Missionnaires d'Afrique
France

Jean Cauvin, 50 ans de Serment, Friant : fondateur de Mater christi

Vivre et faire vivre
Au Service de la Vie Consacrée

J’ai commencé ma vie missionnaire en milieu de première évangélisation, les Sénoufo-Minyanka du Mali, de vrais “paysans”, gens de la terre. Pendant 8 ans, je m’y suis investi avec joie, touchant de près le socle terrien, “païen”, de tout homme, moi compris. Suivirent ensuite 14 années au lancement de l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest. Ayant fait des études de sciences humaines et les enseignant, je n’imaginais pas que la suite de ma vie de prêtre se passerait au service de la vie religieuse (masculine comme féminine). Bien sûr, comme missionnaire ou comme enseignant, j’avais aidé des jeunes pour leur discernement, j’avais aidé telle ou telle religieuse dans son cheminement, et même prêché des retraites… Mais deux événements déterminèrent pour moi une orientation plus précise.

Elles n’ont personne pour les accompagner
Le Logo du Centre Mater ChristiUne religieuse que j’avais eue comme étudiante à l’ICAO m’avait invité à venir dans son monastère pour son engagement définitif. J’y suis arrivé à l’avance, comptant prendre quelques jours de détente sur place. Le premier jour, la prieure vient me parler : “Quatre soeurs font leurs voeux en même temps. Elles n’ont personne pour les accompagner. Pouvez-vous le faire ?” Je me suis défendu : “Non, j’ai besoin de me reposer ; non, je ne suis pas moine ; non, je n’ai pas apporté de notes pour prêcher”. Si j’avais eu une meilleure connaissance des religieuses, j’aurais su d’avance que, quand des soeurs ont décidé quelque chose, elles l’obtiennent ! Et le contrat fut conclu avec l’intervention de celle qui me connaissait : “Oui, tu n’es pas moine ; oui, tu n’as rien préparé à ’avance ; oui, tu veux te changer les idées ? Nous ne te proposons rien d’impossible : contente-toi de nous dire qui est pour toi Jésus-Christ !” Piégé ! Je ne pouvais pas refuser de transmettre ce qui me fait vivre.

Jean avec Blandine, la secrétaire du centre Mater ChristiMe voilà embarqué à rendre compte de ma relation au Christ. Ceci durant 4 matinées et devant quatre jeunes femmes qui voulaient vivre uniquement du Christ. Elles s’enfermaient pour toute la vie dans une brousse vraiment pauvre. Je les ai sans doute aidées, mais en retour, elles m’ont donné un coup à l’estomac : nous, missionnaires, nous nous donnons au Christ dans sa mission. Mais se donner à son Père sans plus préciser, c’est autre chose. Je découvrais ici “la configuration au Christ” dans sa solitude et sa radicalité. Je constatais la limite des formations que nous donnions, aux étudiants de théologie comme aux catéchumènes en paroisse. C’est ce mystère de la relation à Jésus qui est au coeur (qui devrait être au coeur) de tout cheminement : des catéchumènes, des chrétiens adultes, des prêtres, des religieux et religieuses, des formateurs. Les aspects intellectuels ne sont que le prolongement de la configuration au Christ.

À partir de là, je continuais mon service à l’ICAO, mais je voulais l’élargir : d’abord en demandant pour moi une formation à l’accompagnement, ensuite en orientant mes contacts et mes préférences en direction des religieux/religieuses et des laïcs. J’étais lassé de m’adresser à de jeunes prêtres dont certains semblaient motivés plus par la recherche des diplômes européens que par l’approfondissement de leurs racines africaines et de leurs conséquences en pastorale. C’est alors qu’est intervenu le deuxième événement qui m’a orienté.

Jean avec Blandine, la secrétaire du centre Mater Christi

“Je fus chargé de créer une école de formation pour les maîtres
et maîtresses de novices en Afrique de l’Ouest”.

Une école de formation pour les maîtres de novices
Par sa fonction, Étienne Renaud participait à des échanges entre les supérieurs religieux et les évêques de toute l’Afrique: Rencontre des Collaborations Africaines (RCA/MAC), organisme en lien avec le SECAM / SCEAM. À leur rencontre annuelle de 1987, ils souhaitèrent une enquête pour connaître l’état de la formation des religieux. J’ai été chargé de cette recherche pour l’Afrique de l’Ouest francophone. En recevant les résultats fin 1988, les évêques du SCEAM demandèrent de créer des filières de formation pour les religieuses/religieux dans différents endroits. Etienne connaissait mon désir et mes possibilités : il proposa mon nom aux évêques, et c’est ainsi que je fus chargé de “créer une école de formation pour les maîtres et maîtresses de novices pour l’Afrique de l’Ouest”.

En 1989, nous commençons une enquête sur la faisabilité (lieu, finances, personnel et surtout orientation : qui viser et pour quoi faire ?). En l’espace de 6 mois, je rencontre individuellement 153 évêques, supérieur( e)s majeur(e)s, responsables de noviciat en exercice en Afrique de l’Ouest francophone. À cette période, 2 religieuses (une européenne et une africaine) se joignent à moi ; nous rédigeons ensemble le compte-rendu de l’enquête.

Suit alors une période d’intense activité pour moi et pour l’équipe qui s’est élargie peu à peu. Au coeur, nous portons une conviction : apprendre en faisant est plus important qu’enseigner. À ma question : “comment former des gens de spiritualités et de charismes différents ?”, Etienne Renaud m’avait répondu en indiquant une piste : “tous les religieux vivent la vie commune. Appuie-toi sur la vie commune !” D’où la conception de stages fermés qui permettent aux futurs responsables de noviciat de vivre pour eux-mêmes la vie autour du Christ, ce qui doit leur permettre ensuite de la transmettre à leurs jeunes frères et à leurs jeunes soeurs du noviciat. L’équipe permanente assure la continuité et la qualité de la vie, les intervenants apportent leurs points de vue pour les sciences humaines, les sciences théologiques et la pratique religieuse.

Une variété de congrégations, une même formation: le Christ
Marie, guide et mère pour le Centre Mater Christi
et pour les formateurs religieux

Mater Christi
La qualité des formateurs et surtout l’enthousiasme des stages (jusqu’à 9 mois) ont fait de ces formations un lieu de joie dans l’engagement de chacun autour du Christ. Marie étant sa mère, le Centre s’est spontanément appelé Mater Christi : Marie a été la maîtresse d’un premier novice, et de même qu’elle l’a tenu sur ses genoux pour lui apprendre la prière (j’imagine même que Jésus a appris les mots du Notre Père sur les lèvres de sa mère), les responsables de noviciat doivent apprendre aux novices la prière et tout ce qui constitue la vie des religieux.

Autour de ce coeur de formation, il nous a fallu créer des structures. Après 6 stages et 12 ans “d’errance” dans différents centres d’Afrique occidentale, nous avons cherché un terrain, l’argent, les personnes, les statuts civils et ecclésiaux. J’ai eu le tort de ne pas tenir un diaire de tout ce que nous avons fait : il y aurait de quoi écrire un roman : le terrain de 7 ha à Bobo-Dioulasso et les tractations avec les villageois (assis sur une souche au milieu d’un terrain nu, et posant leur index pour signer les papiers), le plan de 30 petits bâtiments facilitant la vie ensemble, les murs en pierres rouges de Bobo, la somme récoltée (1,5 million d’euros) en Europe, Amérique, Afrique. Plus important que les réalisations visibles, il faut parler du réseau créé à partir du Centre : non seulement les responsables de noviciat, mais les jeunes profès/professes, les sessions pour les plus âgés, les responsables de communauté, etc… Pour ces dernières formations, le Centre élabore la pédagogie, mais les sessions se font dans 7 pays d’Afrique de l’Ouest et en 2 pays d’Afrique Centrale, toujours sous la responsabilité des conférences de supérieurs religieux des pays, avec des animateurs formés par Mater Christi. J’ai quitté le Centre en 2004 et il continue vaillamment, donnant tout à fait satisfaction pour les milliers de jeunes formés et les centaines d’aînés et de formateurs. Mais il souffre toujours de la difficulté des congrégations pour détacher des formateurs pour cette oeuvre…

Une variété de congrégations, une même formation: le ChristJ’ai quitté le Centre mais pas la formation : dans plusieurs pays (Gabon, Centrafrique, Cameroun), j’ai eu à aider des congrégations à se structurer, ou à approfondir une pratique. Et maintenant que l’âge me fixe en un seul endroit, je continue les retraites et l’aide aux personnes : accompagnement spirituel, supervision de responsables, conseils occasionnels, etc. Cela prend beaucoup de temps, d’autant plus que je ralentis de rythme ! Mais Skype et d’autres moyens de communication facilitent les choses.

En regardant le déroulement de ma vie, je constate plusieurs éléments : Depuis mon entrée à Kerlois (1952) jusqu’à maintenant (2013), j’ai vécu plus de la moitié de ce temps hors d’une communauté PB au sens strict (14 ans à l’ICAO, 16 ans à Mater Christi), et pourtant, je me suis toujours senti Missionnaire d’Afrique, envoyé par la Société. C’est de ce cadre que j’ai toujours reçu confiance et soutien, encouragement et invitation à faire du neuf : que ce soit par les supérieurs majeurs ou par d’autres.

Mon service de la vie religieuse a été pour moi une expérience centrale : tout ce que j’ai fait avant Mater Christ paraît m’avoir préparé à cela : le climat de ma famille (chrétienne mais pas conservatrice), les études universitaires (socio, ethno, psycho, théologie) et la fréquentation du monde non croyant, mon cheminement après mon entrée chez les PB, ma fréquentation du monde religieux (supérieurs, simples religieux et religieuses et leur appartenance au Christ), les amitiés liées et l’admiration pour ces personnes, ma conviction peu à peu (pas encore finie…) attachée au Christ…

Une image m’aide : l’icône du christ sortant du tombeau
Et pour la suite ? Je voudrais déployer ce que je porte pour le mettre au service des autres. J’ai reçu, j’ai essayé de donner, je veux donner encore. Les personnes, les circonstances m’ont fait grandir en humanité et en Christ : je le dois aux autres. J’ai reçu, il me reste à le transmettre. Une image m’aide dans ma prière : l’icône du Christ sortant du tombeau. Il en est lui-même sorti et il tend la main pour saisir les morts et les faire vivre. A chaque fois que je téléphone, que j’utilise internet ou Skype, etc. j’ai conscience de tendre à quelqu’un une main pour le faire grandir avec la main de Jésus.

Une variété de congrégations, une même formation: le Christ

Le Christ sortant du tombeau, il en est lui même sorti
et il tend la main pour saisir les morts et les faire vivre.

Tout cela me fait prendre conscience que ce que je fais, c’est le Christ qui le fait à travers moi. Ici, il faut mettre un gros bémol, car ce que je dis là est un idéal entrevu, mais pas toujours réalisé. St Paul, décrivant notre regard vers Dieu, parle d’une vision imparfaite : comme s’il y avait une vitre, un miroir mal dépoli : on voit sans voir. Je sais bien que c’est le Christ qui unit ma vie de l’intérieur, mais ce n’est pas exactement cela, pas encore parfait ! Tous les détails ne sont pas encore en place, mais l’important est que l’ensemble soit orienté et unifié vers Jésus.

Je viens de parler de l’icône du Christ qui relève les morts. Plus haut, j’ai parlé de Marie qui est guide et mère pour le Centre Mater Christi et pour les formateurs religieux. À ce rôle qu’elle a pour tous, j’ose ajouter une note personne : Marie est pour moi une complice ! Toute cette aventure, nous l’avons menée ensemble…

Et maintenant, au repos : nous continuons ensemble, elle et moi ! Pour vivre et faire vivre !

Jean Cauvin

Voir aussi ce qu'il écrivait dans Voix d'Afrique en 2002