Le Cardinal Charles-Martial Lavigerie 1825-1892

5. SociétésMissionnaires

Première étape dans la réalisation d'un vaste projet: un an après son installation, Pères Blancs en gandoura, burnous et chéchial'archevêque d'Alger obtient de Rome la délégation apostolique du Sahara et du Soudan. L'œuvre missionnaire a accomplir au milieu de populations en grande majorité musulmanes et ne connaissant encore aucune présence chrétienne, exige des hommes et des femmes spécialement formés, A cet effet Lavigerie jette les bases de trois congrégations. L'une, composée de prêtres, sera plus tard connue, à cause de son habit qui tranchait avec la soutane noire du clergé, sous le nom de "Pères Blancs". Les deux autres, conçue dans la ligne des abbayes du Moyen-Age, se dénommaient Frères agriculteurs et hospitaliers et Sœurs agricultrices et hospitalières. Les premiers, trop peu nombreux et sans espoir de développement, rejoindront la Société des Pères Blancs à titre de Frères dits coadjuteurs. Les secondes connaîtront des réorganisations successives pour devenir finalement Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique, plus couramment connues sous le nom de "Sœurs Blanches". Deux sociétés ayant pour but l'apostolat en Afrique sont finalement organisées: l'une d'hommes s'engageant par un serment, l'autre de femmes par les vœux de religion.

Soeurs BlanchesLes règles rédigées par le fondateur à leur intention se présentent, avec quelques variantes, de façon identique. Le principe de base est le "tout à tous" de saint Paul, orientant aussi bien la spiritualité personnelle des missionnaires que leur comportement apostolique. Spiritualité personnelle : pour transmettre l'Evangile, ils doivent en vivre profondément l'esprit dans une union intime avec Jésus-Christ. L'oraison quotidienne enracine cette disposition. Les retraites périodiques en complet silence, dégagées de toute autre occupation, sont des retours aux sources indispensables quand de multiples tâches risquent, au fil des jours, d'estomper le sens fondamental d'une vocation. La nécessité d'une vie spirituelle, avec l'approfondissement qu'elle implique, s'exprime sous cette formule tranchante:

" Il faut en être bien persuadé: pour un apôtre, il n'y a pas de milieu entre la sainteté complète au moins désirée et poursuivie avec fidélité et courage, et la perversion absolue " .

Sur le plan de l'apostolat, les directives de Lavigerie se résument en un mot: l'adaptation. C'est le partage, dans toute la mesure du possible, des conditions de vie des populations chez lesquelles s'établit le missionnaire. Conditions matérielles: les Pères Blancs, fondés en Afrique du Nord, revêtent le costume des arabes, et adoptent les modes de logement et nourriture pratiqués dans les villages où ils élisent eux-mêmes domicile. Plus profondément, la connaissance de la langue leur permet d'entrer en contact direct avec ceux qui les entourent. Qu'il envisage leur présence en Algérie ou dans diverses régions d'Afrique noire, Lavigerie ne cessera d'insister sur ce point, capital à ses yeux.

L'adaptation à un mode de vie plus dépouillé que dans le monde occidental ' comporte une sérieuse ascèse sur le plan matériel. D'une façon générale, l'esprit de pauvreté fait partie des exigences spirituelles d'une congrégation religieuse qui veut s'inspirer de l'Evangile. Pour des missionnaires européens se destinant a séjourner à l'intérieur de l'Afrique,"n'ayant plus avec leurs bases que des relations extrêmement lentes et incertaines, une telle disposition devient indispensable à leur apostolat. C'est le premier souci du fondateur qui, comme toujours, établit un lien étroit entre la spiritualité et l'application concrète. Sur ce sujet, il inscrit dans les constitutions des normes très minutieuses, mais celles-ci découlent d'une orientation plus profonde: l'ensemble dégage un "esprit pratique" de pauvreté. Il ne le conçoit pas cependant pour les seuls pionniers, car il ajoute cet avertissement à l'adresse de leurs successeurs: "Le jour où vous ne vous conduirez plus d'après cet esprit, c'en sera fait de votre Société."


Sœur Marie Salomé
Première Supérieure Générale
des Sœurs Blanches

Mgr. Léon Livinhac
premier Supérieur Général
des Pères Blancs

L'obéissance constitue une autre forme de dépouillement indispensable. L'insistance de Lavigerie sur cette question s'explique en partie par le caractère d'un chef exigeant de ses subordonnés la disponibilité nécessaire au service des grandes entreprises dont il assume la responsabilité. Elle ressortit toutefois à des motivations plus larges. L'obéissance religieuse, c'est, à la suite de Jésus-Christ, la donation d'un individu pour une oeuvre qui dépasse son horizon personnel. Elle assure l'union des membres d'une congrégation pour un meilleur accomplissement de la tâche commune et, dans ce sens, celui de l'Evangile, s'exprime sous un autre mot: la charité. C'est la loi suprême que le fondateur mettait en relief à l'issue du premier Chapitre de la Société en 1874. Après deux recommandations sur l'esprit missionnaire à entretenir, il en ajoutait une troisième :

"Ma dernière recommandation, la plus importante des trois,
celle sans laquelle toutes les autres seraient inutiles,
c'est la, recommandation du vieil apôtre d'Ephèse:
Filioli difigite invicem.
Aimez-vous les uns les autres.
Restez unis, unis de cœur,
unis de pensées.
Formez véritablement une seule famille,
ayez fortement dans le sens chrétien et apostolique de ce mot,
l'esprit de corps...
que vous soyez non pas seulement unis,
mais un."


De telles dispositions ne valent pas seulement à l'échelle de la Société, mais aussi et surtout dans les petites communautés où vivent les missionnaires. Lavigerie en effet leur fixe ce que l'on devait appeler la "règle de trois": ne pas vivre habituellement moins de trois ensemble. Une règle qu'il veut intangible car elle apporte un soutien sur tous les plans, matériel, moral et spirituel. Soutien indispensable pour persévérer dans une oeuvre de longue haleine et, surtout dans les débuts, réservant de multiples déboires. A maintes reprises, Lavigerie mettra en garde ses missionnaires contre le découragement qui conduit à tout abandonner ou à faire un travail sans y mettre son âme:


"Le pire de tout, dans une mission, est le découragement, et le découragement arrive toujours lorsqu'on se fait d'avance des illusions et que l'on n'est pas décidé à surmonter en esprit de foi les obstacles et les dégoûts... Ce qu'il faudra donc, je le répète, c'est d'être pénétré de l'esprit de foi, et voir uniquement des âmes rachetées par Notre-Seigneur et marquées de son sceau divin. Alors on pourra les aimer véritablement, malgré tout; on pourra les respecter, ce qui est nécessaire car, pour les relever à leurs propres yeux, il faut les traiter avec amour et respect. "

Se "pénétrer" d'un tel esprit exige au départ une sérieuse formation. Les candidats missionnaires la reçoivent au cours d'un cursus de sept années qui comprend l'école de philosophie, le noviciat et le scolasticat de théologie. Le principe fondamental consiste dans l'approfondissement d'un désir initial, qui rende le futur missionnaire apte à se conduire selon des convictions propres et non par pure discipline. Il s'articule en deux lignes maîtresses. Sur le plan spirituel: un "amour ardent de Notre-Seigneur Jésus-Christ", formule chère à Lavigerie qui l'inscrit également à la base de formation des séminaristes grecs-melkites et des médecins-catéchistes noirs dont nous parlerons plus loin. Sur le plan intellectuel, les étudiants de l'école de philosophie doivent préparer le baccalauréat, diplôme beaucoup plus rare à cette époque que de nos jours. Si la réussite n'est pas requise pour l'admission dans la Société, du moins demande-t-on aux candidats un certain exercice de réflexion personnelle.

Autel de la chapelle voisine de N.D. d'Afrique,
sur lequel furent prononcés
les premiers serments de Pères Blancs en 1872

Se pénétrer de l'esprit de foi, source de charité fraternelle, devient plus difficile, mais aussi davantage nécessaire quand une même oeuvre réunit des membres issus de nations différentes. Au début le noviciat fut constitué uniquement de Français, mais très tôt il accueillit des candidats venus d'autres pays d'Europe. Tous, en arrivant, avaient en tête les préjugés facilement entretenus à l'intérieur de chaque frontière vis-à-vis des étrangers. Lavigerie donna de strictes directives pour faire disparaître de telles étroitesses chez les novices. Il le rappellera en 1890 à l'époque la plus aiguë des rivalités coloniales, alors que des missionnaires en partance pour l'Afrique centrale ou déjà sur place appartenaient à des nations concurrentes:

" J'ai déclaré que je ne garderai point, parmi vous, un seul membre qui n'entourerait pas du même amour tous les fils de votre petite Société, à quelque nation qu'ils appartiennent. Vous conserverez, plus encore s'il est possible, cet attachement fraternel dans les périls, dans les fatigues, dans la mort. Mon ambition est qu'en parlant de vous, qui êtes par votre origine la plus humble et la dernière venue des Sociétés, on dise du moins d'elle qu'elle est catholique par excellence. "

Cette oeuvre d'Eglise, les Pères Blancs, dont le nom officiel est "Société des Missionnaires d'Afrique", se destinent à l'accomplir sur ce continent: une délimitation géographique assez vaste cependant pour englober de grandes diversités.


 
menu     suivant