens à dégager pour que les fonctionnaires chargés de son exécution ne soient pas submergés et ne se trouvent pas dépassés par les situations qu’ils ont à traiter. Enfin, par delà la réglementation nécessaire, la manière de traiter des personnes en détresse suppose un engagement déterminé dans l’application des lois et des jugements. Une personne qui ne réunit pas les conditions d’accueil sur notre territoire ne cesse pas pour au-tant d’être une personne humaine, un homme, une femme, un enfant, que l’on doit respecter et traiter avec dignité. Une personne ne peut pas être détenue dans des conditions inhumaines.

L’Église se félicite que de nombreux catholiques soient engagés sur ce front de la solidarité. […] Elle appelle les communautés locales à réfléchir et à agir pour venir en aide à ceux qui ont mis leur espoir, leur ultime espoir, dans le risque de l’immigration. Elle soutient les femmes et les hommes politiques dans leur implication pour cette cause, même si elle n’est pas très rentable électoralement.
Si nous pouvons évoquer à juste titre les racines chré-tiennes de l’Europe, c’est à nous d’agir de telle façon que ces racines soient manifestes et continuent à porter leurs fruits.

Lourdes, 1er Avril 2008


 


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