Voix d'Afrique N°75



Monseigneur Jean-Baptiste Somé a été le premier évêque de Diébougou, au Burkina Faso. A l'âge de 77ans, il est venu en France pour des soins médicaux. Voici son témoignage.

" Vous serez évêque !"
"Monsieur l'abbé, un jour vous serez évêque ! Je le sais!" L'enfant de chœur de la primatiale St. Jean à Lyon a été tout fier : pour la première fois, il servait la messe à un jeune prêtre africain. De retour à la sacristie, il le saluait, délivrait son message enfantin, et partait en courant. Jean Baptiste Somé n'eut pas le temps de le rattraper pour lui demander des explications ; le gamin avait filé! Jean Baptiste a été envoyé à Lyon par son évêque : tout jeune prêtre sorti de la brousse du Burkina Faso (appelé alors la Haute Volta), il devait approfondir ses connaissances de pastorale par des études de sociologie aux facultés catholiques.

Première évangélisation : la pluie !
C'est un des premiers prêtres du pays. Diébougou est sur la frontière avec le Côte d'Ivoire et le Ghana. Les missionnaires étaient arrivés depuis quelques années dans ce dernier pays alors protectorat britannique connu comme " Côte de l'or ". La rumeur s'était vite répandue. " Des prêtres blancs sont arrivés à Jirapa ; ils font tomber la pluie ! " De fait, une longue sécheresse accablait la population depuis plus d'un an. Les prières aux ancêtres avaient été vaines. Un père blanc avait été sans doute inspiré : il convoqua la population païenne et leur annonça Jésus Christ, le Fils du Dieu d'amour qui veut la vie et non pas la mort, qui veut le bonheur et non pas les larmes, qui veille sur les hommes avec amour. Il adressa une simple prière et aussitôt, les nuages commencèrent à s'amonceler à l'horizon, l'orage poussé par le vent arriva soudain et toute la foule partit en courant pour piocher la terre, tracer des sillons et planter le mil et le sorgho. Ils vinrent en foule pour sa faire instruire, pour apprendre à prier. La rumeur se répandit à la vitesse du vent, jusqu'au village de Dano, en Haute Volta voisine. Des petites écoles primaires virent le jour, et Jean Baptiste fut un des premiers élèves. Il demanda à être baptisé, encouragé par son père.


Le 3 décembre 2000, 94 prêtres, venant de tous les diocèses
du Burkina Faso, sont ordonnés à Bobo-Dioulasso.

Le baptême
Mais il fallait vaincre les traditions locales. Les anciens du village avertirent le père de Jean Baptiste : "Tu envoies ton fils à l'école et le voilà qui veut devenir chrétien ! Sais-tu que nous avons vu son âme planer au dessus du village, comme une menace ! Les ancêtres ne veulent pas de chrétiens chez nous ! " Mais le papa tint bon et Jean Baptiste prit le chemin de l'école ; il apprit à lire, à écrire et à compter jusqu'à passer son certificat d'étude. Il avait sept ans lorsqu'il fut baptisé et treize ans lorsqu'il obtint son diplôme.

" Je serai prêtre ! "
Les missionnaires connaissaient bien sa famille ; ils y étaient reçus chaleureusement. Jean Baptiste aimait les accompagner lorsqu'ils allaient visiter les villages voisins, si bien que le gamin commença à penser : " moi aussi, je serai comme eux ! " Et lorsque Monseigneur Thévenoud, l'évêque et Ouagadougou, vint visiter la mission, Jean Baptiste se décida à l'approcher : " Monseigneur, moi aussi je voudrais être prêtre ! - Quel âge as-tu, mon garçon ? - Onze ans ! - Alors travaille beaucoup et prie souvent ! " Les missionnaires l'encouragèrent, et lorsqu'il termina l'école primaire, il fut envoyé au petit séminaire de Pabré. L'aventure commençait : voyage de plusieurs jours dans un camion à gazogène, six ans dans les livres, les examens, les études, la prière et les jeux, pendant six ans, six ans sans revenir chez lui. Les missionnaires ne le présentèrent pas au baccalauréat ; il l'aurait sans doute passé avec succès, mais les pères ne voulaient pas prendre de risque avec leurs séminaristes ! " S'ils passent le bac, ces séminaristes seront tentés de devenir fonctionnaires plutôt que prêtres ! "


Ces ordinations cloturent ainsi l’année du centenaire
de l’arrivée des premiers missionnaires.
(voir le n° 46 de “Voix d’Afrique” page 10-12, mars 2000)

Etudes en latin
Jean-Baptiste retourne chez lui pour quelques semaines de vacances auprès de ses parents. Son village est loin de la mission et il doit faire des heures de marche pour rencontrer les pères et recevoir la communion. Enfin, il est accepté au grand séminaire. Nouvelle étape : la soutane blanche et la ceinture noire, bien sûr, mais aussi les études : philosophie, théologie, morale et écriture sainte sont enseignés à partir de manuels en latin, mais oui ! en latin ! Cela ne fait pas de difficulté : le petit séminaire de Pabré l'a préparé et bien préparé ; les documents des conciles et des pères de l'Eglise n'ont aucun secret pour lui. Enfin en 1958, il est ordonné prêtre par le premier évêque burkinabé, Mgr. Yougbaré. Après quelques années comme vicaire, il est envoyé à Lyon pour approfondir ses études sociales.

Premières rencontres avec l'Occident
C'est la première rencontre avec le monde occidental : Lyon, la grande ville, les rues pavées, les hommes et les femmes qui courent sur les trottoirs, les magasins avec leurs vitrines débordantes de toutes sortes de richesses… et sur la place Bellecour, quelques mendiants en guenilles : pour la première fois, un blanc lui demandait l'aumône, à lui, un noir ! Il va de découverte en découverte, dans les rues et dans l'Eglise. Il se souvient d'avoir entendu parler des " chanoines " dans les manuels de droit canonique, mais il n'en avait jamais rencontré. " Si tu veux voir des chanoines, va à la primatiale St. Jean " Ils sont assis confortablement dans de larges stalles en bois ciré, vêtus d'un rochet en dentelle blanche et d'un camail de soie noire avec un ruban rouge sur les épaules auquel est accrochée une médaille en émail. Mais c'était encore avant le Concile de l'aggiornamento de Jean XXIII !

L'Appel
Après deux ans d'études, il rentre chez lui. Il doit remplacer au pied levé un autre prêtre burkinabé, mort accidentellement. Le pays est devenu indépendant et l'Eglise africaine devient adulte. Jean Baptiste est curé à Dissin lorsqu'il reçoit un message de Mgr. Dupont, l'évêque de Bobo Dioulasso : "Le Nonce veut vous voir, à Dakar !" - "Moi ? Mais qu'est-ce qu'il me veut ?". Il obéit part pour Dakar et se présente. "Monsieur l'abbé, le Saint Siège voudrait ériger un nouveau diocèse, à Diébougou ; le Saint Père voudrait que vous soyez le premier évêque?!" C'est la tuile ! Mais il est difficile de refuser : "Si vous n'acceptez pas, le diocèse de Diébougou ne verra pas le jour." C'est presque un chantage. Autre problème : "Vous devriez être consacré à Rome, par le Saint Père Paul VI." Jean Baptiste objecte ses raisons à la suggestion car il est persuadé que la célébration doit être un événement pour l'Eglise du Burkina ; finalement le Cardinal Agagianyan, Préfet de la Congrégation pour l'Evangélisation, se rend à ses raisons. La consécration épiscopale aura lieu au Burkina Faso. Cinquante ans à peine après l'arrivé des missionnaires, quelques années après la consécration épiscopale du Mgr. Yougbare puis de Mgr. Zoungrana et de Mgr. Tapsoba, un nouvel évêque est ordonné. Un événement !

Un nouveau diocèse


Mais la réalité est plus prosaïque ! Il s'agit de créer un diocèse de toute pièce, trouver un vicaire général, un économe diocésain, un secrétaire, un budget, une résidence. Le nouvel évêque a pris comme devise : " Par Lui, avec Lui et en Lui ! " Telle est sa parole de vie, celle qui inspirera toute son action. Lorsqu'il ne sait plus comment faire face à ses problèmes, il va consulter son Conseiller préféré. La prière passe de la supplication à la bagarre : "Je ne te lâcherai pas tant que tu ne m'auras pas écouté ! Seigneur, écoute-moi. Ce n'est pas moi qui ai voulu devenir évêque, c'est Toi qui m'as choisi alors que je ne demandais rien. Cette communauté, elle n'est pas à moi, mais à Toi. Alors, à Toi de jouer !" Et Il joue le jeu. "C'est moi qui vous ai choisis pour que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure."

Le fruit, il est là : Diébougou compte de nombreux prêtres, les paroisses sont florissantes, les chrétiens sont généreux. Avec joie, il a laissé la crosse à son successeur. La semence a pris racine, la moisson est prête. D'autres ouvriers partent pour les champs. C'est par Lui, pour Lui et en Lui que la Bonne Nouvelle grandit en Afrique.


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