Jai
commencé ma vie missionnaire en milieu de première évangélisation,
les Sénoufo-Minyanka du Mali, de vrais paysans,
gens de la terre. Pendant 8 ans, je my suis investi avec joie,
touchant de près le socle terrien, païen,
de tout homme, moi compris. Suivirent ensuite 14 années au
lancement de lInstitut Catholique de lAfrique de lOuest.
Ayant fait des études de sciences humaines et les enseignant,
je nimaginais pas que la suite de ma vie de prêtre se
passerait au service de la vie religieuse (masculine comme féminine).
Bien sûr, comme missionnaire ou comme enseignant, javais
aidé des jeunes pour leur discernement, javais aidé
telle ou telle religieuse dans son cheminement, et même prêché
des retraites
Mais deux événements déterminèrent
pour moi une orientation plus précise.
Elles nont personne pour les accompagner
Une
religieuse que javais eue comme étudiante à lICAO
mavait invité à venir dans son monastère
pour son engagement définitif. Jy suis arrivé
à lavance, comptant prendre quelques jours de détente
sur place. Le premier jour, la prieure vient me parler : Quatre
soeurs font leurs voeux en même temps. Elles nont personne
pour les accompagner. Pouvez-vous le faire ? Je me suis défendu
: Non, jai besoin de me reposer ; non, je ne suis pas
moine ; non, je nai pas apporté de notes pour prêcher.
Si javais eu une meilleure connaissance des religieuses, jaurais
su davance que, quand des soeurs ont décidé quelque
chose, elles lobtiennent ! Et le contrat fut conclu avec lintervention
de celle qui me connaissait : Oui, tu nes pas moine ;
oui, tu nas rien préparé à avance
; oui, tu veux te changer les idées ? Nous ne te proposons
rien dimpossible : contente-toi de nous dire qui est pour toi
Jésus-Christ ! Piégé ! Je ne pouvais pas
refuser de transmettre ce qui me fait vivre.
Me
voilà embarqué à rendre compte de ma relation
au Christ. Ceci durant 4 matinées et devant quatre jeunes femmes
qui voulaient vivre uniquement du Christ. Elles senfermaient
pour toute la vie dans une brousse vraiment pauvre. Je les ai sans
doute aidées, mais en retour, elles mont donné
un coup à lestomac : nous, missionnaires, nous nous donnons
au Christ dans sa mission. Mais se donner à son Père
sans plus préciser, cest autre chose. Je découvrais
ici la configuration au Christ dans sa solitude et sa
radicalité. Je constatais la limite des formations que nous
donnions, aux étudiants de théologie comme aux catéchumènes
en paroisse. Cest ce mystère de la relation à
Jésus qui est au coeur (qui devrait être au coeur) de
tout cheminement : des catéchumènes, des chrétiens
adultes, des prêtres, des religieux et religieuses, des formateurs.
Les aspects intellectuels ne sont que le prolongement de la configuration
au Christ.
À partir de là, je continuais mon service à
lICAO, mais je voulais lélargir : dabord
en demandant pour moi une formation à laccompagnement,
ensuite en orientant mes contacts et mes préférences
en direction des religieux/religieuses et des laïcs. Jétais
lassé de madresser à de jeunes prêtres dont
certains semblaient motivés plus par la recherche des diplômes
européens que par lapprofondissement de leurs racines
africaines et de leurs conséquences en pastorale. Cest
alors quest intervenu le deuxième événement
qui ma orienté.
Je fus chargé de créer une
école de formation pour les maîtres
et maîtresses de novices en Afrique de lOuest.
Une école de formation pour les maîtres de novices
Par sa fonction, Étienne Renaud participait à des échanges
entre les supérieurs religieux et les évêques
de toute lAfrique: Rencontre des Collaborations Africaines (RCA/MAC),
organisme en lien avec le SECAM / SCEAM. À leur rencontre annuelle
de 1987, ils souhaitèrent une enquête pour connaître
létat de la formation des religieux. Jai été
chargé de cette recherche pour lAfrique de lOuest
francophone. En recevant les résultats fin 1988, les évêques
du SCEAM demandèrent de créer des filières de
formation pour les religieuses/religieux dans différents endroits.
Etienne connaissait mon désir et mes possibilités :
il proposa mon nom aux évêques, et cest ainsi que
je fus chargé de créer une école de formation
pour les maîtres et maîtresses de novices pour lAfrique
de lOuest.
En 1989, nous commençons une enquête sur la faisabilité
(lieu, finances, personnel et surtout orientation : qui viser et pour
quoi faire ?). En lespace de 6 mois, je rencontre individuellement
153 évêques, supérieur( e)s majeur(e)s, responsables
de noviciat en exercice en Afrique de lOuest francophone. À
cette période, 2 religieuses (une européenne et une
africaine) se joignent à moi ; nous rédigeons ensemble
le compte-rendu de lenquête.
Suit alors une période dintense activité pour
moi et pour léquipe qui sest élargie peu
à peu. Au coeur, nous portons une conviction : apprendre en
faisant est plus important quenseigner. À ma question
: comment former des gens de spiritualités et de charismes
différents ?, Etienne Renaud mavait répondu
en indiquant une piste : tous les religieux vivent la vie commune.
Appuie-toi sur la vie commune ! Doù la conception
de stages fermés qui permettent aux futurs responsables de
noviciat de vivre pour eux-mêmes la vie autour du Christ, ce
qui doit leur permettre ensuite de la transmettre à leurs jeunes
frères et à leurs jeunes soeurs du noviciat. Léquipe
permanente assure la continuité et la qualité de la
vie, les intervenants apportent leurs points de vue pour les sciences
humaines, les sciences théologiques et la pratique religieuse.
Marie, guide et mère pour le Centre
Mater Christi
et pour les formateurs religieux
Mater Christi
La qualité des formateurs et surtout lenthousiasme des
stages (jusquà 9 mois) ont fait de ces formations un
lieu de joie dans lengagement de chacun autour du Christ. Marie
étant sa mère, le Centre sest spontanément
appelé Mater Christi : Marie a été la maîtresse
dun premier novice, et de même quelle la tenu
sur ses genoux pour lui apprendre la prière (jimagine
même que Jésus a appris les mots du Notre Père
sur les lèvres de sa mère), les responsables de noviciat
doivent apprendre aux novices la prière et tout ce qui constitue
la vie des religieux.
Autour de ce coeur de formation, il nous a fallu créer des
structures. Après 6 stages et 12 ans derrance
dans différents centres dAfrique occidentale, nous avons
cherché un terrain, largent, les personnes, les statuts
civils et ecclésiaux. Jai eu le tort de ne pas tenir
un diaire de tout ce que nous avons fait : il y aurait de quoi écrire
un roman : le terrain de 7 ha à Bobo-Dioulasso et les tractations
avec les villageois (assis sur une souche au milieu dun terrain
nu, et posant leur index pour signer les papiers), le plan de 30 petits
bâtiments facilitant la vie ensemble, les murs en pierres rouges
de Bobo, la somme récoltée (1,5 million deuros)
en Europe, Amérique, Afrique. Plus important que les réalisations
visibles, il faut parler du réseau créé à
partir du Centre : non seulement les responsables de noviciat, mais
les jeunes profès/professes, les sessions pour les plus âgés,
les responsables de communauté, etc
Pour ces dernières
formations, le Centre élabore la pédagogie, mais les
sessions se font dans 7 pays dAfrique de lOuest et en
2 pays dAfrique Centrale, toujours sous la responsabilité
des conférences de supérieurs religieux des pays, avec
des animateurs formés par Mater Christi. Jai quitté
le Centre en 2004 et il continue vaillamment, donnant tout à
fait satisfaction pour les milliers de jeunes formés et les
centaines daînés et de formateurs. Mais il souffre
toujours de la difficulté des congrégations pour détacher
des formateurs pour cette oeuvre
Jai
quitté le Centre mais pas la formation : dans plusieurs pays
(Gabon, Centrafrique, Cameroun), jai eu à aider des congrégations
à se structurer, ou à approfondir une pratique. Et maintenant
que lâge me fixe en un seul endroit, je continue les retraites
et laide aux personnes : accompagnement spirituel, supervision
de responsables, conseils occasionnels, etc. Cela prend beaucoup de
temps, dautant plus que je ralentis de rythme ! Mais Skype et
dautres moyens de communication facilitent les choses.
En regardant le déroulement de ma vie, je constate plusieurs
éléments : Depuis mon entrée à Kerlois
(1952) jusquà maintenant (2013), jai vécu
plus de la moitié de ce temps hors dune communauté
PB au sens strict (14 ans à lICAO, 16 ans à Mater
Christi), et pourtant, je me suis toujours senti Missionnaire dAfrique,
envoyé par la Société. Cest de ce cadre
que jai toujours reçu confiance et soutien, encouragement
et invitation à faire du neuf : que ce soit par les supérieurs
majeurs ou par dautres.
Mon service de la vie religieuse a été pour moi une
expérience centrale : tout ce que jai fait avant Mater
Christ paraît mavoir préparé à cela
: le climat de ma famille (chrétienne mais pas conservatrice),
les études universitaires (socio, ethno, psycho, théologie)
et la fréquentation du monde non croyant, mon cheminement après
mon entrée chez les PB, ma fréquentation du monde religieux
(supérieurs, simples religieux et religieuses et leur appartenance
au Christ), les amitiés liées et ladmiration pour
ces personnes, ma conviction peu à peu (pas encore finie
)
attachée au Christ
Une image maide : licône du christ sortant du
tombeau
Et pour la suite ? Je voudrais déployer ce que je porte pour
le mettre au service des autres. Jai reçu, jai
essayé de donner, je veux donner encore. Les personnes, les
circonstances mont fait grandir en humanité et en Christ
: je le dois aux autres. Jai reçu, il me reste à
le transmettre. Une image maide dans ma prière : licône
du Christ sortant du tombeau. Il en est lui-même sorti et il
tend la main pour saisir les morts et les faire vivre. A chaque fois
que je téléphone, que jutilise internet ou Skype,
etc. jai conscience de tendre à quelquun une main
pour le faire grandir avec la main de Jésus.

Le Christ sortant du tombeau,
il en est lui même sorti
et il tend la main pour saisir les morts et les faire vivre.
Tout cela me fait prendre conscience que ce que je fais, cest
le Christ qui le fait à travers moi. Ici, il faut mettre un
gros bémol, car ce que je dis là est un idéal
entrevu, mais pas toujours réalisé. St Paul, décrivant
notre regard vers Dieu, parle dune vision imparfaite : comme
sil y avait une vitre, un miroir mal dépoli : on voit
sans voir. Je sais bien que cest le Christ qui unit ma vie de
lintérieur, mais ce nest pas exactement cela, pas
encore parfait ! Tous les détails ne sont pas encore en place,
mais limportant est que lensemble soit orienté
et unifié vers Jésus.
Je viens de parler de licône du Christ qui relève
les morts. Plus haut, jai parlé de Marie qui est guide
et mère pour le Centre Mater Christi et pour les formateurs
religieux. À ce rôle quelle a pour tous, jose
ajouter une note personne : Marie est pour moi une complice ! Toute
cette aventure, nous lavons menée ensemble
Et maintenant, au repos : nous continuons ensemble, elle et moi !
Pour vivre et faire vivre !
Jean Cauvin
Voir aussi ce qu'il écrivait
dans Voix d'Afrique en 2002