Voix d'Afrique N°87
Témoignage


LES CONVERSIONS

Nous reprenons, ici, une partie d’un dossier de La Maison Islamo-Chrétienne intitulé “Les conversions”. Vous pourrez trouver le texte intégral sur leur site www.lamaisonislamochretienne.com
Le problème des conversions peut se poser à certains d’entre nous.?Ce texte peut ouvrir des pistes de réflexion utiles. (NDLR)


Le 22 mars 2008, lors de la vigile pascale, Benoît XVI baptisait un musulman qui se préparait depuis plusieurs années à entrer dans l’Église. L’événement déclenchait des propos enflammés ; ce geste, déclare Yahya Pallavicini, une importante personnalité musulmane en Italie, « révèle l’intention politique du Vatican de faire prévaloir la suprématie de l’Église catholique sur les autres religions ». Aref Ali Nayed, une personnalité musulmane de Jordanie qui est à la racine de la lettre des 138 intellectuels adressée aux responsables chrétiens, emploie le mot « exécrable » pour désigner cet acte de conversion.

Dans les pays musulmans, l’Église catholique se réduit de jour en jour. Les chrétiens fuient parce que des pressions s’exercent sur eux, parfois avec violence. Il arrive qu’ils aient à choisir entre la mort ou la conversion. En certains pays, ils subissent des vexations parce qu’on les confond avec des sectes américaines. En France, dans les banlieues, les jeunes catholiques sont la proie privilégiée d’un prosélytisme musulman particulièrement actif.

En réalité, toute pression pour convertir à l’Islam est repoussée par le Coran (« nulle contrainte en religion »). L’Église catholique, pour sa part, lors du Concile Vatican II, a solennellement affirmé son respect pour la liberté religieuse qui s’enracine dans la dignité de la personne humaine (Cf. Décret « Dignitatis humanae »).

Pour notre part, nous “Maison Islamo-chrétienne, nous devons rappeler que le travail islamo-chrétien auquel nous sommes attelés a pour point de départ la conscience qu’en France, le respect entre croyants est le point de départ nécessaire du dialogue interreligieux. « Maintenant que nous savons, l’un et l’autre, que nous ne cherchons pas à nous convertir, nous pouvons aller de l’avant ». Un musulman prononçait ces mots à l’adresse d’un ami chrétien en 1995. C’était notre acte de naissance.

Notre-dame de Datima à ParisLa peur et la méfiance d’aujourd’hui ont pour cause, selon nous, une politique internationale qui déstabilise profondément les pays où, jusqu’à une date récente, les communautés chrétiennes et musulmanes avaient toujours su vivre en bonne intelligence. Nous voulons, là où nous sommes, vivre les uns avec les autres animés d’une double conviction. Nous croyons, d’abord, qu’une parole ne peut être vraie si elle tente d’attirer à soi, de rendre semblable, d’assimiler. On ne rencontre pas l’autre en le réduisant au même : convertir consiste à nier l’altérité. Par ailleurs, musulmans et chrétiens ont, les uns et les autres, dans leurs messages des raisons de travailler à faire advenir une société où chacun peut vivre dans la justice et la dignité. En répondant à cette vocation, nos religions nous ouvrent les uns aux autres non pour convaincre que nous avons raison, mais pour faire reculer la violence et l’injustice.

Les conversions
un phénomène de société

Les conversions, à l’heure de la mondialisation, sont devenues un phénomène de société. Elles risquent de créer un obstacle au dialogue. Ne nous bouchons pas les yeux sur la réalité.

Une Église menacée ?

Mosquée à NiameyLes conversions entre Islam et Christianisme, en France, font peur. Cette peur est parfois alimentée par les intellectuels. Alain Besançon compare l’Europe aux pays du Levant ou d’Afrique du Nord, lors des années qui suivirent la mort du Prophète. Les Églises se sont effondrées au contact de l’Islam. L’auteur des « Trois tentations pour l’Église » prétend montrer que le christianisme alors a fondu comme neige au soleil parce que les chrétiens n’avaient pas suffisamment intériorisé l’enseignement des conciles. Aujourd’hui l’Église est défaillante dans la transmission du message de Jésus. L’Islam en Europe, dans ces conditions, deviendra vite, si l’on n’y prend garde, la religion dominante et dans quelques décennies les chrétiens ne seront plus qu’une infime minorité.

Des familles à l’épreuve

La peur est vécue dans les familles. Chacun connaît, parmi ses amis, telle ou telle conversion de jeune chrétien. On s’inquiète alors pour ses propres enfants, lorsqu’on les voit fréquenter des copains africains ou maghrébins. Les sentiments des musulmans n’ont rien à envier à ceux des chrétiens. Dans l’esprit des mu-sulmans, les chrétiens sont souvent confondus avec les Témoins de Jéhovah dont le prosélytisme est agressif. Lorsqu’ils vont au bled, pendant les vacances, on les accable de cassettes et de Nouveaux Testaments traduits en arabe. Au moins pour les aînés, la rencontre des chrétiens rappelle la période qui précède les indépendances ; convertir revenait à coloniser. Cette crainte à l’égard du Christianisme est parfois inculquée dès l’enfance. Un jeune garçon demandait à Mohammed Benali : « Est-il vrai que lorsqu’on passe devant une église, il faut changer de trottoir ? »

Une source de souffrance

Les conversions entre Islam et Christianisme engendrent la souffrance. Au Secrétariat pour les Relations avec l’Islam, on reçoit des confidences de familles où des enfants sont devenus musulmans. Les parents se culpabilisent, du côté chrétien (« nous n’avons pas su transmettre nos valeurs à nos enfants !»). Les relations se détériorent : frères et sœurs s’estiment trahis. Tout cela peut s’accompagner d’une certaine arrogance. Le converti est assuré d’avoir la vérité et regarde tous les siens avec mépris. Il faut changer les habitudes de la famille, au point de vue nourriture, par exemple, pour éviter les drames. Les parents sont acculés à réinventer la manière de vivre, de façon à ne pas couper les ponts avec ceux qu’ils aiment.

La souffrance est peut-être pire en Islam lorsque quelqu’un passe au Christianisme. Il faut dire que la sharia, dans les pays musulmans, peut punir de mort celui qui apostasie et la sentence est parfois appliquée. La presse s’est largement fait l’écho du cas d’Abdul Rahman, en Afghanistan, un homme de 41 ans passé au Christianisme. Le premier ministre canadien, Condoleeza Rice et Benoît XVI sont intervenus auprès des autorités pour que sa vie soit épargnée. Il a pu échapper au pire : on a considéré qu’il était frappé d‘aliénation mentale. Quitter l’Islam pour entrer en Christianisme est impensable. Il ne s’agit pas seulement d’une démarche individuelle ; le croyant ne fait qu’un avec l’Oumma (la Communauté), sa patrie à la fois humaine et spirituelle. C’est devenir, aux yeux de toute la communauté musulmane, un paria et, malgré des liens affectifs souvent très forts, la rupture est souvent inévitable. Aussi, beaucoup préfèrent-ils cacher leur nouvelle identité religieuse et mener une double vie pour éviter une sorte de suicide social.

Un sujet tabou

Ces sujets sont délicats. C’est parce qu’on hésite souvent à en parler les uns devant les autres que nous nous penchons sur la question. Nous faisons part de nos réactions ; sans doute sont-elles contestables sur plus d’un point ; elles permettent néanmoins de lever un tabou et de libérer la parole. D’emblée, reconnaissons que certaines conversions appellent le respect, même si elles nous déconcertent. Évoquons Massignon : l’intellectuel agnostique, au contact de l’Islam, se convertit et devient un catholique militant. Jeune chercheur, en mission archéologique, il est pris pour un espion. Il échappe aux poursuites grâce à l’hospitalité d’une famille irakienne. L’européen découvre ce qu’est l’autre aux yeux d’un musulman : un dépôt sacré. Il s’agit pour lui d’une manifestation de l’Autre, du Tout Autre, Dieu comme un Étranger : « L’Étranger qui m’a pris tel quel, au jour de sa colère, inerte dans la main comme le gecko des sables, a bouleversé petit à petit, tous mes réflexes acquis, toutes mes précautions, et mon respect humain(...) Je transcris simplement un cri, imparfait, certes, mais poignant, de Rumi (quatrain n° 143), où le Désir divin, essentiel, insatiable et transfigurant, jaillit du tréfonds de notre adoration silencieuse et nue, la nuit. « Celui-là dont la beauté rendit jaloux les anges, est venu au petit jour, et il a regardé dans mon cœur; il pleurait et je pleurais jusqu’à la venue de l‘aube, puis il m’a demandé : « De nous deux qui est l’amant ?».

De nombreux témoignages de conversion nous le confirment : Dieu peut s’infiltrer dans le cœur d’un homme ou d’une femme et l’orienter comme Il l’entend. Devant toutes les conversions qui se produisent, nous sommes invités à avoir un regard capable de déceler le passage de Dieu.

Une invitation au respect

Cela dit, nous ne pouvons pas manquer de nous poser quelques questions. Beaucoup de ces conversions n’ont-elles pas des explications purement humaines ? Le mariage est une motivation forte : quand un amour rapproche deux personnes, on est prêt à beaucoup de concessions, sincères ou non. Très souvent, lorsque des musulmans voient partir l’un des leurs, ils ont des soupçons : « N’a-t-il pas quelque intérêt personnel à agir de la sorte ? » Quand un jeune s’écarte des convictions de ses parents, ne s’agit-il pas d’une crise d’adolescence ? D’une façon générale, ne faut-il pas reconnaître que la multiplication des conversions est un signe des temps ? Aujourd’hui, nous vivons dans une société pluraliste où l’individu est roi. Choisir sa religion plutôt que de la recevoir comme un héritage, n’est-ce pas un acte d’autonomie ? Toutes ces questions sont pertinentes et il convient de se les poser et, éventuellement, de les formuler à ceux que nous connaissons et qui s’interrogent sur leur orientation religieuse, pour les aider à se préciser leurs véritables intentions.

Un risque de violence

Ces motivations particulières ont une importance réelle, mais qui n’est que relative par rapport aux conversions qui sont le résultat d’une action prosélyte. Manipuler les consciences est, selon nous, un acte de violence qui ne peut se réclamer de la volonté de Dieu. Nos deux religions en sont bien conscientes. « Pas de contrainte en religion », dit le Coran (Sourate 2, 256). « La liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ». Ainsi s’exprime Vatican II dans sa « Déclaration sur la liberté religieuse » (n°2). Bien sûr, le mal atteint son comble lorsque la pression s’exerce sur des enfants ou sur des jeunes. Il va de soi que parents et éducateurs se doivent d’être attentifs aux pressions dont ils pourraient être les témoins.

Une insulte au dialogue

Nous nous insurgeons contre le prosélytisme pour une autre raison. Il est une insulte au dialogue. L’un des partenaires a la vérité et son interlocuteur n’a pas la parole. S’il s’exprime, son discours n’est pris au sérieux que dans la mesure où il permet d‘être réfuté. La foi en Dieu ouvre sur l’autre alors que le prosélytisme tente d’enfermer autrui. Comment vivre un vrai dialogue islamo-chrétien lorsqu’on se demande si celui qui fait face n’a pas pour but de vous conquérir ? Comment se libérer de la peur malsaine dans laquelle baignent beaucoup de nos contemporains sinon par un dialogue où les uns sont libres devant les autres? Inclinons-nous devant la volonté de Dieu, laissons-nous guider par Lui plutôt que de faire plier autrui devant nos convictions personnelles.

Avec l’autorisation de
La Maison Islamo-Chrétienne

Un comportement
dangereux
le prosélytisme

La volonté de convaincre a fait des ravages au cours de l’histoire. Depuis Vatican II, les catholiques devraient échapper aux dangers de prosélytisme : le Concile prône la liberté de conscience. Le mal n’est pourtant pas éradiqué, ni en Islam ni en certains courants chrétiens.

Prosélytisme musulman !

Deux mouvements exercent en France une pression très forte sur la population pour aboutir à des conversions.

Le courant salafiste

BeautéLe nom, à lui seul, est tout un programme. « Salaf » : ce mot arabe désigne les ancêtres, en l’occurrence les compagnons du prophète. Le mouvement a pris naissance dans les banlieues des grandes villes, parmi les jeunes de familles immigrées. Partis en Arabie Saoudite, ils en sont revenus persuadés que le vrai musulman doit adopter dans tous les mouvements de sa vie, le comportement du prophète : vêtement, nourriture, barbe, gestes de la vie courante doivent être des reproductions minutieuses du tout premier Islam à Médine. Ils sont hostiles à tous les régimes politiques, y compris les régimes des pays arabes qui se sont écartés du modèle primitif.

Dans les quartiers sensibles
Deux tendances se manifestent parmi eux.
Certains - une minorité - parlent de djihad. Il faut voir là une conséquence de la guerre en Afghanistan menée contre les Russes par les Etats-Unis aidés de l’Arabie Saoudite. Quoi qu’il en soit, la plupart s’efforcent de convaincre leur entourage. De culture française, ils sont bien équipés pour rejoindre les jeunes de leurs quartiers, qu’il s’agisse des jeunes maghrébins trop occidentalisés ou qu’il s’agisse des chrétiens venus d’Afrique ou d’ailleurs. Internet est un instrument qu’ignoraient, à coup sûr, les ancêtres de Médine, mais qu’ils n’hésitent pas à utiliser au service de leur cause. Une conversion sur quatre est le résultat de leur action.

Les «Tabligh»
Les salafistes sont à l’œuvre en France depuis peu d’années. Ils viennent concurrencer un autre mouvement : les « Tabligh ». Ceux-ci viennent du Pakistan ; ils sont arrivés en France dans les années soixante. Ces missionnaires itinérants vont de ville en ville, principalement dans les quartiers où résident des musulmans, pour ramener dans la voie droite les brebis égarées et pour convertir à l’islam tous ceux que Dieu met sur leur chemin. On les reconnaît à leur accoutrement : longue barbe, turban et djellaba. On les croise au coeur des cités ou à proximité des mosquées ; ils y tiennent des discours ultraconservateurs. Tous les fidèles de l’Islam, même s’ils n’approuvent pas leur fondamentalisme, sont d’accord pour vanter leur bonté et leur désintéressement : ils ne vivent que d’aumônes.

Au risque de la manipulation
On ne peut nier l’habileté de ces missionnaires à convaincre. (...) Avouons que certaines de leurs manœuvres sont parfois suspectes : la prédication devient manipulation. Quoi qu’il en soit, ils sont efficaces et depuis, 25 ans, ils ont fait prospérer l’Islam de France dans des proportions importantes.

Prosélytisme chrétien !

De la France au Maghreb

Du côté chrétien, certaines fractions des églises protestantes rivalisent de zèle. En France, des «chrétiens nord-africains» sont formés pendant deux ans aux États-Unis. On leur inculque des méthodes de communication. Il est amusant de les voir à l’œuvre. Une chrétienne, adhérente de « Mes-Tissages », a assisté à une séance de ce genre, il y a quelques mois, à Boulogne, dans les Hauts-de-Seine : « On ne savait pas si on était devant un clown ou un prédicateur : avec force gesticulations et discours simplistes, l’intervenant comparait le personnage de Jésus dans les Évangiles et dans le Coran ! Grotesque ou pas, cette séance fascinait les Maghrébins présents ; à la sortie, ils exprimaient leur satisfaction. Ce qui se passe encore timidement en France est une vaste opération dans les pays du Maghreb.

Dans beaucoup de villages kabyles, des maisons marquées d’une croix se sont transformées en oratoires de fortune où l’on vient prier et chanter avec ferveur. On compterait 85 000 convertis en Algérie et 30 000 au Maroc. A Tanger, les poubelles, dans les rues, sont pleines de Nouveaux Testaments traduits en arabe et distribués gratuitement à la population. Les moyens déployés sont considérables : 1200 stations de radio et plus de 300 chaînes de Télévision diffusent un message chrétien teinté de propagande américaine. Il semblerait que les autorités des pays maghrébins n’osent pas réagir pour ne pas gêner des négociations avec les USA.

Libéralisme ou mission?

On reconnaît facilement l’idéologie libérale qui caractérise cette campagne. Le journal protestant «Réforme» interviewait une personnalité du protestantisme évangélique aux États-Unis de passage en France. « En quoi consiste votre message ? » demandait la journaliste, Bernadette Sauvaget. La réponse est étonnante : «La liberté économique, un bon gouvernement et des croyants pieux, voilà ce qui est nécessaire pour constituer une bonne société dans le monde d’aujourd’hui. Lorsque les personnes ont pris la décision personnelle de ne pas pécher, elles n’ont pas besoin d’un gouvernement totalitaire mais d’un gouvernement qui est pour et par le peuple. Une économie de libre-échange est ce qui crée la richesse ; la société devient alors juste et bonne. C’est cela que Dieu désire aujourd’hui pour les gens ». Peu de chrétiens d’origine européenne, qu’ils soient protestants ou catholiques, reconnaîtraient le message évangélique dans cette apologie du libéralisme!

En réalité, cette offensive remonte à la naissance d’Israël ; elle est le fruit d’une lecture fondamentaliste de la Bible. Celle-ci annonce, prétendent certains, le retour des Juifs sur la terre de leurs ancêtres et le chrétien se doit de favoriser ce mouvement voulu par Dieu. Ceci est pris dans une vision de la fin des temps ; elle se produira lorsque tous les Juifs auront rejoint la terre promise et lorsque tous les hommes auront entendu le message évangélique. Ainsi s’explique cet effort surhumain pour diffuser un message qui se prétend évangélique mais dans lequel la majorité des baptisés ne peut se reconnaître.

On reproche parfois aux musulmans de confondre religion et politique. Si c’est vrai, avouons qu’ils ont, sur ce point, de sérieux concurrents Outre-Atlantique !


Avec l’autorisation de
La Maison Islamo-Chrétienne



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