Voix d'Afrique N°71





Tous les Missionnaires d'Afrique
et leurs amis sont fiers de leur missionnaire centenaire,
le Père Georges Jeanney.
Nous évoquons son aventure.

 

Alerte à Bry-sur-Marne

Le soir du samedi 25 février, c'est la routine à Bry sur Marne, dans la maison de retraite des missionnaires d'Afrique. La quarantaine de pères et frères se sont réunis à la chapelle pour les vêpres suivies de l'adoration du St. Sacrement. Puis il descendent à la salle à manger. Certains ont l'allure vaillante, d'autres se laissent pousser dans leur chaise roulante, d'autres encore vont plus lentement, aidés d'une ou deux cannes. Chacun prend sa place habituelle pour le repas du soir.

-"Tiens, le Père Jeanney n'est pas là ?
- Est-ce qu'il était là à la chapelle ?
- Non, c'est contraire à ses habitudes. Je vais voir dans sa chambre. "
Et quelques minutes après :
-"Il n'est pas dans sa chambre. Mais je suis sûr de l'avoir vu après la sieste ; il descendait vers le parc, comme d'habitude".
De fait, dans la cabane à outils, les souliers de ville du Père Jeanney sont là, à leur place, mais ses chaussures habituelles pour les travaux ne sont pas là, ni la brouette … Il doit être encore dans le parc.
Il a dû se passer quelque chose. La recherche s'organise dans les sentiers qui serpentent parmi quelques parterres de fleurs.
- "Père Jeanney ! Père Jeanney !"
Pas de réponse !
- "Sa brouette est là, près d'un tas de feuilles mortes ; il ne soit pas être bien loin !"
Il est là, à quelques mètres, étendu par terre, conscient.
- "J'ai très froid aux pieds" se plaint-il.
On part chercher une chaise roulante, on le monte dans sa chambre. On le réchauffe par une bonne douche bien chaude. Sa température est tombée à 32,5°. Après quelque temps, il se remet et explique :
- "Vers 14.15 h. j'étais dans le parc, à ratisser les feuilles mortes ; je suis tombé ; j'ai essayé de me relever, mais je n'ai pas pu ; j'ai rampé, perdu mon chapeau et mes lunettes. Je pensais trouver un arbre pour m'aider à me relever… J'ai compté toutes les heures en essayant d'appeler les confrères qui passaient en récitant leur chapelet… "

Le Père Jeanney a passé cinq heures dans le parc par une température de 4 à 5 °. Le lendemain dimanche, il a repris ses habitudes pour le petit déjeuner à la salle à manger et à la chapelle pour concélébrer l'eucharistie en fin de matinée, comme si de rien n'était !

Dans le jardin de Bry-sur-Marne

Après avoir donné ses consignes pour les fleurs à abriter du froid, il conclut :
- "Il est moins dangereux de prendre le RER que de se promener dans le parc ! Si on tombe dans le train, les gens vous aident et appellent le SAMU ; mais dans le parc, il faut attendre cinq heures !"
Il s'en est fallu de peu que le Père Jeanney n'arrive pas aux célébrations de ses cent ans !

Besançon en 1906

Le froid, Georges Jeanney connaît çà depuis son enfance. Besançon n'est pas particulièrement confortable, surtout au début du 20ème siècle. C'est là qu'il a vu le jour, en 1906. Ses parents tiennent un petit commerce. Lorsque son père meurt, Georges n'a que six ans ; sa mère mène la barque jusqu'à sa mort de la grippe espagnole : Georges a 11 ans. Il a pris l'habitude du lever tôt, car le prêtre de la paroisse compte sur lui pour servir la messe, très tôt le matin. C'était encore du temps où 'servir la messe' demandait une certaine compétence : réciter de longues réponses en latin, transporter le lourd missel de droite à gauche sans oublier la génuflexion au bas de l'autel, présenter les burettes, sonner la clochette au moment voulu et selon le rythme prévu, tenir la chasuble pour le confort du célébrant. Le rituel, cinquante ans avant la réforme du pape Paul VI, n'a aucun secret pour Georges. Aussi, personne n'est surpris lorsqu'il part au petit séminaire de Luxeuil.

Rêve d'Afrique,
engagement en Kabylie


à Kerlois au milieu de ses camarades de promotion

Mais il a un rêve : l'Afrique. C'est un secret bien gardé ; il a bien trop peur qu'on ne veuille le garder dans son diocèse. A la fin de ses études, il est accepté à Kerlois ; il n'a que la première partie du baccalauréat, mais il suit bien les cours de philosophie. Puis, c'est le Noviciat à Maison Carrée, temps de discernement et d'approfondissement spirituel, et la théologie à Carthage. Il demande à aller en Afrique Noire, mais il est envoyé, après son ordination, en Kabylie. Il a déjà quelques notions d'arabe. Il n'est pas spécialement doué pour les langues, mais il parvient à se faire une place dans le pays. Il rêvait de beaucoup baptiser, mais ici, il faut se contenter de partager avec les gens le quotidien de leur vie, de soigner les malades dans les dispensaires, d'enseigner les jeunes. Il suit une initiation d'infirmier à Alger. Il sait arracher les dents, soigner les trachomes, soulager quelques fièvres. Son parcours se partage entre dispensaires et écoles, tournées dans les villages kabyles, rencontres multiples pour dépanner, conseiller, guider dans les démarches administratives, ou tout simplement passer un moment autour de verres de thé ou d’un plat de couscous.

La patience du semeur

En KabylieLa présence de missionnaires en Kabylie est discrète et silencieuse. C'est le temps de la patience du semeur : la graine enfouie en terre prend du temps pour germer au long des saisons. Quelques bourgeons commencent à éclore, comme une promesse d' une floraison nouvelle, unique, merveilleuse. Le missionnaire sait que le simple geste d'amitié, l'humble salutation, le sourire confiant, la rencontre jamais futile, la parole vraie, tout cela est comme semence de communion, prémices du Royaume encore à venir, mais présent déjà comme une promesse. Les Kabyles l'ont très bien compris.

 

Enseignant

Le Père Jeanney est appelé à l'enseignement dans un collège. Il faut faire face à l'urgence, comme souvent dans toute mission, Il doit passer son brevet, et prend sa place devant les élèves de 6ème ; il enseigne les mathématiques, avec la craie sur le tableau, aux élèves de 3ème. Et puis, comme il est doué, il initie ses élèves au dessin. La guerre est comme une parenthèse qu'il s'empresse de fermer dès que possible. Il passe à travers les événements de la lutte pour l'indépendance. Les Algériens connaissent bien les "babas" et les respectent. Au gré des tempêtes et des orages, la mystérieuse semence continue de pousser.

Face aux urgences

“Il sait arracher les dents”Georges s'est fait décidément une réputation d'organisateur entreprenant. A la veille de l'indépendance, il est nommé au poste de Notre Dame d'Afrique pour s'occuper d'une école paroissiale. Il est nommé pour "donner un coup de main", mais le directeur fait faux bond, et c'est à lui de prendre la direction. Aucune inscription n'a été faite quinze jours avant la rentrée des cinq classes, et les parents se bousculent avec leurs gamins aux portes de l'école ! Il prend la classe du certificat d'étude avec la direction de l'établissement.


Le collège St. Augustin

Mais le missionnaire n'en a pas fini avec les surprises. Il s'agit de transformer le petit séminaire en école ouverte à toute la population. Des modifications sont nécessaires. Le Père Jeanney se fait entrepreneur : il rencontre un architecte et sollicite son avis sur ses projets, il recrute des maçons, il engage des ouvriers et c'est parti ! De cinq salles de classe, il passe à huit… La fameuse salle du Toast (lieu historique où Lavigerie, en 1890, lors d'un banquet officiel devant toutes les autorités , prononça les paroles qui devaient changer l'histoire, déclarant que le temps était venu pour l'Eglise de France de collaborer franchement avec le République) dut être divisée par une cloison mobile pour recevoir deux nouvelles classes. Dortoirs, cantines, logements pour les professeurs, nouvelles salles de classes, terrains de jeux : chaque projet se présentait comme un défi, que Le Père Jeanney a relevé silencieusement, avec courage et sans bruit. Il allait jusqu'à faire le marché pour la cantine scolaire qu'il ne pouvait pas ne pas organiser !

En France

Et cela dura, aventure après aventure, jusqu'en 1975. Le collège était nationalisé. Notre confrère rentre en France, où ses talents et son sens pratique sont mis à contribution pour être économe de la maison de retraite de Pau. Mais il rencontre rapidement un de ses anciens confrères d'Algérie qui le convainc de goûter aux joies du ministère dans le diocèse de Carcassonne. Et le voilà parti pour Narbonne, responsable de l'église St.Paul ; il a 70 ans ! Il était temps ! lui qui voulait devenir prêtre missionnaire pour enseigner et baptiser, enfin il était engagé dans la pastorale de la vieille cité languedocienne. Cette expérience dura quatre ans.

Le Semeur infatigable

Et maintenant, après avoir servi dans d'autres maisons de la Province de France, il est à Bry-sur-Marne. Ce n'est qu'à quelques minutes de Paris, et il visite souvent des maisons de retraite de personnes âgées dans la capitale ; il y célèbre l'eucharistie, écoute beaucoup, conseille quelques fois. Ce n'est pas dans le train qu'il a été retrouvé, ce soir d'hiver de Février 2006, mais dans le jardin. Il ramassait les feuilles mortes, selon son habitude, pour préparer du terreau pour ses fleurs. Le semeur n'a jamais fini de jeter la graine et de s'émerveiller à chaque éclosion, comme une promesse du Royaume.

Voix d'Afrique

 

 

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