A
sa mort en 1892, le cardinal Charles Lavigerie avait acquis la célébrité
non seulement en France, son pays natal, mais encore bien au-delà.
Après son ordination sacerdotale à Paris en 1849,
les fonctions successivement ou simultanément exercées
lui ouvrirent de larges horizons: professorat de l'histoire de l'Eglise
en Sorbonne, direction de I'uvre des Ecoles d'Orient, auditorat
au tribunal de la Rote à Rome, épiscopat de Nancy.
Devenu archevêque d'Alger et de Carthage, et fondateur de
sociétés missionnaires, son action s'avéra
d'une particulière importance dans la diffusion de l'Evangile
sur le continent africain.
Conseiller écouté du pape Léon XIII, il participait
aux grandes affaires de l'Eglise principalement sur la conduite
à tenir envers les communautés de rite oriental, le
rejet d'un intégrisme religieux enfermé dans son archaïsme,
les relations rendues difficiles avec un pouvoir anticlérical
en France. Une vaste campagne antiesclavagiste lancée en
1888 auprès de l'opinion européenne lui conféra
finalement une notoriété considérable dans
tous les milieux de quelque tendance qu'ils fussent.
La notoriété assure-t-elle pour autant une sérieuse
connaissance du personnage? C'est souvent le contraire, car elle
suscite toutes sortes d'interprétations. Lavigerie fut représenté
brandissant la croix comme un javelot de combat et fonçant
sur l'infidèle pour l'amener bon gré mal gré
à la conversion. Il aurait travaillé davantage pour
l'expansion coloniale de son pays que pour un service authentique
de l'Eglise. Une dévorante ambition personnelle expliquerait
ses interventions "tous azimuts" pour se solder en définitive,
dans la plupart des cas, par une bourrasque sans lendemain.
Ces jugements ont trouvé leur source dans le fait que Lavigerie
fut mêlé à maintes affaires de son époque:
ils n'en restent pas moins très superficiels, sinon partiaux.
Encore faut-il ajouter que la mémoire s'estompe avec le temps,
et le nom de cette grande figure évoque très peu de
souvenirs chez la plupart de nos contemporains. La retrouver, c'est
reprendre contact avec une source d'inspiration qui n'intéresse
pas seulement ses fils missionnaires, mais également tous
ceux qui réfléchissent sur la place et le rôle
de l'Eglise dans le monde de son temps.
