Autobiographie Père Georges Jeanney
Un siècle de souvenirs
Le 22 juin 2006 à Bry-sur-Marne
Le Père Georges Jeanney
fête son centième anniversaire
Missionnaires dAfrique
8 rue du Bois-de-Chênes
94366 Bry-sur-Marne
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Le style oral du texte a été conservé avec tout ce que cela implique
1906-1923
Jétais assidu aux offices du dimancheCest le 22 juin 1906 que je suis né à Besançon, où vivait ma famille, exerçant le métier de commerçants. Mon père Auguste et ma mère Louise formaient avec leurs quatre enfants une famille très unie. Je suis le benjamin de la famille : Louis alors a 11 ans, Marcel 7 ans et ma sur Marguerite 2 ans.
Mon enfance est marquée par la profession de mes parents : épicerie corderie, avec tout ce que cela peut supposer de marchandises, et des odeurs qui les environnent : de poivre, de girofles, de vanille et de cacao, de soufre et de salpêtre et de bien dautres parfums qui donnaient aux épiceries dautrefois un cachet bien particulier. Ma mère est obligée de partager son temps entre le commerce et la famille
Des événements douloureux marqueront mon enfance. En 1910, les inondations : il y avait 1 m 30 deau dans le magasin. Il y eut beaucoup de dégâts non remboursés par les assurances. Il y eut surtout la maladie de papa et son décès en 1912. Javais alors 6 ans.
Ma mère dut alors diriger la boutique, aidée par sa belle-sur, elle-même veuve avec 3 enfants. Nous devions nous rendre utiles à la maison et au magasin. Maman est décédée en 1918.
À lâge de six ans, lécole saint Joseph, accueillait lenfant que jétais, comme il avait accueilli mes frères aînés. Jy suis resté jusquà lâge de 11 ans. Ma mère voulait quun de ses fils soit prêtre. Durant toutes ces années jétais assidu aux offices du dimanche et servais la messe chaque matin à léglise saint François. Comme à la maison on parlait beaucoup de vocations et que les missionnaires passaient de temps en temps, on a pensé au petit séminaire. Le curé de la paroisse ayant conseillé Luxeuil, cest là que je me rendis, accompagné par ma mère, à la rentrée de 1917. cest là que je fis mes études secondaires pendant 7 années, de la classe de 7ème à la rhétorique.1924-1931
Je décidais de rentrer chez les Pères BlancsEn1924, le premier bac en poche, je décidais de rentrer chez les Pères Blancs. Alors pour entrer chez les P. B., jai écrit directement au directeur de Kerlois. Il y avait beaucoup de vocations, mais le diocèse naimait pas laisser partir !..
Un jour le directeur mappelle et me montre une lettre du supérieur de Kerlois. Il me dit alors : Pourquoi ne lavez-vous pas dit ? - Parce que vous ne mauriez pas laissé partir !- Mais on laisse partir, on nest pas contre les Missions- Sans passer par la hiérarchie, je suis parti directement à Kerlois où jai fait deux années de philosophie. Puis je me suis rendu à Alger pour faire une année de Noviciat, à Maison-Carrée, en 1924-1925. En 1925, jallais à Carthage (Tunisie) pour faire quatre années de théologie. En 1930, le 28 Juin, je suis ordonné diacre et, le 29 Juin 1931, prêtre à Carthage.
29juin 1931
Le jour de mon ordination, je suis nommé en KabylieLes supérieurs mavaient demandé où je désirerais être nommé. Javais répondu : En Afrique Noire pour faire beaucoup de baptêmes.. Le jour de mon ordination, jai appris que jétais nommé en Kabylie. Cest bien, je suis en Kabylie, je suis en Kabylie. !
Après avoir célébré une première messe à léglise saint François de Besançon, je suis donc parti pour rejoindre lAlgérie et ma première nomination en Kabylie. Jy suis arrivé à la mi-juillet 1931 : au poste de Bou-Noh. Jappris alors quon navait pas le droit dy faire des baptêmes denfants, si ce nest de ceux qui allaient mourir.
Pendant trois années jallais soigner les malades au dispensaire dans la matinée et les après-midi jallais dans les villages. Pour ce qui est de la langue : à ce moment-là, en principe on ne soccupait pas beaucoup de létude de la langue. Jai fait un an là, à Bou-Noh, avec un brave Kabyle, intelligent. Le seul inconvénient, cest quil buvait Avec lui, jai appris un à peu le kabyle, autant que jai pu, cest-à-dire : pas beaucoup ! À cette époque, on avait voulu réunir tous les supérieurs pour leur faire faire une année de kabyle à Bou-Noh. Comme ils ne sont pas venus, nous sommes restés deux élèves dans ce Centre de Langue : Devulder et moi. Cependant, il y avait des Pères qui parlaient très bien le kabyle.
À Bou-Noh, comme dans la plupart des postes, il y avait une petite chrétienté : une centaine peut-être. Il y avait une école pour les garçons tenue par les Pères et une pour les filles, dont les Surs Blanches avaient la charge. Elles apprenaient aux filles vannerie, couture, chant, puis elles ont commencé à leur faire la classe à linsu des vieux du pays. Lorsque les meilleures ont été capables de passer leur certificat il a fallu les conduire à Tizi-Ouzou, en cachette. Mais celles qui ont réussi ont été fêtées, et après il ny eut plus dopposition de la part des anciens.
1934
À 28 ans, je passe mon certificat détudesEn 1934, je suis nommé à la mission de Ouarzen. Jétais au dispensaire et soignais les malades. En plus du dispensaire, je dirigeais lécole primaire avec des instituteurs kabyles. Nous avions une centaine délèves que nous gardions jusquau Certificat dÉtudes. Un directeur décole doit avoir le Brevet ; comme je ne lavais jamais passé, jai dû me rendre à Tizi Ouzou pour passer cet examen à plus de 28 ans ! Je devais en outre faire des visites dans les villages de la montagne pour soigner les malades et distribuer des médicaments. Durant les deux années passées à Bou-Noh, jai eu à moccuper de la construction de léglise.
En 1936, je reçois un coup de téléphone du Régional : Mon Père si vous pouvez venir à Benni-Yenni, on a besoin de vous ! Je veux bien, je vais me préparer pour lannée prochaine ! Non, ! vous allez venir demain - Je suis arrivé le lendemain -. Alors il faut que vous fassiez la classe aux 6èmes, les maths et la géométrie aux 3èmes, que vous les initiez au dessin et que vous preniez léconomat de la maison.- Je suis resté à Benni-Yeni trois ans.
Mobilisé École dOfficiers Service de Santé, à Rennes
Fin 1939, jai reçu mon ordre de mobilisation qui était à Constantine. Là, réformé pour insuffisance mitrale, jai néanmoins été mobilisé comme infirmier. Un jour, le sergent est venu, demandant qui avait le Bac : Tous ceux qui ont le bac partent en France. Ceux qui ne lont pas, vont passer un examen. Jai été reçu, et alors je suis parti à lÉcole dOfficiers dAdministration du Service de Santé de Rennes. Vers le 19 juin, tout le monde savait que les Allemands avançaient et le Directeur de lÉcole, qui était un curé, nous interdisait de sortir. Si il y en a un qui sort, je le porte déserteur Il a fait venir des bus pour nous évacuer. Alors on a fait 3 km en dehors de Rennes, on était accueilli par les enfants.
Jai été prisonnier de juin jusquen hiver. Ensuite je me suis retrouvé électricien spécialiste ! Nous sommes restés une quinzaine de jours ou 3 semaines à Rennes, sans rien faire. Après cela, des camions allemands sont arrivés et on nous emmenait tous les jours au terrain daviation pour creuser des lignes. On partait à 6 heures et, moi, dès 5 heures jallais dire ma messe. Nous étions environ 4 000 que lon répartissait pour différents travaux. Pour moi, dans un groupe qui faisait du terrassement. Jy suis resté 6 mois.
Puis jai rejoint la rue Friant, où je suis resté trois mois. Je nétais pas démobilisé, mais comme étant du Service de Santé, ils navaient pas le droit de garder prisonniers des gens des Services de Santé. Un beau jour, jai appris que dans une gare de Paris il y avait un officier allemand qui donnait des exeat. Jai été cherché mon exeat, puis je suis allé à la gare de Lyon où jai pris un billet pour Confolens (Charente) où mon frère Louis sétait réfugié avec sa famille. Je nétais pas démobilisé, mais libre quand même. Je suis resté 3 mois en cette vie familiale.
1941
Tizi Ouzou : scouts et centre de travailAprès ces trois mois je suis rentré en Algérie, et là, après avoir dabord été chez les Beni Heni, jai été nommé à Tizi-Ouzou. Cétait un poste nouveau, la première ville quon avait. Alors le Père Landru (le Régional) ma présenté Je vous présente le Père Jeanney, cest lui qui va soccuper de la ville de Tizi-Ouzou et jespère que dans trois ans, on verra quelque chose ! Et après, les jours ont suivi et deux mois plus tard Mgr Birraux est arrivé pour bénir la chapelle. En trois mois, quest-ce quon peut faire ? Jai fait une troupe scoute, jai fait construire des baraques, puis on fabriquait des corbeilles et on distribuait de la nourriture à la population. Jai également réuni des jeunes qui étaient sans travail et jai créé un petit Centre professionnel. Je suis resté deux ans à Tizi-Ouzou, puis jai été remobilisé (je navais jamais été démobilisé) Après la libération, en 1943, jai été à Alger, comme aumônier dhôpital (hôpital sous tentes). Doù je suis allé à Bizerte où on constituait cet hôpital Militaire de la 1re Armée Française.
1943
Remobilisé : aumônier, Italie, FranceEt un beau jour on nous a dit : « On embarque pour lItalie » ! Avec le corps expéditionnaire, on embarque à Bizerte et, après trois mois de mer nous avons débarqué à Puzzoli, dans la baie de Naples.
Les hôpitaux étaient sous des tentes et se déplaçaient au fur et à mesure que les troupes avançaient. Successivement nous avons pris : Caserta, Cassino, Rome et Sienne.
La guerre dItalie était commencée ; on était cinq hôpitaux qui se chevauchaient, à mesure quon avançait. Le plus avancé recevait les blessés du front, et les autres au fur et à mesure. On a remonté lItalie jusquà Sienne ; et là, tout dun coup, on a reçu ordre de plier bagages, on nous a ramenés à Tarente, plus au sud, durant deux ou trois mois, pour préparer le débarquement en France Puis un beau jour on nous dit : Vous embarquez. ! Finalement, aux environs du 15 août 1944, on a débarqué à Cavalaire, dans le sud de la France. Nous avons monté aussitôt nos tentes-hôpital. Jétais chargé du Foyer et naturellement de la visite aux blessés et aumônier. On était le seul lhôpital équipé, mais toujours sous la tente.
Après la campagne de Hyères, on est remonté dun seul coup sur le Doubs, avec la libération de Besançon le 8 septembre 1944, et linstallation des hôpitaux au Petit Séminaire de Consolation, ce qui constituait un grand progrès par rapport à lhôpital sous la tente. Tous les prisonniers étaient alors dispersés, et on voulait les regrouper pour faire un inventaire ; mais on se rendait bien compte que les grouper, cétait pour les emmener en Allemagne. Alors je suis allé trouver le colonel, je lui ai dit : Mon colonel, jai dépassé lâge où on peut être encore mobilisé. Je viens vous demander ma démobilisation. !
1945 - 1939
Tagmount-TazouzDe retour en Kabylie en 1945, je suis donc nommé à Tagmount-Tazouz, et le Père Landru, qui my a nommé, ma donné deux Pères qui sortaient du Centre de kabyle de Ouarzen. Jy suis resté trois ans. Jai continué dapprendre le kabyle. En 49, jai même prêché une retraite en kabyle.
1950-1959
en France : service photos et OPMAprès je suis allé à Tassy, où je suis resté 3 ans, après je suis allé rue Verlomme, où lAssistant Provincial : le Père Mouthon, Provincial, et le Père Jacques Masson, économe Provincial, féru de photographies, a demandé sil ne pourrait pas y avoir quelquun disponible pour le service photo. Le Père Mouthon, sachant que je mintéressais à la photo, ma nommé pour ce service. Alors je suis parti pour Bonnelles (1951), parce que Verlomme nétait pas encore, équipée. Jy ai fait une année. Lorsque la Province sest installée à la rue Verlomme jy suis venu (1952) avec tout mon matériel. Je recevais les films des confrères, exécutais le travail et leur réexpédiais les photos. Jai pu alors récupérer tous le matériel qui traînait dans nos maisons.
Je suis resté neuf ans rue Verlomme. La photo, cest bien ! mais je ne me suis pas fait missionnaire pour la photo, alors les deux dernières années, jai trouvé un grossiste qui me faisait tous les travaux à un prix très intéressant. Je lui confiais donc les travaux que je réexpédiais ensuite aux confrères intéressés. Quand jétais à Mours, jai rencontré, Monseigneur Bretault, évêque de Koudougou, très intéressé, car il recourait beaucoup aux photos pour trouver des bienfaiteurs et les intéresser aux uvres de son diocèse, qui en avait bien besoin.
Ensuite jai été Délégué pendant deux ans pour les uvres Pontificales Missionnaires (région parisienne). (1957-59).
1959 - 1960
Retour en Algérie : N. D. dAfrique, directeur décole,En 1959, je suis retourné en Algérie. Le Père Régional, Jean Fisset, ma retenu à la rue des Fusillés à Alger. Jy suis resté deux années à faire le travail quil mavait demandé. Jétais chargé des contrats avec les Centres Professionnels. Jai aussi créé une troupe de scouts et un Centre de dépannage pour les enfants kabyles.
Au mois de juillet 1960 jai été nommé au poste de N.-D. dAfrique Mon travail consistait à aider les confrères au ministère de la paroisse et javais aussi la charge dune petite école paroissiale, qui comptait une centaine denfants. À ce moment-là elle avait pour directeur, un français. Le Père Cazoneau me dit :Tu seras chargé de lécole, mais il y a un directeur, alors il ne faut pas lembêter. Ce directeur, parti en vacances, écrit quelques jours avant la rentrée quil ne reviendrait pas. (1959-1960). Alors Cazoneau ma dit : Père Georges vous allez vous occuper entièrement de lécole de la paroisse. Il ny avait alors encore aucune inscription délèves pour la rentrée, rien nétait préparé et javais pour maider une institutrice qui était sur place. Je devais trouver un autre enseignant. Alors jai pris moi-même la classe du Certificat dÉtudes. Dès le jour de la rentrée nous avions fait le plein des cinq classes. Officiellement je suis resté à N.-D. dAfrique jusquen 1976, mais après une année où javais la petite école en charge, le petit séminaire était vide. Le Cardinal Duval a alors demandé aux P. B. si un Père ne pourrait occuper les lieux et y faire une école pour les musulmans.
1960 - 1976
Le petit séminaire devient une école pour musulmansUn jour la Mère supérieure de lécole des Surs ma annoncé quil était question quon me confie la charge du petit séminaire. Quelques jours plus tard jétais convoqué à une réunion avec le Cardinal et le Vicaire Général, le supérieur de N-D dAfrique et le supérieur de la maison. Le Cardinal me fit la proposition suivante :Le petit séminaire est vide, est-ce que vous accepteriez de le prendre en charge et den faire une école pour les musulmans ? - Bien sûr, pourquoi pas, répondis-je ! - Vous savez, il ny a jamais eu plus dune centaine délèves dans ce petit séminaire, objecta le supérieur, et la maison nest pas du tout organisée pour en faire une école. Il ny a que des dortoirs çà ne peut pas réussir ! Jai pris le Cardinal à part et lui ai dit que je pourrais essayer. - Alors, dans ce cas, on va faire un essai et on aménagera la maison, conclut le cardinal.
Pendant les vacances de 1961, jai été visité le petit séminaire (vide), qui avait été construit à la mode algérienne, avec à chaque étage des piliers qui soutenaient le plafond et les piliers de létage supérieur et ainsi jusquà la terrasse Il fallait enlever les piliers qui étaient dans les dortoirs, pour en faire des salles de classe. Le cardinal me conseilla de consulter un architecte qui nous fit un plan qui prévoyait, à la base, un mètre cube de béton au rez-de-chaussée, mais le maçon estimait quon ne pouvait pas enlever les anciens piliers. Jai fait appel à un kabyle qui plaça des fers à T au plafond, en travers des salles, et on put enlever les piliers, sans provoquer deffondrement du bâtiment. Javais un peu dangoisse, mais ça a très bien marché et on a attaqué les autres piliers ! Il y avait ainsi cinq salles
Au jour, (1960), de la rentrée, bien que lon nait rien dit officiellement, il y avait foule dans la rue qui tapait à la porte, ils étaient environ trois cents pour le primaire alors. . Comme il y avait des classes vides dans le séminaire, deux ans plus tard jai repris le secondaire pour conduire jusquà la classe de 3ème, jusquau Brevet. Comme personnel : une dizaine de coopérants venant de France. Et javais, en outre, une dizaine darabes venant de divers pays du Moyen-Orient et une quinzaine de kabyles. Jy suis resté jusquen 1976 : seize années !
1976- 2006
Retour définitif en France : économe, curé... BryCest en 1976, javais alors 25 salles que je suis rentré définitivement en France. Je suis allé me présenter à la Province pour apprendre que jétais nommé à Tassy. Cest bien, je vais à Tassy ! , mais je ny suis pas arrivé. Jai reçu un coup de téléphone du Provincial : Est-ce que vous pourriez aller à Pau : on a besoin de quelquun à léconomat. ? . Alors je suis allé à léconomat de Pau. Mais, au bout de quatre ans, comme je souhaitais faire du ministère, on ma renvoyé à Tassy ! En my rendant jai rencontré le Père Marsil qui était à Narbonne.- Que vas-tu faire à Tassy dans une maison de retraite ? - Alors jai fait des démarches auprès de lévêque et auprès du Père Provincial. Jai été nommé curé à Luc-sur-Orbieux, avec la charge de trois paroisses. Au bout de deux ans, lévêque ma demandé si je voulais aller à Narbonne-même. Le curé de la paroisse saint Paul ne sentendait pas avec ses vicaires. Alors, il me dit : Voyez ce curé je ne peux pas le changer, alors naccepteriez-vous pas de faire connaissance avec lui. ? Quand voulez-vous que jy aille ? Je suis donc allé à Narbonne, à la paroisse saint Paul, où jétais presque curé. Après ces quatre années passées à Narbonne, on ma nommé à Mours où je suis resté cinq ans, comme économe. Puis, en 1989 jai été nommé à Paris, rue du Printemps, toujours comme économe durant deux années ; après quoi, je suis rentré, le 29 septembre 1991, au Foyer de Retraite de Bry-sur-Marne où je réside actuellement.
Dis-nous ce qui t'a motivé
Quest ce qui ta motivé ?
Si jai voulu être Père Blanc, cest parce que je voulais être un prêtre, un missionnaire. À travers toutes ces activités denseignement, de sanitaire jai été un missionnaire. Je pensais être missionnaire en Afrique Noire Et je nai pas pu baptiser, mais jai toujours eu la conviction que par tout ce que je faisais en Kabylie et ailleurs, jétais vraiment missionnaire. Je me levais à 5 heures, faisait méditation, chapelet, messe et exercices. Ce qui nourrissait ma vie, cétait lunion du Seigneur, la prière.
À travers ta vie longue et variée, tu ne peux pas ne pas avoir rencontré ici ou là des difficultés. Ne serait-ce que ta première nomination. !
Je lai acceptée. À cette époque-là on navait pas lidée daller trouver un supérieur pour lui dire ce quon voulait. Il y a sans doute dautres difficultés rencontrées au cours de ma vie missionnaire.
Dans nos communautés, la difficulté de vie commune venait parfois de ceux qui composaient nos équipes : Certains venaient dAfrique Occidentale, je ne sais pas pour quoi, mais ils ne sintéressaient pas à la mission en Kabylie. Ils navaient aucun souci dapprendre la langue.
La vraie difficulté de la mission kabyle, cest que cétait une mission au sens spirituel : aller soigner les malades, à chacun de le faire au dispensaire ; mais à 14 heures quest-ce que je vais faire ? Je prends le courage à deux mains pour grimper par les petits chemins et aller visiter les gens Au début jemportais ma boîte à remèdes, alors on ne pouvait presque plus parler, car jétais envahi de gens.
Une autre méthode, jinscrivais dans un carnet. Mais tous les jours il faisait chaud et il y avait même des jours où on nétait pas sûr de rencontrer des gens Cest cela qui était la difficulté.
Non ! Je nai pas connu le découragement, mais je nai pas toujours fait leffort nécessaire ; mais quand dans la maison tu es le seul à avoir contact avec les gens, avec les malades et dans les sorties ! Les contacts personnels avec les gens tournaient autour des problèmes de santé ; Mais les contacts étaient plus faciles avec la petite communauté chrétienne. Avec les autres peu de sujet de rencontre. Ils avaient des idées sur la vie des Pères. Pour eux, croire que nous navions pas de femme, était incroyable. Notre situation nétait pas comprise, mais acceptée !
Parle-nous des souvenirs que tu gardes des confrères avec qui tu as vécu.
Ils sont en général très bons ; ce que jexprime à présent en toute simplicité et pour être vrai, sont les suivants : il y avait un certain malaise avec ces Pères qui étaient étrangers à la mission de Kabylie. Ils venaient dAfrique Occidentale ou dailleurs et ne sintégraient pas ici.
Je me souviens que, lorsque jétais à Ouarzen, il y avait un Père qui était là. Sa chambre était noire. Il fermait toutes ses fenêtres et restait toute la journée dans sa chambre fermée ; alors il venait à table et souvent il faisait des critiques sur ce que je faisais. Un jour le supérieur, qui était un homme dâge, la interpellé à table : Et vous qui ne foutez rien, pourquoi avez-vous à critiquer toujours les autres ? Nous avons vécu trois ans avec lui. À part cela, on sentendait bien.
Dans lensemble, en Kabylie, la vie de communauté fut un échec : Lorsque je suis revenu pour la deuxième fois en Kabylie, jétais nommé à Tagmount. Le Père Landru me dit Je vous confie Tagmount et vous aurez deux confrères jeunes qui sortent de lécole de Langue de Ouarzen. Alors je suis parti comme cela, en chantant ; et à ce moment-là il y eut une décision du Supérieur Général disant : Il y a trop de gens qui circulent dans vos maisons, il faut faire des communautés. Les maisons nétaient pas construites de telle manière quune partie soit réservée aux Pères. La maison était ouverte à tout le monde. Jétais surtout occupé à recevoir et je nai pas beaucoup pensé à accueillir mes deux jeunes
Petit à petit, jai supprimé un à un tous les jardins, parce quils étaient prétexte pour les confrères à rester à la maison et ne pas sortir.
Trois ans après, le Régional arrive un jour et me dit : Voilà vous êtes changé, vous allez aller en France. Je me suis rendu compte quun visiteur qui était passé à Tagmount, avait dû lui dire : Il ne soccupe pas de nous ! Alors ils mont changé ; et cest de là que je suis venu à la rue Verlomme. Cette expérience-là elle était pour ma part vraiment ratée parce que vraiment jétais occupé par dautres choses et ne me suis pas occupé suffisamment des confrères. Je ne men rendais pas compte : javais une voiture, je prenais les Surs le matin, les amenais dans un bled et jallais les rechercher le soir ; mais je nai jamais eu lidée de faire cela par exemple avec mes deux confrères, les deux jeunes Pères qui sortaient de lÉcole de Langue. Lun deux était un peu neurasthénique Alors on peut dire qualors jai échoué. ! Oui cest une difficulté ; autrement, cest comme ici, à table on se voit, on parle. On avait des conseils, on parlait de tout, mais on na jamais parlé des relations entre nous. Sûrement jétais très pris par mon travail mais je ne men suis pas rendu compte. Jaurais pu men apercevoir, puisquavec les Surs on sentendait bien. Mais avec les Pères, cela ne mest jamais venu à lidée.
Dans ta vie missionnaire, là-bas ou ailleurs, as-tu eu des souvenirs marquants ?
Il y avait les fêtes ! Chez les chrétiens et les kabyles on aime bien les fêtes avec beaucoup de joie. La première fête cétait Noël ; celle-là, elle ma marquée ! Et puis il y eut un dimanche, la première messe dun prêtre kabyle, le premier baptême que jai fait dun kabyle, et les premières promesses scoutes des enfants. Quand jarrivais à Tagmount, le Père Lemoine qui me précédait lui, fonçait sur les conversions et vivait à la dure.
Quand jétais à Tagmount il y avait deux gars qui voulaient être chrétiens. Quand jai parlé de cela, on ma dit : Oh ! pour être chrétien, il faut quil soit marié, quil ait du travail et que son village accepte quil vive, avec son foyer, dans le village. Lun des deux est parti en France, lautre est resté. Il était moniteur dans lécole. Un jour, je le trouve grignotant une galette. Il me dit : Je ne vais plus à la maison, mon père ne veut pas que je sois catholique ! Tu ne seras jamais baptisé, si tu nes pas à la maison !- À force de harceler son père qui était membre dune confrérie, il a fait venir le Cheik qui a entrepris mon gars - :Tu vois, tu es un bon garçon, tu as ta religion, pourquoi tu veux changer de religion ? Parce que je suis honnête Ils ont bavardé, discuté. palabré des heures. Puis à la fin il a dit à mon papa : Tu ne te plains pas de ton fils. - Pourtant il est bien et il mapporte son salaire -. Alors, laisse-le, cest son idée ..et quand il sera marié, tu laccueilles dans ta maison. Mais il fallait après que le jeune couple soit accueilli par le village. Alors, il a défendu sa cause devant les vieux qui ont finalement accepté que la femme et les enfants puissent eux aussi sinstaller dans le village. Il fallait encore recourir à lautorité religieuse chrétienne autorisant le baptême : elle avait mis des conditions très restrictives aux baptêmes. La raison invoquée : la prudence ! si vous baptisez, vous allez susciter des mécontentements chez les musulmans. Lautorité religieuse finit, elle aussi, par accepter.
Quest-ce qui ta marqué le plus dans tes activités en Kabylie ?
Jen garde un très bon souvenir Comme réussite : je soignais bien les malades, jarrachais des dents, jétais devenu célèbre pour cela dans tout le secteur. Autrefois, on était apte à accomplir une mission lorsquon était nommé : si on te nommait au dispensaire, tu étais capable de soigner les malades ! Quand je suis arrivé à Michelet / Ouarzen pour faire la retraite de huit jours, le Père Landru ma dit :Voyez Père, cest le dispensaire, vous ny connaissez rien, alors jai fermé à clé ; comme çà vous ne serez pas embêté. Huit jours après jai été à Bouno où jétais nommé. Le Père ma dit : Le Frère fait le dispensaire, il veut continuer ; alors allez le voir et voyez tout ce que vous pouvez faire
Au point de vue construction, il y a dabord léglise de Michelet, construite de mon temps. Au Centre saint Augustin dAlger, jai eu à faire les travaux daménagement pour rendre les locaux du petit séminaire compatibles avec un collège : pour avoir des salles de classes.- De larmée aussi, jai gardé un bon souvenir : cest la belle vie, on est entraîné. De nulle part, je garde un mauvais souvenir.
De 1959 à 1961, à la demande du Père Fisset, jai organisé un Centre professionnel, établissant un statut avec le gouvernement, javais aussi les Curs Vaillants et un groupe de jeunes. Ainsi durant deux ans jétais rattaché à la rue des Fusillés.
Pour résumé, limpression que tu gardes des confrères ,
Elle a été rendue à la fois difficile à cause des directives pastorales pour admettre au Baptême des gens quon trouvait pourtant bien disposés et qui envisageaient le baptême ; difficulté également du fait que, tout donné à mes occupations à linfirmerie et à lenseignement, à Tagmount, je ne moccupais pas assez de mes confrères
Et la vie à la mission se passait comment ?
La spécialité de cette mission kabyle cest que nous avions de petites chrétientés qui occupaient beaucoup les Pères. Elles étaient un peu cajolées et cest vers elles que se portaient principalement et tout naturellement les activités des confrères. On passait beaucoup plus de temps avec nos chrétiens, qui étaient une centaine, quavec tout le reste de la population
La vie de communauté : nous avions toutes les prières et exercices en commun (trois heures). La lecture spirituelle à une heure et demie ! Un jour que je faisais la lecture, ils dormaient tous, alors je suis parti tout doucement. Aux conseils on traitait surtout des problèmes qui avaient trait à la petite chrétienté : son organisation et puis on faisait son boulot, on ne se posait pas de questions les jours se suivaient ; maintenant quon me pose ces questions, je ne sais pas celles que lon se posait alors. On ne se posait pas de question. Quand le Cardinal a envoyé les pères, il y avait interdiction évidemment de tout aspect religieux.
Donc les pères le savaient mais les pères, eux, étaient pleins de dynamisme missionnaire. Mais ces problèmes je ne les ai pas trop ressentis car, en 1911, le Père Marchal a ramené une situation aussi sévère que du temps du Cardinal et, du jour au lendemain, cest lui qui régentait toute la Kabylie. Moi, je suis arrivé en 1930, donc sil y avait eu des réticences, elles étaient apaisées.
Tu nous parles beaucoup de problème, mais il y a eu aussi des réussites ?
Ce qui a réussi, cest de 1962 à 1976, le collège.
On a fini avec 1 000 élèves. Jétais tout seul durant seize ans au collège saint Augustin, lancien petit séminaire dAlger. Comme professeurs javais une dizaine de coopérants militaires, venant de France ; une dizaine de coopérants arabes pour enseigner, qui venaient de tous les pays du Moyen-Orient. Et moi-même, dans ce collège, jassurais la direction et ai eu part, au début, à lenseignement.Lenseignement secondaire allait jusquà la classe de 3ème, avec le Brevet. En dehors de lenseignement secondaire, les problèmes religieux nétaient pas abordés. Tous les élèves ou presque étaient musulmans Durant ces seize années passées à lécole et au collège saint Augustin, jétais en communauté à N.-D. dAfrique mais, pratiquement, jallais à la communauté le samedi soir. Jen vins à loger au collège où il ny avait pas de surveillance la nuit. Ainsi jai vécu pratiquement un peu seul pendant seize ans.
La plus belle journée que tu as eue ?
Lordination à Tagmount.de labbé Ramart. Il y a eu aussi, un dimanche, le baptême et la première Promesse Scout des Jeunes
Que voudrais-tu laisser comme message et appel aux jeunes Missionnaires dAfrique ?
Un missionnaire, cest quelquun qui va annoncer lévangile ; et les confrères de lancien temps lont fait dune façon merveilleuse, et maintenant toutes les directives quils semblent recevoir cest : Justice et Paix, tout ce qui est aide sociale. Il ne faut pas oublier les deux !
Ma joie cest que, étant entré chez les P. B., je navais pas de souci à me faire pour lavenir et puis les travaux quon ma demandés mont toujours plu. Jai toujours été heureux dans mon travail et jai remercié le Bon Dieu de ne pas avoir rencontré trop de contradictions. Que veux-tu ! Je ne suis pas un introspectif : laction de grâce, cest le résultat de la réflexion. Dans les différentes étapes de ma vie, je ne remercie pas beaucoup le Bon Dieu ; cest vrai quil ne maide pas beaucoup à le remercier ! Mes rapports avec le Bon Dieu sont bien sûr la prière. Mais lorsque je vais à la chapelle, jai toujours des petits papiers, car je suis incapable de parler et suis distrait. Alors je prie par lintermédiaire des autres, jai des petits livrets de prière
Pour résumer ma vie en quelques mots qui expriment un peu ma pensée : Jai été un bon enseignant, un bon médecin., jai surtout regardé vers le travail. Jétais enseignant, je navais pas à me casser la tête : le travail, il était fixé avec la cloche ; quand jétais soignant le matin, cétait clair : jétais au dispensaire avec les malades. Laprès-midi, cétait une question de courage. Fidélité et courage ont toujours été pour moi lidéal de ma vocation missionnaire. Je nai pourtant pas limpression davoir été courageux : jai fait ce que javais à faire dans la fidélité. En Kabylie, on le sentait, car dans un poste il y avait un ou deux qui ne faisaient rien, ils nétaient pas de la mission. Je peux dire que je nai jamais eu, dans les maisons de retraite, à Mours ou à Pau, des remarques des confrères. Je ne sais pas sils ont apprécié mon travail ; mais jamais je nai eu spécialement de compliments. Ce nest pas les confrères qui, par leurs réclamations, mont fait sortir. Jai fait mon travail et comment !
Les jeunes confrères : quils soient bien fidèles à leurs exercices de piété ; çà va de soi et puis que, dans les situations où lon se trouve, on nest pas parfois poussé par le travail ; il faut réagir et veiller à ne pas perdre de temps. Pratiquement je crois ne pas avoir eu de problèmes de vie de communauté, sauf le cas de Tagmount où jétais, et où après trois ans on ma nommé ailleurs. Chacun travaillait alors de son côté. Je nai jamais fait de distinction pour savoir si ce que je faisais, cétait une activité personnelle ou faite au nom de la communauté. Quand jétais à Alger, au Centre St Augustin, jétais tout seul comme Père Blanc ; et je reconnais que quand javais un collège, jai peu demandé la collaboration des autres et les ai peu aidés. Je néprouvais pas le besoin de consulter ; je faisais mon travail. Il est certain que maintenant je ne ferais plus comme alors : je dirigeais, javais la responsabilité de tout ; et il y a derrière cela aussi de la timidité. Si jai un souhait à formuler aux jeunes, cest quils noublient jamais quils sont Pères Blancs, Missionnaires dAfrique chargés dimplanter la religion en Afrique : premier objectif ! Maintenant on nen parle plus. !
Si les supérieurs considèrent que Justice et Paix, cest évangéliser, je nai pas à le considérer puisque les supérieurs le font ! Par exemple, lorsque des confrères sont invités à nous parler, je les ai rarement entendus nous parler de la mission. Il y en a qui parlent du social, de laménagement des puits, des cultures, des handicapés. Il est vrai que si on mavait invité, jaurai donné la même impression, car en Kabylie cest presque le seul travail possible pour nous. Au début le Cardinal ne voulait pas de chrétiens. On a cédé en 1911 ; donc on a fait ensuite des baptêmes et il y avait des enfants quon nous donnait. On ne pouvait pas aborder des questions profondes avec les kabyles tant quils restaient dans leur milieu coutumier, en Kabylie. Avec les jeunes, on faisait beaucoup avec le scoutisme, en sen tenant à la philosophie scoute, et cela les prenait bien.
Et ta vie à Bry-sur-Marne ?
Je suis arrivé à Bry-sur-Marne en 1991 Léconome ne conduisait pas et linfirmier ne voyait pas assez pour conduire, si bien quà mon arrivée, jai fait pas mal de choses dans la maison. Je conduisais et javais pris pas mal dinitiatives, jétais alors le deuxième ou troisième dans la maison. Javais aussi beaucoup dactivités extérieures :: une maison de retraites avec mes soixante pensionnaires. Puis elle a été fermée, alors les pensionnaires se sont dispersées et jai été les voir dans dautres Centres. Avec lâge, le nombre a diminué ; jen avais encore gardé quatre que je nai jamais abandonnés. Les autres activités que jai faites dans notre maison de Bry, il y a sûrement celle du jardin !
Lan dernier, à cette époque-ci, je travaillais trois heures par jour au jardin. Je moccupais des semis, des plantations, de larrosage, etc.. Maintenant je dors souvent, et puis jassure seulement une heure de travail par jour où je continue à planter des petites fleurs pour rendre le jardin agréable. Ces deniers temps, je suis tombé plusieurs fois durant le travail et me suis relevé tout seul. Un jour : récemment, comme je nai pas pu signaler ma présence, et que jétais un peu éloigné de la maison, la communauté ne sest aperçue de rien et cest le soir, en remarquant mon absence au souper, quon sest mis à ma recherche et quon ma trouvé et ramené Tout est bien qui finit bien ! Mais ces chutes ne mont jamais arrêté dans mon travail que je compte bien continuer encore longtemps.
Inch Allah !(livret et photos Jean-Yves Chevalier)